Les filles lèvent la tête, qu’elles ont plongée dans un grand seau d’eau sale, leurs visages sont dégoulinants – la nuit a été dure -, les yeux ont peur, mais me voir est un soulagement, elles vont pouvoir «me les passer», comme on passe le fusil dans les tours de garde.
- Je te souhaite bien du courage.
Je sais. J’aurai la même tête que vous ce soir. Douze heures dans la chair humaine, nue dans la neige, nue dans le feu, nue quand il est vital de se couvrir.
Commence alors la présentation du service, chambre par chambre, femme par femme, âme humaine par âme humaine, drame par drame, vie par vie. En quelques mots : enfant, mort, anorexie, trisomie, hémorragie, déchirure, antécédents, pleurs, peurs, angoisse, nuit, crevasses, engorgement, tire-lait, solitude, mari, fausse couche, interruption médicale de grossesse, césarienne en urgence, utérus, ligature, psychosocial, infection, maltraitance, lien maternel, fragilité, dépression, périnée.
Elle traverse les couloirs à toute vitesse, passe d’une chambre à l’autre, dispense les soins, se démène pour aider et soutenir de futures mamans. A la maternité, sous sa blouse rose pâle, Béatrice passe inaperçue… Dans son cœur pourtant c’est chaque jour un chaos émotionnel, une bourrasque de bonheur. Un jour, Béatrice a eu elle aussi des enfants et a dû se poser, rechercher un autre travail… Elle qui naguère dansait nue dans un spectacle de rue et partageait la vie de Gabor, son amour. Mais le beau comédien Gabor n’a pas accepté de laisser tomber sa vie itinérante et s’est envolé…
Un roman poignant qui touche en plein cœur. Un plongeon dans ce que la femme a de plus intime, de plus fort… un enfant. L’auteur nous invite à suivre ces femmes de l’ombre, telle Béatrice, qui apaise les tourments ressentis lorsque l’accouchement s’annonce, la peur de l’inconnue lorsque c’est le premier enfant qui naît, et tout ce qui se déroule nuit et jour dans les murs d’une maternité où retentissent les cris de douleurs, de joie mais aussi parfois de désarroi…
Ainsi, nous accompagnons Béatrice dans les couloirs de cet antre qui exhale le désinfectant, l’Iso Betadine, le Dettol. Toute l’atmosphère de ce lieu est décrite de façon magistrale, même si au début j’ai failli abandonner la lecture en pensant que l’auteur se bornerait à nous relater à la façon d’un feuilleton médical américain (que je ne citerai pas ici…) le quotidien d’une puéricultrice parmi ses patientes.
Mais l’auteure va bien au-delà et nous raconte surtout l’histoire de Béatrice, ancienne danseuse puis mère à son tour, forcée d’oublier son compagnon artiste, de se frayer un chemin dans une vie rythmée par les contraintes d’un nouvel emploi fixe et de s’installer avec ses enfants. Les personnages sont très attachants. Tant les membres du personnel de la maternité que les patientes, tous portant un message intense de vérité.Et l’on se réjouit aussi d’en apprendre plus au sujet de la chambre 2, qui va nous dévoiler ses mystères troublants…
L’écriture est lumineuse et soutenue. Grave, aiguisée, sans étalage de fioritures, les mots saisissent d’un bout à l’autre du récit. Ainsi, l’on passe du rire aux larmes sans ménagement.
Un petit bémol tout de même… relevant d’un ressenti tout à fait personnel… Certes, il s’agit d’un récit bien construit, à travers une écriture percutante, mais dont la thématique un peu trop ciblée ne s’adresse qu’à des femmes, mères ou non. Et les âmes sensibles devront s’abstenir…
Chambre 2 de Julie Bonnie
Date de parution : 29/08/2013