Vingt-deux ans après Ludovic, je suis, à mon tour, allé à Auschwitz. Une destination très attendue dans ce road-trip estival de trois semaines programmé pour traverser trois pays (Allemagne -Heidelberg, Berlin, Nuremberg-, Pologne -Poznan, Varsovie, Lodz, Cracovie, Wieliczka- et République tchèque -Kutna Hora, Prague).
L’évocation d’Auschwitz (Oswiecim en polonais) et de Birkenau (Brzezinka en polonais, et rebaptisé Auschwitz II), distants de trois kilomètres, nous renvoie directement aux images de prisonniers trop maigres, soutenus par des soldats soviétiques à leur libération. Pourquoi s’infliger, alors, le souvenir de telles images pour des vacances d’été ? Le tourisme de mémoire est quelquefois mal compris. Aller jusqu’en Pologne en voiture pour faire de camps concentrationnaires et d’extermination le point fort de son voyage peut paraître étrange. Et pourtant, quand on est passionné par l’Histoire et particulièrement de la Seconde Guerre mondiale, on a envie de connaître ces lieux, au même titre que les plages du Débarquement, Berchtesgaden, les ruines de Monte Cassino ou le mémorial de Katyn. Malheureusement, cette demi-journée passée en ces lieux sinistres fut une énorme déception.
L’arrivée à Auschwitz surprend
« Pouvez vous nous prendre en photo devant le panneau Arbeit macht frei ? »
Ce n’était pas une première fois que j’allais visiter un camp de concentration ou d’extermination. J’avais été profondément marqué par la froideur du Natzwiller-Struthof, en Alsace, et le poignant mémorial de Buchenwald, en Thuringe. Un peu moins par le camp de Dachau, en Bavière, davantage reconstruit que d’époque.
L’arrivée à Auschwitz surprend. Les parkings (payants) sont remplis de voitures et de cars. J’avoue que je ne m’attendais pas à voir autant de curieux visiter ce lieu pas comme les autres. Même si, déjà, à Cracovie (à 70 km), où j’avais dormi la veille, j’avais été assez étonné du nombre de tour-opérateurs qui proposaient des « excursions » vers Auschwitz, comme si vous partiez à la découverte des célèbres mines de Wieliczka toutes proches.
Une fois garé, la premières chose que l’on voit à l’entrée du camp, c’est… la cafétéria ! Autour, des magasins de souvenirs où s’expose à peu près tout ce qu’on peut trouver sur n’importe quel site touristique (porte-clés, livres, DVD, posters…) et un nombre hallucinant de visiteurs répartis par groupes, selon les langues…
La queue est immense, chaque visite de bâtiment se fait au pas de course selon le même rituel : attente dans le couloir d’un bâtiment que le groupe de devant ait terminé, on avance vite pour écouter le guide, et on file aussi vite pour laisser place au groupe suivant. C’est aberrant. Absurde que ce lieu de mémoire ne soit devenu qu’un immense site consacré au tourisme de masse. Malgré l’authenticité du camps et des traces quasi-intactes laissées par l’histoire, tout semble aseptisé.
Comment ressentir une quelconque émotion entre deux adolescents en short (« S’il vous plait, pouvez vous nous prendre en photo devant le panneau Arbeit macht frei ? C’est bien cette entrée qu’on voit en photo sur les bouquins d’histoire à l’école non ? »), une femme qui peine à calmer son bébé en poussette (même si, en théorie, comme le port des shorts, c’est interdit), et un couple qui trouve le moyen de rire sans excès de discrétion ? Quant à prendre des photos des lieux en évitant d’avoir trop de monde sur l’image, cela relève de la mission extrêmement compliquée et qui demande beaucoup de patience. Bref, on sent bien qu’ici, l’essentiel est de faire entrer le maximum de visiteurs, plutôt que de donner un vrai sens à cette visite qui ne devrait même pas faire l’objet de publicité. Non, Auschwitz n’est pas un lieu touristique comme les autres.
A Auschwitz, le « client » est roi
Une fois la visite d’Auschwitz terminée, nous empruntons un bus pour rejoindre Birkenau, à trois kilomètres. Les navettes sont nombreuses, et les bus remplis comme des oeufs. C’est fou. L’immensité du site d’Auschwitz II fait qu’on se sent moins à l’étroit et qu’il est possible de marcher en essayant de s’inspirer des lieux. De fixer cette fameuse voie de chemin de fer qui arrivait au milieu du camp. Mais il n’y a rien à faire, l’émotion n’est pas là. Trop de monde. Trop de choses artificielles autour. Je ne comprends pas.
Ce tourisme de masse dérange, mais il explique finalement l’indécence généralisée et cette absence de silence. Tout est fait pour que le « client » consomme sur place (nourriture, boutique souvenirs, parking…). Il paie, il est donc roi. Il doit pouvoir se sentir libre, ne pas être contrarié, ni soumis à des règles trop strictes.
On sait que le site a besoin de financements importants pour être préservé, mais on ne comprends pas pourquoi l’aseptisation de cet endroit a été à ce point provoquée (chaque année, près de 1,5 million de touristes visitent Auschwitz et Birkenau, dont près de 60 000 français). Auschwitz, une énorme déception. Je n’y retournerai pas.
Pour compléter ce reportage sur le « devoir de mémoire » à Auschwitz, découvrez le reportage de Ludovic Bonnet : « C’était donc ça Auschwitz… en 1988 »