Tayfun Pirselimoglu, 2013 (Turquie)
L’HISTOIRE PRESQUE SANS FIN
Je ne suis pas lui est un film de Tayfun Pirselimoglu librement inspiré par Sueurs froides d’Alfred Hitchcock (1958). Présentée pour la première fois lors du festival de Rome 2013, cette étonnante mise à jour du mythe hitchcockien décontenance.
Dans la cuisine d’un petit restaurant en Turquie, les pommes de terre s’épluchent dans un silence cadenassé. Dominantes bleu, vert, bruit de vaisselle en arrière plan. Je ne suis pas lui suit le quotidien d’un cinquantenaire. Nihat, aide-cuisinier d’âge mûr, a une vie sociale aussi routinière que sa vie professionnelle. Cependant, sa vie va prendre une autre tournure lorsqu’il va s’éprendre de sa mystérieuse collègue, qui installe lentement les regards croisés. Il lui ressemble tellement… Peu à peu, Nihat va prendre l’identité du mari emprisonné de la jeune femme et se construire une nouvelle personnalité, jusqu’à une usurpation progressive, quasi-involontaire d’identité. Cette situation initiale introduit le caractère troublant d’un héros en manque de repère. La première demi-heure met du temps à se mettre en place et accuse un tempo perturbant. Les plans fixes de trente secondes se multiplient sans pour autant qu’on comprenne leur sens. Au bout de la première heure, le rythme du film commence à s’accélérer. Si la lenteur a pu décontenancer, la maîtrise du rythme prend tout son sens.
GLISSEMENTS PROGRESSIFS DE L’IDENTITÉ
Portrait de la solitude d’un homme, Je ne suis pas lui est un film minimaliste, impassible. Le récit circulaire déroule une série de glissements qui transforme l’indifférence en désir, l’image de soi en image d’un autre. Le long-métrage est à la fois surprenant et déroutant. Le personnage de Nihat est le nœud de l’intrigue. On suit son cheminement sans pour autant le comprendre. Au fil du temps, la transformation s’opère, d’abord physiquement. Le héros opère un mimétisme graduel jusqu’à même reprendre les traits de caractère du mari, violent et froid.
UN HÉROS A LA PERSONNALITÉ PERTURBÉE
La mise en scène tire parti de la gestion des espaces. L’appartement, vide et sans âme s’oppose aux plans panoramiques sur la mer, calme et largement ouverte. Avec la caméra centrée uniquement sur son héros, le réalisateur fait de la performance de son acteur un one man show. Si Ercan Kesal n’arrive jamais à la cheville de son modèle, James Stewart, il dépeint avec justesse un personnage en pleine crise d’identité.
Le long métrage divise l’audience à cause de sa construction. Je ne suis pas lui ne laissera personne indifférent, c’est une certitude. Avec une mise en scène calibrée au millimètre et un héros aussi charismatique qu’inquiétant, Tayfun Pirselimoglu établit un cheminement intéressant sur la solitude d’un homme. Si les influences d’Hitchcock sont notables, le réalisateur ne réussit jamais à élever le rythme de son intrigue. Un film surprenant à bien des égards qui pèche par son excédante longueur.
François Boulard, pour Preview,
dans le cadre de la 35e édition du Festival des 3 Continents