Les identités meurtrières d’Amin Maaalouf
Crina Grosu, étudiante en Master ROM à l’UCL
Ma réflexion s’articulera autour de la question de l’identité, de celle du fanatisme qui se présente comme une fermeture sur une identité bien déterminée, doublé par l’exclusion de tout autre point de vue pour enfin parvenir à la proposition de techniques d’harmonisation interculturelles aussi bien dans le cadre de la vie sociale quotidienne que dans celui de l’enseignement à des personnes culturellement différentes. Ayant déjà suivi un cours en sociologie de Théorie des actions et identité, j’articulerai mon développement autour des concepts déjà intégrés avec ceux véhiculés par le livre d’Amin Maalouf « Les identités meurtrières », ainsi qu’avec les concepts pédagogiques de didactique du français enseigné en tant que langue étrangère assimilés grâce aux lectures : « Interculturel. Des questions vivent pour le temps présent » et « Islam-Occident. Pour un dialogue interculturel à travers des littératures francophones » de Luc Collès. J’apporterai une contribution particulière en ajoutant également des exemples personnels afin d’expliciter et de soutenir les propos et conceptions développées dans le cadre du présent travail.
0. La question de l’identité
L’avènement de l’individualisme en Europe
Il semble que l’identité soit au cœur de nos débats contemporains, qu’il s’agisse de politique européenne ou internationale, d’enseignement, d’appartenances à des communautés spirituelles ou à de simples groupes sociaux. L’identité englobe donc un certain nombre d’aspects, néanmoins, comme le dit Amin Maalouf dès la première page de son livre, nous ne savons pas toujours très bien ce qui se cache derrière ce concept.[1] L’identité telle que nous la concevons aujourd’hui est en réalité un concept moderne apparu avec l’avènement de l’individualisme.
Depuis le 18e siècle, le rapport entre l’individu et la société a subi de grandes transformations. Dans les états pré-modernes, les personnes étaient principalement identifiées à leur statut social. Le sujet avait de solides ancrages dont il pouvait jouir tout en ne pouvant pas y échapper. Les conceptions se sont modifiées avec les siècles et les changements qui ont eu lieu.
L’individualisation survient en deux phases chronologiques.[2] La première est l’individualisation moderne qui débute avec le siècle des lumières et trouve son apogée lors de l’avènement de l’ère industrielle. L’idée d’égalité et de dignité des êtres humains se propage dans notre vieille Europe. L’identité du sujet prend un nouveau tournant car l’homme est placé au centre des réflexions, alors que les liens et les traditions se relâchent de plus en plus. L’identité n’est plus une réalité liée à un nous mais bien à un moi. L’individu est reconnu comme citoyen et ses droits augmentent toujours plus. L’accès aux divers cercles sociaux n’a plus de lien avec l’hérédité. L’appartenance à des groupes sociaux, professionnels, et même religieux devient un choix et n’est plus le résultat d’une prédétermination.[3]
La deuxième phase de l’individualisation est celle de la globalisation, que nous connaissons encore aujourd’hui. L’avènement de la société de masse, outre qu’affirmer une société horizontale qui s’oppose à la verticalité hiérarchique qui prédominait, se caractérise par un affaiblissement de l’autorité. Même pour ce qui est du cercle professionnel, le contrôle au travers de normes cède le pas au contrôle des résultats qui doivent être mesurables et objectifs. Les valeurs changent et les sujets s’identifient, grâce au moyens de communications et aux mass media, à de plus en plus de cercles qui constituent leur individualité.[4]
Le concept d’identité personnelle
L’identité personnelle correspond donc aujourd’hui à une multitude d’identifications. Ces identifications sont totalement dépendantes du contexte socioculturel dans lequel naît le sujet. En effet, il est plus question de transmission de repères identitaires dans un premier temps, qui est celui de l’enfance, que de véritables choix. Par la suite seulement, peuvent s’opérer les choix identitaires. Bien sûr la liberté vis-à-vis de ces choix est très relative en fonction du contexte socioculturel. Par exemple, il semble difficile pour un homosexuel de pouvoir exprimer pleinement cet aspect de son identité s’il se trouve dans un des nombreux pays où l’homosexualité est passible de peine de mort. Par ailleurs, comme le rappelle Amin Maalouf dans son livre, les différentes identifications sont souvent hiérarchisées en fonction des moments de la vie et des circonstances.[5]Un Kurde n’accorderait pas la même importance à son identité culturelle - par exemple, sous l’empire Ottoman quand celle-ci n’était pas remise en question et menacée - que sous la politique de Mustafa Kemal Atatürk[6] Sous l’effet de cette menace, le peuple s’est rassemblé pour fortifier son identité mais cette radicalisation a conduit à l’intégrisme.
