Soirée importante à Bastille ce soir, I Puritani faisait son entrée à l'Opéra par la grande porte, après l'avoir fait par la petite à l'Opéra Comique en 1987 (avec June Anderson quand même!). Bien que créée à Paris, en janvier 1835 au Théâtre Italien, l'œuvre a attendu 152 ans pour entrer au répertoire de l'Opéra, et 177 ans pour entrer dans la salle principale…pour un des chefs d'oeuvre du répertoire italien, ça n'est pas si mal.
L'histoire, est assez simple: sur fond de luttes entre les partisans de Cromwell et les partisans de la monarchie, une jeune fille, Elvira, est amoureuse d'un beau et courageux chevalier, Arturo (ténor); alors qu'elle devait épouser un autre noble, Riccardo (baryton) finalement son père accepte qu'elle convole avec son aimé. Mais voilà, l'être aimé est si courageux que le jour du mariage, il plante sa fiancée pour aller sauver la reine, prisonnière en secret dans le château: aux yeux des partisans de Cromwell, et aux yeux d'Elvira, c'est un traître . La jeune fille en devient folle, mais il reviendra, et en le revoyant elle retrouvera la raison. Traître condamné à mort, Arturo sera amnistié à la faveur de la victoire définitive de Cromwell, tout est bien qui finit bien et embrassons-nous Folleville.
Pour le bel canto romantique, il faut d'abord les voix, ensuite un chef qui les soutienne, et enfin (accessoirement) un metteur en scène. Il faut bien dire que ce répertoire n'est pas vraiment le chéri du Regietheater, du théâtre tout court d'ailleurs. À part Andrei Serban avec Lucia di Lammermoor, et quelques autres travaux qui essaient de tirer de ces oeuvres assez convenues un spectacle cohérent, la plupart du temps, on a droit à un travail au mieux illustratif. Laurent Pelly n'est pas un révolutionnaire de la scène, mais c'est un homme à idées, plein d'humour, qui a laissé à la postérité dans ce répertoire une Fille du Régiment (Donizetti) qui a fait le tour du monde.
Cette fois-ci, on en est loin.
Dans un vaste espace gris assez vide, qui laisse les personnages et le chœur évoluer sur toute la surface du plateau, un décor réduit à l'os sur une tournette, un squelette de château anglais (Elvira passe son temps à monter sur les coursives et les parcourir), au deuxième acte, dans le même style, la chambre d'Elvira qui a tout d'une grande cage, au troisième, une façade, une tour, une cheminée, où brûle un feu qui donne à cet ensemble un peu de chaleur et de vie. L'humour de Pelly se reconnaît à sa manière de traiter le chœur, comme des automates où les femmes semblent être en patins à roulettes (elles semblent seulement), où les soldats casqués sont ridicules à souhait (ils le sont trop pour que ce ne soit pas voulu), où le chœur chante en rang d'oignon face au chef, selon la bonne tradition. Les chanteurs sont quand même (un peu) dirigés, en tous cas plus que chez Py dans Aida. Un travail inutile, sans intérêt, sans doute quelquefois élégant ou joli (et encore), qui se veut sans doute poétique, mais qui accumule les poncifs (voulus? pas voulus?) d'un style de représentation qu'on pensait révolu: mais non, mais non, cela existe encore. À ce tarif là, mieux valait louer une production à Madrid, Florence ou Vienne, et se payer une vraie nouvelle production d'Elektra. Laurent Pelly n'a pas gratté beaucoup ses neurones, c'est un mauvais travail, faussement ironique, plat voire ennuyeux, qui ne rend pas justice à l'œuvre et qui ne marquera ni sa carrière, ni celle des ces Puritani à l'Opéra.
Il en va autrement du point de vue musical: il est vrai que dans ce type de répertoire, il vaut mieux un plateau qui tienne la route, et dans Puritani, il faut en plus un ténor qui monte au ré. Il faut aussi un chef qui aime les chanteurs et qui sache les soutenir. L'Opéra a invité Michele Mariotti. C'est un jeune chef de 34 ans, qui a beaucoup dirigé à Pesaro, et qui commence une belle carrière, notamment au MET où il a dirigé Carmen et Rigoletto. En relisant ce que j'écrivais alors sur lui après Rigoletto, je remarque que je n'ai pas grand chose à changer: "Sans être exceptionnelle (apparemment ce ne sera pas le nouveau Toscanini), sa direction est intéressante car il sait bien doser les volumes, donner du rythme et de la palpitation et gérer les crescendo: il reste à donner plus de relief et d'accents, mettre en son comme on met en scène, c'est à dire mieux animer l'orchestre quelquefois un peu plat, mais il écoute les chanteurs et au total la prestation est loin d'être indifférente." Un spectateur disait devant moi à sa compagne "le chef est inexistant". Il a d'ailleurs reçu des huées de la part des imbéciles de service, ignares et injustes. Sa direction, si elle n'est pas sonore, est très fluide, et assez fouillée: elle n'envahit pas le plateau ou la salle par son volume, car dans une salle aussi vaste et sur un tel répertoire, Mariotti retient le son pour laisser les voix s'épanouir, c'est un choix qui se défend, d'autant que l'orchestre est parfaitement au point, que l'ensemble est rythmé et respire, et que si "la tromba non suona", il reste que cela sonne quand il faut, et avec une certaine élégance: Bellini n'est ni Donizetti, ni le jeune Verdi. C'est une approche dans le répertoire italien que je préfère mille fois à celle d'un Daniel Oren, ou à l'opposé de celle de Pido' (que je ne déteste pas..) dans Norma pour de citer que ceux-là.
