Le 9 novembre dernier, le deuxième tour des élections du Maire de la Nuit à Paris a eu lieu dans une cinquantaine de lieux de vie nocturne de la capitale. Une bière à la main, un bulletin de vote dans l’autre, tranquille, on s’organise face au déclin supposé de la nuit parisienne jugée trop concentrée, trop chère, pas assez accessible. Résultat d’une initiative indépendante, l’organisation de cette élection s’inscrit dans le prolongement des Nuits Capitales, elles-mêmes découlant de la pétition Paris, quand la nuit meurt en silence. Après un premier vote via facebook, six candidats s’affrontaient pour représenter, à la manière du Nachtbrugemeester d’Amsterdam, les citoyens noctambules. Les propositions sont parfois intéressantes, souvent fleuries, toutes convergeant peu ou prou en faveur d’un dialogue constructif avec les pouvoirs publics et les associations de riverains pour que les noceurs puissent continuer à nocer à satiété. Et qu’ainsi la caisse enregistreuse marche sans entrave. Comme le dit si bien l’heureux élu, Clément Léon R., quand y’a de la teuf, y’a du taf. Ouais. Au-delà d’une tentative quelque peu brouillonne d’institutionnalisation et de légitimation de problématiques inhérentes à la réalité des nuits parisiennes cet ultime épiphénomène, trop esseulé pour être crédible, témoigne en filigrane d’une triple rengaine désormais servie à toutes les sauces, du sempiternel Paris, c’était mieux avant au rébarbatif Paris c’est pas Londres ni Berlin, en passant par la théorie du complot selon laquelle une mafia tiendrait tous les établissements parisiens par le cul de la pinte. Certes, il y a du vrai, mais il faut s’en doute se l’être donnée des années durant pour déclamer, à la manière d’un Didier Lestrade écœuré dans Minorités, que « Paris est une merde et son maire doit arrêter ASAP son ordonnance de Rohypnol » (lire). On est ainsi encore parti pour souper du Pulp à toutes les sauces, tandis qu’on bouffe sans rien avoir demandé à personne une kyrielle d’événements Facebook vantant les concepts berlinois ou UK underground de soirées se ressemblant peu ou prou toutes entre elles. Tradition française oblige, l’herbe est forcément plus verte ailleurs, moins chère et surtout de meilleure qualité : se la coller du côté de Kreuzberg relève désormais du quasi pèlerinage tandis qu’il n’y a rien de plus valorisant que de prendre le shuttle pour se mettre une mine à la Fabric. Une Fabric qui, comme le Berghain, serait un endroit autrement plus excitant que notre bon vieux Rex – fêtant pourtant dignement ses vingt-cinq. Sans doute, on ne va pas affirmer le contraire. Mais il y a une propension tellement grégaire à cet attrait pour la Currywurst et le porridge qu’on en oublie de regarder au plus près et d’investir ce qui se trame à quelques stations de métro de chez soi. Au fait, il est de quel couleur le papier peint de ta chambre ?