Rapport de l’identité personnelle avec autrui
Comme nous venons de le voir avec l’exemple précédent, l’identité se construit toujours par le biais du regard et de l’approbation de l’autre ou des autres. Il s’agit d’une reconnaissance implicite ou explicite de la part de ceux à qui l’on s’assimile, que ce soit des groupes sociaux, professionnels, religieux ou familiaux. Selon Loredana Sciolla, l’identité est « la capacité autoréflexive d’un individu ou d’un groupe à percevoir sa propre continuité et sa propre cohérence spatio-temporelle par rapport à d’autres qui le reconnaissent. »[7] Ce concept a donc deux faces car il renvoie en même temps à soi et à l’autre. La conviction de continuité du sujet et le sentiment d’appartenance à un nous plus vaste vont donc de paire. Quels que soient nos choix, nous les posons toujours par rapport et en réponse, positive ou négative, à des valeurs (culturelles, politiques, …) qui nous entourent. Nous faisons partie du monde et ce que nous faisons contribue et contribuera toujours, quelle qu’en soit la manière, à celui-ci.
La multiplicité d’appartenances
La multiplicité d’appartenances peut poser problème dans la mesure où l’identité est encore conçue pour beaucoup comme un concept se devant de mettre en avant une appartenance, qui serait la plus importante et qui définirait le mieux le sujet. Or, de plus en plus de personnes sont constituées par une multiplicité d’appartenances mais aussi d’identifications. Amin Maalouf nous développe son point de vue quant à sa propre identité d’immigré libanais catholique vivant en France depuis 1976 et ayant moi-même de multiples appartenances, je me sens très proche des propos tenus par l’auteur.
En effet, je suis née en Roumanie de parents Roumains mais j’ai grandi entre mes trois et mes huit ans dans une culture italienne importée par un beau-père italien, professeur universitaire de littérature italienne. Sans avoir vécu sur le territoire italien, mon enfance est italienne ; de mes jouets aux fêtes enfantines comme la Befana, en passant par la nourriture et la télévision que je regardais beaucoup car j’étais enfant unique. J’étais parfaitement bilingue italien-roumain. À huit ans, suite au décès de mon beau-père, j’ai quitté la Roumanie pour la Belgique avec ma mère. Je n’ai plus parlé italien jusqu’à l’université quand j’ai commencé mes études en langues et littératures françaises et romanes. Souvent, on me demandait pourquoi je parlais si bien l’italien et je n’osais pas valoriser mon appartenance à cette culture car elle n’était qu’un souvenir qui n’avait jamais été ancré dans une réalité territoriale.
