Le sentiment d’urgence

Publié le 27 novembre 2013 par Juval @valerieCG

Il n'y a pas si longtemps, je débarquais dans la cuisine, où des potes étaient en train de prendre un verre rouge, échevelée, en train de hurler : "putain mais j'en ai plein le cul de tous ces connards machistes, dix ans que j'explique les mêmes choses, rien n'avance".

Un des copains m'a demandé très calmement ; "mais pourquoi tu t'"infliges tout ca ?".

Je lui ai balancé à la gueule que c'était vraiment une question de privilégié, vraiment une question d'un mec qui peut ne pas s'emmerder avec le féminisme.

La veille un connard quelconque m'avait traitée de salope dans le métro et je crois, que, toutes, égoïstement, peut-être on est là pour que peut-être un jour des connards arrêtent de nous traiter de salope dans le métro.

Je ne connais pas une femme, pas une qui n'a pas subi un jour du sexisme ; cela va aller de la réflexion en apparence anodine au viol mais il y a un continuum là dedans (que vous êtes nombreux à ne pas vouloir voir, ok on est d'accord). Alors beaucoup de femmes cèdent à tout cela ; je peux comprendre cela (du moins aujourd'hui où je suis de relative bonne humeur). Je peux comprendre qu'on n'ait pas envie de lutter contre cette masse de comportements sexistes, qu'on se dise qu'il est beaucoup plus facile de les subir, qu'en restant dans le rang, on se contente de subir du sexisme bienveillant et basta. Je peux comprendre que des femmes n'aient pas envie de voir et d'analyser que les masses d'humiliations, pression,s injonctions qu'elle subissent ne sont pas des faits isolés car s'en rendre compte revient souvent à se pourrir la vie et à ne plus jamais être en paix.
Et j'avoue que les quelques hommes qui viennent, outrés, nous dire que c'est un scandale que des femmes ne soient pas féministes, je leur dirais d'aller gentiment checker leurs privilèges avant de faire la leçon sur ce qu'on doit faire ou pas.

Etre féministe c'est une urgence et une urgence absolue pour éviter de subir le sexisme à nouveau ; on n'a pas forcément le choix.

Certaines vont voir que l'IVG en France est une calamité et vont lutter contre.
Certaines vont voir que la profession qu'elle rêve d'exercer est gangrenée par le sexisme.
Certaines ne veulent plus être frappées.
Certaines  ne veulent plus être violées.
Certaines ne supportent plus d'être traitées comme des animaux souriants, des chats mignons, à qui on fout une tape sur la tête et qu'on renvoie quand il s'agit de causes importantes.

Le féminisme n'est pas de la peinture sur verre, un nouveau loisir qu'on s'est trouvé parce qu'on s'emmerdait un peu. j'aimerais bien ne rien voir, vivre dans une bienheureuse ignorance où le frotteur du métro est "un simple taré et un impondérable" et le violeur un fou".

Je ne peux pas. Je vois des dizaines de femmes - j'en suis parfois - se rendre malades à force de luttes, à force d'insultes.

On ne mesure pas le sexisme (comme on ne mesure pas le racisme, l'homophobie, la transphobie). Je peux le comprendre c'est douloureux à voir.  Qui a envie de réaliser qu'il/elle est partie prenante d'un système causant des dizaines de milliers de viols ? Qui a envie de réaliser qu'il/elle est pétri de réflexes machistes ?

Je voudrais perdre ce sentiment d'urgence parfois.