Tirée des chroniques inédites en volume, publiée en 2009 dans un monstre de 750 pages, cette série de huit « câbles » datés de l'année 1941 – inédits en français – propose le regard décalé de Roberto Arlt (1900-1942), l'auteur des Sept fous et géant des lettres argentines, sur l'art romanesque et la littérature. Sélection et traduction par Antonio Werli.
Action, limite de l'humain et du divin
Un dieu, un État ou un homme ne peuvent aller au-delà de l'action. L'action est le manteau qui contraint tout ce qui est humain dans le plan tridimensionnel qui est le nôtre.
Quand un pays ou un homme tente d'effectuer une action, il se heurte à une résistance, c'est ce qu'on appelle techniquement un conflit. Quand un conflit menace par l'importance du danger de sa puissance, pour l'existence du pays ou d'un individu, on pénètre dans une zone de drame.
À notre époque, rien n'a mieux défini les différentes gradations du drame que le langage diplomatique, lorsqu'il décrit l'accentuation d'un conflit entre nations ou son explosion. La terminologie utilisée met en évidence la richesse des nuances que la capacité d'action est susceptible d'acquérir.
La pensée elle-même tend, dans le consensus commun des hommes, à se convertir en action, au risque de devenir un processus stérile, et par conséquent, l'action est la dernière limite de la pensée. Que la pensée en tant que telle soit inoffensive, le proverbe espagnol en témoigne : « Sous mon manteau, je tue le roi. » Mais qu'on permette à l'homme qui « sous son manteau tue le roi » de rassembler les moyens physiques pour tuer la personne royale, et on verra comment sa volonté d'action lui sert à enchaîner une suite extraordinaire d'actes qui, indépendamment de son caractère moral ou esthétique, détermine la survenue d'une forte émotion chez le spectateur. Ainsi, ce qui est important dans l'action dramatique, c'est la tension nerveuse à l'origine. L'intensité de ce choc correspond au volume d'énergie consommée par l'action, quand elle vainc la résistance d'un milieu donné.
C'est pourquoi, dans les articles précédents, je disais que ce qu'on appelle décadence du roman n'était, en synthèse, rien d'autre qu'une capacité de réaction faible des personnages romanesques. Il est évident que lorsqu'un personnage ne réagit pas, il ne suscite à son encontre aucune résistance du milieu, et le manque d'action et de réaction détermine l'absence de l'événement dramatique et ce qui en découle, le choc nerveux.
Aujourd'hui, les auteurs essaient de justifier l'absence de drame, en prétendant que l'action dramatique a été transférée au contenu philosophique ou poétique d'un dialogue donné, mais ce qui est manifeste, c'est que le lecteur s'ennuie et jette le roman, ou quitte le théâtre et s'en va en maugréant. Généralement, face à cela, l'auteur insiste sur le fait que la qualité de son œuvre, malgré l'attitude du spectateur, réside dans l'action des dialogues et dans la beauté des dialogues, en assurant, de plus, par tous les moyens publicitaires à sa portée, que le drame et le roman contemporains ont comme caractéristique particulière l'absence d'action.
Et ça, c'est clair.
Le drame et le roman contemporains possède cette caractéristique négative. Et en parlant de caractéristique négative, ce n'est pas au nom de l'esthétique ou de la morale, mais au nom d'une escroquerie dont nous avons été victimes, en notre qualité de lecteurs ou de spectateurs.
Que se passe-t-il ?
Le spectateur est allé vers le roman ou vers le théâtre, comme prenant un sentier inconnu, pour ressentir la pression d'une aventure qui se veut inquiétante. Si cette condition est remplie, le spectateur cesse d'être spectateur pour devenir, par le procédé le plus inoffensif du monde, juge et parti. Ce processus subconscient lui procurera une émotion qui sera d'autant plus intense que le spectateur sent que sa propre existence morale, politique ou économique est mise en jeu. C'est-à-dire que le conflit, tant dans le roman que dans le drame, lorsqu'il est correctement délimité, se déroule en même temps sur scène et chez le spectateur.
Ce sont des principes éternels, non parce que les a définis un groupe déterminé de producteurs intellectuels, à leur faveur, mais simplement parce que les quantités d'énergie psychophysiques logées dans la conscience de l'homme ne sont ressenties que lorsque son existence morale, physique et économique est en danger. Analyser n'importe quel chef d'œuvre témoigne du fait que, volontairement ou non, ces règles du jeu émotionnel ont été observées par les maîtres les plus sévères.
On arguera qu'il existe des conflits qui manquent d'intérêt. Bien sûr. Cela arrive lorsque le conflit se trouve hors de notre temps et de notre espace, même si, presque à chaque fois qu'il est hors de portée du spectateur ou du lecteur, c'est dû au fait que l'auteur ne domine pas la technique de sa spécialité. Mais en général on ne trouve pas de conflit sans intérêt, mais des personnages intéressants. Peu nous importe que la lune tombe sur la tête de ces pantins.
Il est évident que les raisons qui ont déterminé la majorité des romanciers contemporains et des auteurs dramatiques à « tuer le roi sous leur manteau », c'est-à-dire suivre la ligne de moindre résistance, sont en premier lieu l'absence de talent personnel, et en second lieu une connaissance superficielle des disciplines se référant à des genres aussi complexes et magnifiques.