Équilibrer mes trois appartenances, les accepter et les valoriser à leur juste mesure n’a pas été chose facile. Mon arrivée sur la terre belge s’est accompagnée d’un déni de mes deux appartenances précédentes, pour ressembler à mes autres camarades et être reconnue comme une des leurs. J’ai ainsi dû choisir entre la négation de moi-même et celle de l’autre[8]. Ce n’est qu’à l’université que j’ai senti un regard différent et enthousiaste sur ma différence. J’ai alors commencé à voir cette différence comme une richesse quand le Professeur Maeder m’a félicité sur le fait que je parlais trois langues romanes. Avec la réussite de ma première année de baccalauréat, ma confiance en moi gagnait suffisamment de terrain pour partir à la conquête de mes racines. Après avoir accepté et valorisé mon appartenance à la culture et à la langue roumaine, il fallait que je comble le vide matériel, l’absence si pesante de mon appartenance italienne. Je suis partie en Erasmus à Turin, à la rencontre de cette autre partie de moi que je n’avais jamais pu vivre pleinement, dans toutes ses dimensions. Pendant ces sept mois, je me suis employée à devenir qui je suis. J’ai comblé le vide dans mes racines et je suis devenue fière de toutes mes appartenances. Quand je devais me présenter, je racontais que je venais des trois coins de l’Europe. Maintenant que mes trois appartenances sont reconnues et vécues en parfaite harmonie, je me sens en sécurité et sûre de qui je suis, je me sens prête à parcourir le monde pour devenir qui je veux être. L’identité est, comme le disait le vieux maître Aristote dans sa Poétique, en constante construction.[9]
J’ai recherché une stratégie identitaire pour réunir mes trois appartenances culturelles sous la bannière de mon mémoire. Je voulais faire un mémoire sur les contes populaires roumains, italiens et belges. Cela me semblait une bonne stratégie pour rassembler toutes mes racines dans le même livre. Mais j’ai très vite changé d’avis et, toujours dans l’idée de vouloir compenser ce vide italien, je me suis tournée vers l’analyse d’une pièce de l’acteur-dramaturge-metteur en scène italien très controversé Carmelo Bene. Ce choix n’est pas anodin, car outre le fait de couronner mes études par un mémoire écrit en italien, il m’ouvre vers des problématiques contemporaines concernant notre société occidentale. Je me tourne donc maintenant vers des réflexions qui détermineront mon avenir, forte et fière de mon passé.
1. Le fanatisme
Bien sûr, je sais très bien que tout le monde ne peut harmoniser ses multiples appartenances aussi facilement, si je puis dire. Grâce aux programmes d’échanges et aux autres horizons culturels proposés par certaines matières à l’université et dans les hautes écoles, les mentalités des étudiants changent. Notre Europe s’ouvre au monde à force de se placer face à d’autres cultures. Le relativisme culturel dans notre milieu est un facteur d’intégration mais ce n’est malheureusement pas le cas dans tous les milieux et encore moins dans tous les endroits du globe. En effet, si le milieu académique valorise les diversités culturelles, il est aisé de voir que celles-ci créent ailleurs des massacres sans nom. Le titre du livre est d’ailleurs relevant à ce sujet. Les identités meurtrières, sont ce qu’Amin Maalouf dénonce comme une conception qui réduit « l’identité à une appartenance, [ce qui] installe les hommes dans une attitude partiale, sectaire, intolérante, dominatrice, quelque fois suicidaire et les transforme bien souvent en tueurs, ou en partisans de tueurs »[10].
Depuis toujours, des gens prétendent que les massacres ethniques sont inhérents à la nature humaine. Il semble un peu simple d’éliminer un tel comportement en le plaçant dans la catégorie de « crimes passionnels collectifs »[11]. De tels crimes sont évitables à l’avenir si l’on cherche à en comprendre les causes maintenant. Les mentalités ont évolué dans tous les domaines, et certaines choses impensables il y a un siècle sont aujourd’hui communément admises comme faisant partie des droits de l’homme. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer qu’à l’époque où Amin Maalouf écrivait son ouvrage, le fait qu’un président de couleur noire soit élu aux États-Unis semblait encore plus qu’incertain… Il est impératif de faire une différence entre la légitime affirmation de l’identité et l’empiètement sur les droits des autres. Chaque être humain a le droit de vivre en paix, en pratiquant sa langue, sa religion et en perpétuant ses traditions, dans la mesure où celles-ci n’atteignent pas la liberté et le bien-être d’un autre être humain.
