L’État orwellien continue de s’étendre. Et non, ce n’est pas une exagération, et non, ce n’est pas non plus la marque d’une paranoïa qui m’aurait prise subitement. En procédant par petits pas discrets, l’ensemble des acteurs dits démocratiques, comme les députés, les sénateurs, les ministres et les politiciens en général sont tous, à divers degrés, des coupables décontractés de l’abomination qui se met lentement en place. Les citoyens ne s’en rendent pas compte, mais l’étau se resserre, lentement, inexorablement.
Et comme de bien entendu, pour justifier la mise à mort de chacune de nos libertés et de chaque parcelle d’intimité qui nous restait encore, les arguments sont encore et toujours les mêmes : on doit lutter contre le méchant terrorisme, les vilains trafiquants d’armes et de drogue, les abominables pédonazis et autres hackers fous devenus ennemis de l’État. Et pour ce faire, quelle meilleure solution que d’accroître encore les prérogatives des services de renseignement ?
Alors on va accroître, et pas qu’un peu : en l’espace de quelques jours, deux énormités se font jour.
1. Épions encore plus les internautes
D’un côté, l’actuel projet de loi de programmation militaire va faire un grand bon en avant de ce point de vue là puisqu’il veut étendre les régimes d’exceptions et offrir aux agents du Ministère du Budget un accès en temps réels aux données Internet. Oui. Vous avez bien lu : des gens du Budget vont gagner de nouvelles prérogatives au travers d’une loi de programmation militaire. La manip sent bon la chasse aux fifrelins magiques qui tenteraient de quitter le territoire national, déguisée en lutte contre les ennemis de l’État.
C’est superbe, car ici on a dépassé les simples écoutes téléphoniques, et l’espionnage détendu du hacking via les Fournisseurs d’Accès Internet ; en effet, sur amendement du président PS de la Commission des lois, Tracfin, l’organisme de Bercy qui lutte contre la fraude fiscale, pourrait se voir attribuer le pouvoir de réclamer des écoutes. Oui oui, c’est bien un socialiste officiel et assumé, l’un de ces politiciens qui claironnera bientôt devant ses électeurs qu’il est humaniste et cherche avant tout à protéger leurs droits, qui pousse, en plein milieu d’une loi destiné à la Défense, ce genre de bidouillage ni festif, ni citoyen mais terriblement tentant pour un Léviathan dont les finances sont dans la plus parfaite panade. Tout ceci est parfaitement normal.
Les grands acteurs de l’Internet ont bien sûr halluciné en voyant ce projet, ce qui n’a pas suffi pour sortir la presse subventionnée de sa torpeur, elle qui se sera contentée d’un petit article ici ou là. Finalement, peu de publicité aura été donné à cette nouvelle érosion de nos libertés et à cette intrusion supplémentaire de l’État dans nos vies puisqu’aux petits doigts palpeurs de Bercy, il faudra y ajouter ses yeux scrutateurs : le projet envisage d’élargir aussi le nombre de fonctionnaires capables de demander les données de géolocalisation.
Alors qu’on trouvera toujours des bataillons nombreux et vociférants de citoyens et de politiciens pour s’insurger contre tel patron ou telle société privée qui auraient eu l’impudence de traquer les moindres faits et gestes de leurs employés par l’étude des données de connexion ou la géolocalisation, on ne peut que déplorer l’absence quasi-complète de la moindre réaction de ces mêmes citoyens conscientisés et autres politiciens soucieux de protéger nos libertés civiles… On pourra toujours m’objecter que l’État est intrinsèquement bon, mais l’historique de ce genre d’institution sur les derniers siècle introduit cependant un doute sérieux.