Même avec ses inévitables hauts et bas (plus de hauts que de bas, soyons justes) le plateau est très défendable et les choix de chanteurs cohérents. Je voudrais d'abord saluer Luca Lombardo (qui commença sa carrière en s'appelant Bernard Lombardo, car il est français): il a une place particulière dans mon Musée mélomaniaque car il fut le Floreski de Riccardo Muti dans ma chère Lodoïska à la Scala: il a ici un rôle de complément (Sir Bruno Roberton) dont il s'acquitte avec honneur, tout comme Wojtek Smilek qui prête sa voix de basse profonde à Lord Gualtiero Valton. Je voudrais aussi signaler le beau timbre d'Andreea Soare (issue de l'Atelier Lyrique de l'Opéra de Paris) dans le rôle d'Enrichetta di Francia, une voix chaude qui sonne bien, et qui laisse espérer une suite de carrière intéressante.
J'attendais beaucoup de Mariusz Kwiecien (Sir Riccardo Forth), qu'on n'avait pas revu à Bastille depuis le Roi Roger en 2009. Belle voix de baryton, bien posée, bien projetée, belle diction, jolis aigus: il fait une belle carrière dans les barytons de Verdi, Donizetti et Bellini au MET. Son premier air (Il duol che al cor mi plomba et bel sono beato) est parfaitement en place, énergique, bien projeté: il obtient d'ailleurs des applaudissements nourris. La suite est moins intéressante, l'aigu est un peu "savonné", la voix manque quelquefois d'éclat, c'est un peu décevant par rapport à l'attente et même dans le duo fameux "suoni la tromba", c'est Pertusi qu'on remarque plus: il reste que l'artiste est intéressant et mérite d'être réentendu, peut-être en meilleure condition vocale.
Michele Pertusi est vraiment le triomphateur de la soirée dans Sir Giorgio: d'abord parce que de tout le plateau, c'est le seul qui a exactement le style voulu. Sa longue fréquentation de Rossini et des romantiques lui a donné une impeccable ligne de chant, un sens de la nuance, une manière unique de colorer, une intelligence du texte, toujours d'une grande clarté et parfaitement émis. Oui, il a du style, et il sait ce qu'il chante. Dans ce rôle très humain, son chant dégage une chaleur, une douceur particulières. Il obtient le plus grand triomphe et c'est parfaitement mérité.
Le style n'est pas ce qui marque la prestation de Dmitri Korchak. Il a les aigus - même les plus hauts-, le volume, la justesse, le contrôle; mais son chant reste monotone et peu expressif, il chante tout de la même manière, a toujours le même mode de lancer la voix, avec un fort appui sur poitrine et diaphragme: il chante "di petto", avec un timbre un peu nasal et sans toujours le legato voulu. Quand on pense style, élégance, modulation, notes filées, variations, cadences: on est à la peine. De plus son attitude scénique raide, l'absence totale de mouvement (les bras désespérément le long du corps), n'arrangent pas les choses et le personnage est sans vraie vie, sans animation, sans âme. Du chant, oui, de la musique, pas vraiment, sauf peut-être dans le duo final avec Elvira.
Reste Maria Agresta. Cette jeune chanteuse éveille l'intérêt parce qu'elle sait chanter Verdi avec une certaine sûreté, elle a une belle voix de soprano lyrique, avec des aigus sûrs et une certaine aptitude à vocaliser, notamment dans le jeune Verdi. Je l'ai entendue récemment à la Scala dans Oberto Conte di San Bonifacio, où elle ne m'avait pas déplu. Dans Elvira, elle est d'abord très émouvante, très juvénile, dans sa robe de mariée qu'elle ne quitte pas, tache blanche au milieu de tant de gris et tant de noir, très engagée en scène, c'est un atout dans cette production, surtout face à l'Arturo un peu plâtré de Korchak. Vocalement, elle domine sans conteste le rôle, notamment les parties centrales qui exigent quelquefois une forte tenue de souffle et une ligne qu'elle tient avec sûreté. Elle se sort des cadences avec bonheur, et la plupart de ses airs sont vraiment réussis. Il lui manque cependant de la réserve à l'aigu. Les aigus sont tous tenus, mais aussi tendus, mais aussi un peu tirés et quelquefois un peu métalliques, notamment les notes les plus hautes. Par rapport à la couleur du registre central, cela détonne un peu. Le volume est satisfaisant sans être exceptionnel, mais la diction est bonne et la projection vocale bien en place. Le timbre n'est pas (pour mon goût) particulièrement séduisant et n'a pas ce velouté et cette chair qui me plaisent tant dans ce répertoire. Mais la prestation est plus qu'honorable et elle sait tenir ce rôle sans faiblir. Gros succès final.
Au total, ces Puritani une entrée à l'Opéra musicalement réussie mais scéniquement indifférente sinon ratée (au moins pour mon goût), une Première au succès franc sans être un triomphe. On devrait quand même entendre encore plus de Bellini à Paris: après Norma il y a quinze jours, I Puritani ce soir, on rêve d'entendre Beatrice di Tenda et de réentendre I Capuleti de i Montecchi que Mortier nous avait offert avec Netrebko et Di Donato…heureux temps...