Le fanatisme s’installe dans une communauté quand celle-ci se sent agressée et opprimée ou que celle-ci veut se fermer à une autre communauté en construisant une nette séparation ou en niant une quelconque composante de la culture de l’autre. La confrontation aboutit à des massacres qui ne sont bénéfiques à aucune des deux parties. Plutôt que de s’affronter il faut apprendre à s’accepter. Il semble que nous soyons dans une dynamique conflictuelle. Un exemple qui me semble éclairant de par le nombre d’interrogations qui se posent est celui du peuple juif. Dans un premier temps, pourquoi durant le régime nazi, ne pas permettre aux Juifs d’exister à cause du simple fait qu’ils soient Juifs? Est-ce que des humains sont inférieurs aux autres juste de par leur appartenance ?Pourquoi cette haine pour l’autre et pour sa différence ? Ensuite, dans un second temps, pourquoi les Juifs, peuple opprimé par excellence qui a vécu l’atrocité, entrent-ils dans un conflit sans fin avec les Palestiniens ? Pourquoi devenir bourreau à son tour et infliger à l’autre ce que nous avons subi ? Il est impératif de débusquer ces dynamiques afin de les remplacer.
Un autre monde est possible. Un monde où plus personne ne se sentira opprimé ou dénigré, parce qu’on aura appris à s’aimer avec nos différences. Ce ne sont pas là des propos utopiques que je tiens. J’ai appris à vivre et à respecter les croyances et la culture de chacun dans la mesure où on ne tentait pas à m’imposer de quelconques idées mais où la recherche d’un dialogue était l’unique but de l’échange. Partager les différences autant que les similitudes me semble désormais naturel, pourtant je ne me considère pas comme un spécimen surdéveloppé de notre humanité. Néanmoins, mon ouverture d’esprit vient du fait que je me trouve dans un contexte occidental où je me sens libre de réfléchir. J’ai cherché le point commun entre les religions et philosophies que je connaissais et puis j’ai réfléchi aux différences. En réalité, nous étions deux dans cette quête de sens. Je l’ai fait avec une musulmane née en France et qui a grandi en Angleterre. Ensemble nous avons construit un dialogue et nous avons appris l’une de l’autre, parce que le rapport à nos croyances est construit dans un esprit de liberté et non d’obligation. Que ce soit dans une société divisée comme le dit Amin Maalouf ou dans nos sociétés occidentales en paix, il se trouve toujours des hommes « frontaliers de naissance, ou par le hasard de leur naissance »[12]. Notre chemin commun et notre ouverture envers l’autre ont fait de nous des relais entre nos différentes cultures et croyances et nous ont permis d’évoluer.
Amin Maalouf parle d’une exagération de l’influence des religions et des doctrines sur les peuples. En effet, c’est le contraire qui se produit. Ce sont les hommes qui interprètent les concepts en fonction de leur contexte et de leur état d’esprit.[13] Dans une société sûre d’elle, les individus seront sereins et ouverts alors que dans une société mal assurée et immobile, ceux-ci seront réfractaires aux moindres changements, comme le montre l’exemple éclairant de l’islam et du christianisme au cours des siècles.[14] Aucune doctrine n’est libératrice et toutes peuvent déraper selon le contexte et les mentalités.[15] Entrer en dialogue et s’ouvrir à l’autre présuppose de partir d’un état d’équilibre. Cela exclut donc des attitudes sur la défensive ou se nourrissant d’idées de supériorité et d’infériorité entre deux cultures, religions, langues … Il faut que tout le monde se sente libre et acceptéafin que les différences soient des richesses en non plus des raisons de conflits. Partager ensemble et trouver le sens commun de nos pratiques (tout en les maintenant) est bien plus rassurant que de s’enfermer dans ces pratiques par peur d’un changement.