Et parallèlement à ces coups de canifs dans le monde numérique, le monde réel n’est pas en reste…
2. N’oublions pas les paquets postaux
Parce que voyez-vous, il s’en passe des choses dans le monde réel. Des gens, un peu fous, achètent des objets sur des sites de vente par correspondance, poussent le vice jusqu’à en demander la livraison, ce qui oblige d’autres gens, aussi fous, à les glisser dans des colis qui voyageront d’un bout à l’autre de la planète. Ils passeront ainsi au travers de frontières, et arriveront sur le territoire français, véritable pays de cocagne où, pour conserver la paix et la prospérité, il a été jugé nécessaire de bien s’assurer que n’importe qui n’envoie pas n’importe quoi n’importe comment, sinon ce serait vite la fête du slip, merde alors. D’autant que, folie suprême, parmi ces paquets, colis et autres envois postaux louches, certains contiendraient (c’est insupportable) des contrefaçons !
Gasp ! Stupeur et torréfaction de chatons mignons !
Pour mettre un frein à cette folie difficilement imaginable, Richard Yung, un joyeux et indispensable sénateur de la circonscription des Français résidents hors de France, s’est fendu d’une proposition de loi renforçant les moyens de lutte contre cette abominable dérive des envois postaux, en offrant notamment la possibilité de constituer un fichier des douanes contenant de nombreuses informations relatives aux colis reçus ou envoyés par les entreprises et les particuliers.
En substance, la loi passée récemment au Sénat imposera aux transporteurs (DHL, Fedex et autres TNT, par exemple) de tenir à jour un fichier qui devra comprendre le nom et adresse des expéditeurs et destinataires, et le contenu du colis s’ils en ont connaissance. Bien évidemment, tout ceci représente une véritable session de trampoline effervescent sur la notion de données personnelles, mais la CNIL avait poney ce jour-là (elle en profite, parce qu’après le premier janvier et la TVA à 20%, le poney, c’est fini).
Le sénateur est tout de même malin : pour éviter que la CNIL ne débarque trop vite dans son histoire (à dos de poney en pleine course, cela pourrait faire des dégâts), quelques précautions ont été judicieusement introduites. Ainsi, on n’obligera pas les transporteurs à conserver les données qui « font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou l’appartenance syndicale des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à la vie sexuelle de celles-ci ». Et comme le secret des correspondances est de mise sur le territoire français, on pourra aussi s’affranchir de remplir les petites cases du gros fichier rigolo lorsque les envois se font depuis la France vers la France.
Tout ceci est particulièrement pratique et réaliste. On imagine ainsi que les transporteurs vont devoir éplucher le manifeste des envois postaux dont ils ont la charge pour éliminer ceux qui contiendraient une bible (religion), un godemichet (sexe) ou le petit livre rouge de Mao (politique), parce que bon, ce serait contrevenir à la loi et ça ressemblerait trop à un gros vilain fichage systématique.
Mais tout ceci ne serait pas complet sans l’intervention frétillante de la ministre des transports, Nicole Bricq, qui y va de sa gentille appréciation :
Cet article améliore les contrôles sans gêner les expressistes. Il s’agit de traiter des données, de data meaning, selon la formule.
Oui, vous avez bien lu « data meaning » au lieu de « data mining », mais surtout, vous avez bien lu que cette nouvelle tubulure chromée légale ajoutée à tout le reste va améliorer les contrôles (gloussements) sans gêner les transporteurs (rires francs). Que ces contrôles servent, peu ou prou, à traquer les marchandises qui entreraient en France sans payer les taxes, en bénéficiant de taux de TVA plus faibles ou de l’inexistence de certaines taxes (sur la copie privée dans le cas des supports numériques récents), personne ne l’évoque, mais cela semble évident.
De la même façon que l’espionnage électronique se met en place pour traquer le contribuable à l’intérieur de France, la chasse aux resquilleurs s’installe aux frontières. Tout ceci se passe en France et sent bon ces petits moments Béton & Mirador de l’Allemagne d’après-guerre, courant 1961. N’oubliez pas : ces ministres, députés, et sénateurs sont tous payés avec vos impôts, manifestement pour ajouter des misères et des difficultés dans votre vie quotidienne.
Grâce à eux, tous vos mouvements, faits et gestes seront progressivement enregistrés, calmement, inexorablement. Et lorsqu’enfin, le contenu de vos paquets sera parfaitement connu, ne venez pas vous plaindre. Pas même s’ils disparaissent mystérieusement en chemin.
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