Un roman argentin est le troisième ouvrage de Gilles D. Perez, paru en août 2013 chez Naïve. Agrégé de philosophie, partageant sa vie entre Paris et Barcelone, Gilles D. Perez a très tôt été fasciné par la culture hispanophone et nous livre, avec ce roman, un bel hommage à cette dernière.
Un ciel orageux. Un Boeing 747 à destination de Buenos Aires pris dans la tourmente. Le vol A 456 de la compagnie Aerolineas Argentinas n'arrivera pas à destination. Les passagers le savent. Ils paniquent. Parmi eux, un homme, la quarantaine, une vie paisible. Une vie qui ne lui a pas laissé le temps de passer à l'écriture. Tandis que le pilote lutte contre les éléments et que les autres passagers hurlent de voir leur vie leur échapper, cet homme pense. Il pense à tous ces livres qu'il aurait aimé écrire. Aux textes qui sommeillent en lui et qu'il n'aura pas le temps de coucher sur le papier. Au premier roman qu'il aurait écrit si la vie le lui avait permis.
Attention, petit bijou littéraire en vue ! Un roman argentin est un livre ébouriffant qui vous happe dès les premières lignes et ne vous libère qu'une fois la dernière page tournée. Gilles D. Perez offre à son lecteur un roman à part, véritablement à part, à l'intrigue en apparence simple. Un avion en perdition, un homme qui se voit mourir et réfléchit. Mais le tour de force de ce roman réside dans la façon dont l'auteur traite cette situation. Son personnage se noie dans ses pensées, dans sa vie, repense à ses proches, à son quotidien. Puis il imagine ce qu'il aurait écrit s'il en avait eu le temps. Ce qu'il aurait fait à Buenos Aires si l'avion avait atterri. Ce qu'il aurait voulu vivre si sa vie ne tenait pas à un fil. Entre la mort qui le frôle et cet élan de vie qui le saisit, le narrateur entraîne le lecteur dans le sillon de ses réflexions. L'intrigue se déplace dans un Buenos Aires fantasmé, un Paris du présent, un roman jamais écrit, pour revenir à la carlingue de l'avion qui lutte contre les éléments. Brillant ! L'intrigue débute en hommage vibrant à Queneau et à son célèbre Exercice de style. Jouant avec les mots et avec les styles narratifs, Gilles D. Perez plante son décor et installe son lecteur dans une situation cinématographique au possible. Version communiqué de presse, british, épique ou parisienne, à chacun de choisir la tonalité qu'il préfère pour s'approprier cette situation catastrophique. Cette facilité de l'auteur de jouer avec les mots annonce dès les premières pages la couleur de son roman et semble faire écho aux velléités d'écriture de son narrateur. Métadiscours ou glissement autobiographique, le doute demeure. Hommage à la littérature et aux grands auteurs d'Amérique du Sud, Un roman argentin demeure inclassable, une fois la dernière page tournée. Brillant, c'est certain, singulier et mémorable, sans aucun doute. Je me suis régalée, cela va sans dire.
"J'aurai été, jusqu'à la fin, fidèle à moi-même : adepte de la métaphore à tout va, comme si la vie était toujours un récit en attente." (p. 17)
"La peur siphonne la vie mentale et impose à l'esprit la contemplation d'une image fixe. Mais, quand elle laisse place à l'épouvante, l'image disparaît et il n'y a plus qu'une béance informe et incolore." (p. 53)
"J'aurais insisté, le cognac aidant, sur la ville inversée que l'on voit dans les trottoirs baignés de pluie. J'aurais parlé des fragments d'architecture offerts par les flaques d'eau, non pas de la ville éternelle, mais de la ville transitoire. Pas de la ville monumentale à la gloire des illusions mais de la ville fugitive et modeste, où chacun peut reconnaître quelque chose de sa vie, où un coin de rue porte pour toujours la trace d'une histoire, et où la lumière d'un matin est le linceul d'un amour." (p. 72)
"Cette ville est un roman que je n'ai jamais fini de lire." (p. 120)
Je tiens à remercier Sybille de LP Langages et Conseils et les éditions pour ce roman.