Cette réflexion ne constitue pas tant une critique au monde arabe qu’au monde chrétien. Ce dernier en affirmant sa supérioritéparalyse toute communication avec le monde arabe au lieu de tendre la main sans condescendance pour l’aider à évoluer à son tour. Les religions sont faites pour relier les hommes, il n’est plus besoin d’une seule religion mais de trouver des paroles éclairantes dans chacune d’elles et de partager ces paroles entre nous. Se fermer à une religion, une langue, une seule tradition c’est se fermer à ce que les autres peuvent nous apprendre sur nous-mêmes et sur nos aspirations profondes. L’identité est en constante construction, elle n’est pas un tout monolithique et immuable et elle passe par le rapport avec l’autre. Pas seulement par un autre qui nous ressemble et qui nous réconforte dans nos acquis mais aussi, par un autre qui est bien différent et qui nous permet de nous remettre en question. Je suis heureuse d’être née femme en occident, mais peut-être que quand je serai vieille je me dirais que j’aurais préféré naître femme dans le monde arabe pour que mes enfants s’occupent à leur tour de moi et pour ne pas me sentir abandonnée comme un vulgaire objet de consommation dont l’obsolescence était de toute manière programmée. L’altérité peut entraîner le racisme par simple peur car on a tendance à considérer l’autre comme un miroir de nous-mêmes. Si le reflet renvoyé ne correspond pas à nos valeurs, on prend peur et on le rejette au lieu de l’accepter et de relativiser nos propres identifications culturelles ou idéologiques.[16]
2. Le respect de l’Autre et de sa différence
Les postulats de l’universalité consistent à considérer qu’il y a des droits inhérents à la dignité de la personne humaine. Malheureusement, ces droits, bien qu’ils soient universels ne sont pas respectés de la même manière en fonction des lieux et des pays.[17] Nous devons évoluer pour offrir un monde libre à nos enfants afin d’appliquer enfin le 3e article de la Déclaration universelle des droits de l’homme : « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne »[18]. Considérer l’identité comme étant constituée d’appartenances multiples rend la communication et la communion avec l’autre possible. Dès le moment où l’on conçoitl’identité comme un ensemble d’appartenances, il n’est plus question de peur de l’étranger, de cet autre, puisque nous sommes nous-mêmes constitués d’autres appartenances que celle que l’on voudrait dominante. Accepter les multiples aspects de notre identité entraîne à accepter les droits de ceux qui sont différents de nous. Nous faisons partie de la même humanité et tant que l’on n’apprendra pas à vivre ensemble en acceptant aussi bien nos similitudes que nos différences nous ne trouverons pas la paix et l’équilibre.
Ce combat pour l’universalité des droits de l’homme et des valeurs doit être parallèle à un autre combat selon Amin Maalouf. En effet, il est important, afin de ne pas succomber à l’uniformisation envahissante de défendre nos particularismes et les particularismes de manière plus générale.[19] La diversité est enrichissante et la mondialisation permet aussi de s’ouvrir à l’autre grâce aux multiples moyens de communication. Nous avons la possibilité plus que jamais de découvrir tous les aspects (que ce soit la musique, la nourriture, les traditions, etc.) d’autres cultures, il faut donc profiter de ces merveilleux outils pour opérer les bons choix.[20] Voulons-nous manger des fast food et regarder des séries télévisées abrutissantes ou bien découvrir une cuisine de l’autre bout du monde et regarder des émissions/films qui contribuent à notre enrichissement intellectuel et culturel ? Devons-nous vivre de manière égoïste sous prétexte que nous ne changerons pas le monde ou bien faire le choix de privilégier un mode de vie favorable à notre planète et aux humains qui la peuplent ? Dans un monde dominé par la politique économique de l’offre et de la demande, nos choix sont importants et font pencher la balance. Chaque acte, qu’il soit positif ou négatif se répercute et contribue au monde.
Chacun doit pouvoir se reconnaitre dans cette globalisation. En effet, si l’on ressent la modernité comme la main mise de l’étranger il ne sera pas aisé de se sentir intégré.[21] Les changements dus à la mondialisation sont survenus très vite et il est naturel que les mentalités soient encore à la traîne. Une harmonisation interculturelle parviendrait à amener un équilibre précieux pour notre humanité. « L’identité est avant tout affaire de symboles, et même d’appartenances »[22], il faut donc que chaque individu puisse reconnaître des signes d’identification pour ne pas se sentir dominé par une autre culture. Il serait désastreux que la mondialisation fonctionne à sens unique, avec d’un côté des émetteurs universels et de l’autre des récepteurs. Afin que la diversité culturelle ne soit pas menacée, chacun doit assumer ses appartenances. De nos jours, les moyens de communication sont nombreux afin de soutenir sa culture ou simplement la circulation d’idées.[23]
Dans le cadre de cette mondialisation croissante, les pédagogies interculturelles deviennent impératives, et cela aussi bien dans des classes de français langue étrangère que dans des classes ordinaires. De nos jours il n’est plus nécessaire d’enseigner le français en tant que langue étrangère pour se retrouver face à une classe dont les élèves ont de multiples appartenances. Les enseignants doivent être préparés à faire face de manière constructive aux différences interculturelles qui peuvent se présenter à eux. L’interculturalité est avant tout une rencontre, un croisement entre différentes cultures, c'est-à-dire entre différents systèmes qui font lien au sens large du terme.[24] Afin de pouvoir sensibiliser les élèves à l’interculturel il faut d’abord les initier au système culturel auquel ils vont être confrontés. En effet, « c’est dans la confrontation à d’autres formes de pensée, à d’autres modes de vie, à d’autres systèmes de valeurs que je peux mieux situer les miens, c’est à dite à la fois les identifier et les relativiser »[25].