Si l’extension de la gentrification aux confins du périph’ parisien est un phénomène opérant telle une lame de fond depuis des décennies, Paris à toujours plus tenu du musée que de la ville en reconstruction, en ruines ou en mutation architecturale profonde. La seconde guerre mondiale n’a pas mis à sac l’urbanisation serrée francilienne, au contraire de Londres et Berlin, de la même manière que les grands entrepôts manufacturiers n’ont, à de rares exceptions près, été implantés dans le cœur de la belle endormie. Comment alors investir les vestiges de l’histoire ou les cicatrices de la désindustrialisation pour danser sur leurs ruines encore fumantes ? Putain de collaboration, putain de Napoléon III. S’esquinter la santé et s’obscurcir les lendemains dominicaux à toujours été plus aseptisé et guindé dans les dédales haussmanniens, quand bien même de nombreux clubs ont taillé une réputation de choix à la nuit parisienne. Une tendance aujourd’hui à son paroxysme et qui n’emballe que les plus naïfs ou amnésiques d’entre nous – n’est pas Patrick Thévenin qui veut (lire), oui le mec citant sans l’esquisse d’un sourire Brodinski et Pedro Winter pour nous redonner le moral. Comment se réjouir en effet d’aller s’entasser à La Machine du Moulin Rouge et raquer comme un connard pour des bières chaudes en canette ? Comment sauter de joie à l’idée de se coltiner les videurs du Wanderlust pour avoir le privilège de festoyer dans un truc rappelant étrangement d’impersonnelles cafet’ étudiantes, en moins bien ? Certes, des montagnes qui accouchent de souris, il y en a à chaque coin de rue à Paris. Ce n’est ni nouveau, ni ancien. C’est juste comme ça. Mais à force de prendre les trains de banlieue uniquement pour gagner les aéroports, on en oublie qu’une chiée de collectifs se bouge l’arrière-train pour faire vivre – et non revivre – la techno à Paris et ses environs bétonnés. Si le Weather Festival fut une agrégation de bonnes volontés, comment ne pas citer nos amis de Sonotown, Release the Groove, The Only Way Out, Club Lonely, I’m a Cliché, 75021 ou même les agités du Zéro Zéro. Aussi, à se barrer invariablement chaque week-end et s’en remettre pépère toute la semaine devant sa télé, on en oublie avec une facilité déconcertante qu’une multitude de concerts ont lieu dans les salles de la capitale, qui, si elles ne sont pas légion, ont tout de même le mérite d’exister et de faire vivre cahin-caha des agences de booking dans le game et le trend - de Super ! à Imperial – en plus d’autres bien plus modestes et à des années-lumière de la professionnalisation. Je pense à Super Drakkar, Gone with the Weed, Maison Sauvage ou même Hartzine Events, noircissant les programmations de lieux comme l’Espace B, la Mécanique Ondulatoire ou encore l’International avec des groupes sur les chemins boueux de la renommée – soit le moment idoine pour évoquer le concert des Canadiens de Doom Squad le 3 décembre prochain à l’Espace B (Event FB). D’ailleurs, à trop assimiler nuit et techno, on en arrive à occulter combien la scène musicale francilienne peut s’avérer attrayante : si l’on prend par la noblesse de la création contemporaine l’activité musicale, un Jeff Mills – récemment interviewé - tranche invariablement en faveur de Paris et de la France : « lorsque l’on appréhende la musique en termes d’expression humaine et de dispositif dans lequel matérialiser l’émotion, il n’y a pas beaucoup d’autres endroits en Europe de l’ouest qui peuvent se targuer d’avoir une telle histoire et une telle richesse culturelle« . Si l’on prend par la lorgnette politique l’émulsion musicale, quel autre pays que la France aurait transformé avec une telle fantasmagorie délétère la tournée C’est un Rêve des Death in June ? Menaces de violence des antifa, procès d’intentions, interdiction préfectorale, concert tenu dans des lieux secrets… du petit lait pour le sulfureux Douglas Pearce revêtant alors sa plus belle tenue de résistant à la censure, aussi homoérotiques fut-elle.
Ainsi donc, que cachent les Cassandre des Nuits Parisiennes, sinon un panier de crabes plus ou moins représentatif de l’individualisme contemporain ? En effet, on veut investir des immeubles inoccupés et des stations de métro abandonnées pour clubber ? Courage politique ou pas, n’y a-t-il pas de finalité sociale plus évidente, notamment à l’heure de la crise du logement ? On demande plus de taxis pour que le pauvre petit noceur puisse guincher sans se soucier de l’heure ? La non extinction des enseignes lumineuses ? Un salaire minimum pour les DJ ? Et puis quoi encore, l’institution des glory hole dans chaque rade ? Difficile de répondre par l’affirmative sans arrières-pensées vilement égoïstes et foutrement paresseuse, à l’heure où la société ne se consacre plus qu’à la satisfaction de celles-ci plutôt qu’à la mise en perspective collective des problèmes. Plutôt que de claironner qu’on en veut toujours plus, faisons avec ce que l’on a. C’est déjà un moindre mal et à la longue ça rend moins con.