Si l’on dépliait autrement ces quatre lettres initiales, on pourrait aller jusqu’à y voir l’annonce d’un Portrait de femme, d’Une Femme douce sans aucun doute : quatre-vingt-un poèmes de facture courte et acérée chantent le Son blanc du elle, pour reprendre en le détournant le titre d’un livre de Dominique Fourcade. « émi », sans majuscule, est le prénom découpé par les yeux de l’amour : émi aimée, amour d’émi, rarement un nom aura aussi justement émis une langue dédiée au désir, langue elle-même déclinée en anglais et italien, ces dernières entrouvrant autrement les lèvres amoureuses, et déplaçant cette « plaque du réel » contre laquelle il est parfois difficile de vivre, mais sur laquelle se gravent néanmoins les empreintes du souffle. Rarement une langue aura été aussi tactile et pleine de tact : déplisser la soie d’une âme incarnée, toucher l’autre dans le regard de son propre désir, s’attacher à l’échappée qu’ouvre le contact, vivre dans la durée attentive, attendre et atteindre la caresse. Ce n’est plus l’homme qui pénètre la femme, mais celle-ci qui l’emporte : travelling dont la grâce transporte le corps et l’esprit de l’homme aussi bien attentif qu’attentionné.
Origami : cet art japonais du pliage cité dans un des poèmes modèle la langue, qui zoome et fait le point sur certaines des sensations du corps. Frôler, observer, désirer les courbes et les arêtes, la perfection dans la claudication, l’équilibre du léger déséquilibre. Celui que signe la grâce : élégance du modèle, distinction des signes qui l’embrassent sans jamais le dominer. Dans chaque signe, au travers de chaque syllabe, l’harmonique amoureuse brille et vacille. Lire ces lettres, c’est aussi s’efforcer de ne pas suspendre leur fragile montage.
[Anne Malaprade]
Laugier, ltmw, Nous/disparate, 2013, 94 p., 12 euros.