On peut proposer une approche de l’interculturel par un exercice sur les représentations et les stéréotypes. En effet, grâce à ce genre d’approche, les élèves sont amenés à se rendre compte que leur manière d’organiser leur connaissance de la réalité est elle-même liée à leur appartenance socioculturelle. La langue maternelle a elle-même une importance fondamentale sur la conception de la réalité, comme l’avait avancé l’hypothèse Sapir-Whorf.[26] Par ailleurs, en identifiant les principes distinctifs des cultures confrontées et donc en aboutissant inévitablement aux stéréotypes, ils se rendront compte que ces derniers sont réducteurs et bien trop généralisants que pour avoir un véritable poids dans la description d’une réalité culturelle.[27]Dans un second temps, on peut amener les élèves vers une approche plus anthropologique en les mettant face à des textes littéraires qui les plongent directement dans cette autre conception de la réalité.[28] Le texte en tant que « mise en forme esthétique de représentations partagées par les membres d’une même communauté »[29] devient un prisme par lequel voir des conduites et des comportements spécifiques liés aussi bien à la structure spatiale, à celle temporelle qu’à d’autres organisations de la culture discutée.
En choisissant de devenir professeur, je voudrais pouvoir enseigner avant tout le dialogue et l’échange. On dit souvent que c’est en regardant le maître que l’on apprend réellement et non en écoutant ses paroles, alors je voudrais pouvoir leur donner cet exemple d’ouverture. Une pédagogie interculturelle me semble ainsi nécessaire afin d’éviter ou d’amoindrir le choc interculturel et de prévenir aux malentendus.[30] Le relativisme culturel pouvant pousser à des dérives, l’ouverture à l’interculturalité doit bien entendu être encadrée par des valeurs fondées sur la dignité humaine, tel que celles énoncées dans la charte des droits de l’homme.[31]
3. Conclusion
Après avoir abordé les dimensions de l’identité, ses dérives destructrices et meurtrières, il apparaît que reconnaître les autres potentiels qui sont en nous, afin d’accueillir et d’accepter l’altérité extérieure sans peurs, devient une condition sine qua non pour s’ouvrir à l’interculturalité. Alors que Régis Debray fait son Éloge des frontières[32], je me vois obligée de proclamer : à bas les frontières ! «qu’elles soient intérieures ou extérieures à notre personne. Plus de murs mais des tentures, des portes coulissantes et des murs en papier ! Harmoniser nos cultures non pas en créant une culture unique mais en maintenant les particularismes et en les valorisant. Pousser au relativisme culturel et à la découverte de l’autre autant que possible, que ce soit au travers de pédagogies interculturelles dans le secondaire ou au travers de stages et de séjours à l’étranger plus tard. Vivre l’ère de la mondialisation en s’y intégrant et en y apportant la dimension de notre identité personnelle, voilà le défi enrichissant de notre siècle et voilà ce à quoi je voudrais aider nos enfants en tant qu’enseignante.
