Or : métal contre papier
Publié Par Stephane Montabert, le 26 novembre 2013 dans Bourse et investissementsParmi les lieux communs du moment, l’idée que l’or n’intéresse plus personne est particulièrement tenace.
Par Stéphane Montabert.
Mais voilà, il y a or et or. Or papier et or physique. Les cours de bourse se réfèrent à l’or-papier, encore appelés certificats sur l’or. C’est l’or qui s’achète et se vend. Mais ce n’est que du papier, soit la promesse d’un détenteur d’or qu’une quantité équivalente de métal précieux l’attend dans ses coffres.
Imaginons que vous soyez commerçant en or. Vous avez dix lingots d’un kilo au coffre. Il serait pénible (et dangereux) de les faire découper et livrer d’un bout à l’autre du monde dès que quelqu’un vous en achète un fragment, et tout aussi laborieux de recevoir par courrier spécial le moindre gramme acheté. À la place, vous imprimez 1000 certificats avec la mention « ce document s’échange contre un gramme d’or » orné d’un joli motif et d’une signature de votre main. Puis vous les vendez, au prix de l’or. Vous venez de dématérialiser l’or et d’inventer, du même coup, l’or-papier.
Les certificats s’achètent et se revendent bien plus facilement que vos lingots et vous avez bonne réputation, donc il y aura quelques clients. Au bout d’un certain temps, vous avez tout vendu. Certains reviennent chercher leur or, vous le leur donnez, mais la plupart ne reviennent pas. Une idée vous titille : n’auriez-vous pas été plus riche avec deux mille certificats ? Pas très honnête c’est vrai, mais certains papiers peuvent s’égarer ou être détruits de toute façon, c’est inévitable… Le risque que plus de mille porteurs se manifestent d’un coup pour exiger leur dû est lui aussi très faible… Il faut bien vivre! Et puis avec tous ces documents éparpillés dans la nature, qui saura jamais ?
Dans le monde réel, cette étape a été dépassée depuis longtemps. Le certificat-papier négocié en bourse serait ainsi cinquante ou soixante fois survendu comparé à sa contrepartie physique, à supposer que celle-ci n’ait pas été vendue de son côté.
Pendant longtemps, le grand public a été soigneusement mis à l’écart de cette réalité malodorante, sans compter que le cours de l’or est honteusement manipulé pour donner l’illusion que la « relique barbare » est désormais sans intérêt. Il en va de la sauvegarde des monnaies-papier officielles, euro et dollar en tête. L’idée est d’amener les investisseurs à chercher le salut auprès d’elles plutôt qu’en se réfugiant sur l’or.
Mais le cirque pourrait toucher à sa fin.
Ironiquement, l’éclatement spectaculaire de la bulle de l’or-papier dans un avenir proche pourrait avoir été provoquée par les manipulations sur le cours de l’or et destinée à en désintéresser le public. Métal et papier sont officiellement indexés : un gramme d’or pur et un certificat portant sur un gramme d’or pur sont équivalents. On peut échanger l’un en l’autre. Cependant, en maintenant artificiellement bas les cours de l’or-papier à travers des manipulations peu avouables, les banques (dont probablement quelques banques centrales dans le lot) ont fait en sorte de rendre incroyablement attractif l’or physique sous-jacent, suscitant l’appétit de pays comme la Chine.
Il n’en fallait pas plus pour que des gens « bien informés » ne devinent que l’or-physique était en solde et surtout que le marché de l’or-papier allait s’effondrer. Sachant cela, la stratégie la plus évidente consiste évidemment à acheter de l’or-papier puis de réclamer immédiatement sa contrepartie en or-physique, sachant qu’il n’y en aura pas pour tout le monde.
Tous les ingrédients sont en place pour un rush et il semble que celui-ci ait commencé. Nous en avons un indice à travers l’examen des stocks d’or de la COMEX à New York, un des plus grands dépositaires d’or physique dans le monde :
Les stocks de la COMEX ont été divisés par cinq en quelques mois.
Il y a comme une petite baisse de forme récemment, on dirait…
Évidemment, la rumeur va bon train ; alors que de plus en plus de gens sont au courant, la différence entre or-physique et or-papier prend de l’ampleur et les banques ont du mal à honorer leurs promesses. On se bat pour obtenir du physique, alors que la transformation du papier en or devient plus difficile. Délais, coût de transaction, toutes les excuses sont bonnes à prendre.
Un chiffre ? Ces jours-ci, les Indiens sont prêts à payer 1565 dollars par once d’or pour du physique, soit plus de 20% au-dessus du cours officiel. Soit ils sont subitement devenus fous du métal jaune, soit ils devinent que dans un bref délai la surcote subie en ce moment ne sera qu’une aimable plaisanterie par rapport à ce qui nous attend. Il va forcément y avoir des déçus et des détenteurs d’or-papier le bec dans l’eau.
Je ne sais pas si vous possédez de l’or sous forme de certificats mais si c’était le cas, à votre place je m’inquièterais un peu.
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