Hier soir, le plus connu des chanteurs israéliens, Arik Einstein, est mort et partout, sur les réseaux sociaux, à la télé, dans les journaux, les messages affluent, de la part d’anonymes comme de personnalités. Le Président Shimon Pérès a réagi immédiatement après l’annonce officielle du décès et aujourd’hui, des milliers de personnes se sont spontanément rassemblées sur la place Rabin.
C’est un peu ironique parce que ce soir-là, je voulais écrire de nouveau. Il y avait ce manque pulsionnel, enfin. Je voulais écrire sur mes escapades loin d’Israël. Le temps me manquait depuis des semaines- il manque toujours- et puis, et puis…Et puis le travail, les vacances au bout du monde, l’amour, la mer, La Havane, ses rues et sa poésie, un bout de la Jordanie, tout était bon pour me détourner de mon objectif…
Mais Arik Einstein est décédé et rarement je ne me suis sentie plus israélienne que ce soir. Arik, c’était le Brel ou le Goldman français, un troubadour des temps modernes, un poète populaire quoi. Un poète-chanteur que tout Israël pleure, sans exception et sans fausses notes.
Les chansons populaires, ce n’est pas mon registre ici et rien ne m’agace plus que ces décès qui monopolisent Facebook, où chacun y va de sa petite phrase. "Mais putain, c’est pas mon père" était la seule pensée qui m’avait traversé l’esprit quand tout le monde s’émouvait via 46 "statuts" de la disparition de Michael Jackson.
Ce soir, je ne sais pas, cet évènement a réveillé autre chose chez moi. J’ai réalisé soudainement qu’en deux ans, j’avais développé une culture israélienne et qu’Arik Einstein y était pour quelque chose.
J’ai découvert ma première chanson de lui, "עוף גוזל" ("Ouf Gozal", Vole oisillon), par la mère d’une amie, qui parlait de la douleur résignée des parents qui voient partir leur enfant, mêlée aux encouragements de rigueur. "Vole oisillon mais prendre garde à l’aigle"…A l’époque, je baragouinais des bribes de phrases en hébreu. Mais j’ai aimé la mélodie et j’ai décidé de traduire les paroles une à une, pendant mes pauses déjeuner, coincée dans mon bureau parisien.
Arrivée à l’oulpan, notre professeur d’hébreu nous avait appris "טוב שבאת הביתה" ("Tov chebata abaita", C’est bien que tu rentres à la maison) peu après la libération de Guilad Shalit et je me souviens avec nostalgie de cette soirée d’automne dans notre résidence universitaire de Haïfa, armée de mon dictionnaire, traduisant avec peine cette chanson avec J., mon copain de classe. On était un peu ridicule, c’est vrai, mais c’est un beau souvenir, un de ceux que l’on garde parce que la mélodie est jolie.
Installée à Tel Aviv, j’ai dansé dans les bars sur "שיר השיירה" ("Chir Achayara", La chanson de la caravane), qui parle des premiers juifs construisant Israël, mon verre à la main, en hurlant comme si moi aussi cette chanson me rappelait ma plus tendre enfance. J’étais israélienne comme tout le monde et avec tout le monde.
La culture populaire a cette force unique que peu de politiques atteignent. Elle rassemble, elle fonde une identité commune. Arik Einstein chantait Israël, le sionisme, la paix, mais aussi l’amour, la vie quotidienne…
Arik Einstein c’est la mémoire d’une jeunesse que je n’ai pas vécue ici et pourtant, c’est devenu une partie de ma culture. Alors moi aussi, ce soir, comme tout le pays, je le pleure et je le réécoute en boucle.
Et puis je me demande, comme beaucoup, מי ישנה את אולם, qui changera le monde maintenant…
שלום חבר, Chalom l’ami.
Ani ve-ata, neshane et a-olam
Ani ve-ata, az yavo-ou kvar koulam
Amru et ze kodem lefanay
Lo meshane
Ani ve-ata, neshane et a-olam
Moi et toi, nous allons changer le monde
Moi et toi, alors tous les autres
viendront
Ça a été déjà dit avant
Ça ne fait rien
Moi et toi, nous allons changer le monde
Ani ve-ata, nenase me-athala
Yi-eye lanu ra, ein davar ze lo nora
Amrou et ze kodem lefanay
Ze lo meshane
Ani ve-ata, neshane et a-olam
Moi et toi, nous essaierons dès le début
Nous souffrirons, Ça ne fait rien,
Ce n’est pas grave
Ça a été déjà dit avant
Ça ne fait rien
Moi et toi, nous allons changer le monde