Je souhaiterais conclure en insistant sur le fait que j’ai abordé la problématique de l’identité de mon point de vue, en y rapportant mes propres expériences ainsi que les savoirs accumulés durant ces cinq dernières années à l’université. J’ai pris beaucoup de plaisir à élaborer une réflexion portant sur la complexité de l’identité et de ses multiples facettes. Mon parcours académique se terminant peu à peu, je tiens à vous remercier. Vous faites partie des professeurs qui m’ont beaucoup éclairée et aidée durant ce dernier lustre de réflexion et de recherches personnelles.
Bibliographie
Ouvrages :
- ARISTOTE, La Poetica, Turin, Piccola Biblioteca Einaudi Classici (Filosofia), 2008, chapitre VI, p.38-49.
- DEBRAY R., Éloge des frontières, Paris, Gallimard, 2010.
- MAALOUF A., Les identités meurtrières, Paris, Grasset, 1998, p.15.
- SCIOLLA L., L’identità a più dimensioni. Il soggetto e la trasformazione dei legami sociali, Rome, Ediesse, 2010
Ouvrages pédagogiques :
- COLLÈS L., Interculturel. Des questions vives pour le temps présent, Fernelmont, E.M.E., 2007.
- COLLÈS L., Islam-Occident. Pour un dialogue interculturel à travers des littératures francophones, Fernelmont, E.M.E., 2010.
Articles et autres :
- AY P. et KEMPTON W., What is the Sapir‐Whorf hypothesis?, dans American Anthropologist, 1984 - Wiley Online Library
- Déclaration universelle des droits de l’hommehttps://www.un.org/fr/documents/udhr/ page consultée le 17 mai 2013.
- Éléments d’analyse du conflit kurde en Turquie,http://www.irenees.net/bdf_fiche-analyse-859_fr.html page consultée le 16 mai 2013.
[1] MAALOUF A., Les identités meurtrières, Paris, Grasset, 1998, p.15.
[2] SCIOLLA L., L’identità a più dimensioni. Il soggetto e la trasformazione dei legami sociali, Rome, Ediesse, 2010, p. 71-74.
[3] Ibid., p.74-80.
[4] Ibid., p.80-87.
[5]MAALOUF A., op.cit., p.20.
[6] Éléments d’analyse du conflit kurde en Turquie,http://www.irenees.net/bdf_fiche-analyse-859_fr.html page consultée le 16 mai 2013.
[7]SCIOLLA L., op. cit., p.71 (traduction personelle).
[8]MAALOUF A., op.cit., p.44.
[9] ARISTOTE, La Poetica, Turin, Piccola Biblioteca Einaudi Classici (Filosofia), 2008, chapitre VI, p.38-49.
[10]MAALOUF A., op. cit., p.39.
[11]MAALOUF A., op. cit., p.44.
[12]MAALOUF A., op. cit., p.46.
[13]MAALOUF A., op. cit., p.59.
[14]MAALOUF A., op. cit., p.71-77.
[15] MAALOUF A., op. cit., p.62.
[16] COLLÈS L., Interculturel. Des questions vives pour le temps présent, Fernelmont, E.M.E., 2007, p.45.
[17]MAALOUF A., op. cit., p.123-127.
[18] Déclaration universelle des droits de l’homme https://www.un.org/fr/documents/udhr/ page consultée le 17 mai 2013.
[19]MAALOUF A., op. cit., p.125.
[20]MAALOUF A., op. cit., p.125-127.
[21] MAALOUF A., op. cit., p.139-140.
[22] MAALOUF A., op. cit., p.140.
[23] MAALOUF A., op. cit., p.143-146.
[24] COLLÈS L., op.cit., p.15-17.
[25] Ibid., p.45.
[26] KAY P. et KEMPTON W., What is the Sapir‐Whorf hypothesis?, dans American Anthropologist, 1984 - Wiley Online Library .[27] COLLÈS L., op.cit., p.79-80.
[28] ID, Islam-Occident. Pour un dialogue interculturel à travers des littératures francophones, Fernelmont, E.M.E., 2010, p. 79-237.
[29] Ibid., p.113.
[30] COLLÈS L., Interculturel. Des questions vives pour le temps présent, op.cit., p.98-100.
[31]Ibid., p.117-118.
[32] DEBRAY R., Éloge des frontières, Paris, Gallimard, 2010.