vidéo proposée par Jonas-
.../...Les gens bienheureux!...Tout à coup dans l'espace,
si haut qu'il semble aller lentement, un grand vol
en forme de triangle arrive, plane et passe.
Où vont-ils? Qui sont-ils? Comme ils sont loin du sol!
Les pigeons, le bec droit, poussent un cri de flûte
qui brise les soupirs de leur col redressé,
et sautent dans le vide avec une culbute.
Les dindons d'une voix tremblotante ont gloussé.
Les poules picorant ont relevé la tête,
le coq, droit sur l'ergot, les deux ailes pendant,
clignant de l'oeil en l'air et secouant sa crête,
vers les hauts pèlerins pousse un appel strident.
Qu'avez-vous bourgeois? Soyez donc calmes,
pourquoi appeler, sot? Ils n'entendront pas.
Et d'ailleurs, eux qui vont vers le pays des palmes,
crois-tu que ton fumier ait pour eux des appas?
Regardez-les passer!
eux ce sont les sauvages.
Ils vont où leur désir le veut, par dessus monts,
et bois et mers, et vents, et loin des esclavages.
L'air qu'ils boivent ferait éclater vos poumons.
regardez-les! avant d'atteindre sa chimère,
plus d'un, l'aile rompue et du sang plein les yeux,
mourra.
ces pauvres gens ont aussi femme et mère, et savent les aimer aussi bien que vous, mieux;
Pour choyer cette femme et nourrir cette mère,
ils pouvaient devenir volaille comme vous.
Mais ils sont avant tout des fils de la chimère,
des assoiffés d'azur, des poètes, des fous.
Ils sont maigres, meurtris, las, harassés. Qu'importe!
Là-haut chante pour eux un mystère profond.
A l'haleine du vent inconnu qui les porte
ils ont ouvert sans peur leurs deux ailes; ils vont.
La bise contre leur poitrail siffle avec rage.
L'averse les inonde et pèse sur leur dos.
Eux, dévorent l'abîme et chevauchent l'orage.
Ils vont, loin de la terre au-dessus des badauds.
Ils vont, par l'étendue ample, rois de l'espace.
Là-bas ils trouveront de l'amour, du nouveau.
Là-bas un bon soleil chauffera leur carcasse
et fera se gonfler leur coeur et leur cerveau.
Là-bas, c'est le pays de l'étrange et du rêve,
c'est l'horizon perdu par delà les sommets,
c'est le bleu paradis, c'est la lointaine grève
où votre espoir banal n'abordera jamais.
Regardez-les, vieux coq, jeune oie édifiante!
rien de vous ne pourra monter aussi eux qu'eux.
Et le peu qui viendra d'eux à vous, c'est leur fiente.
Les bourgeois sont troublés de voir passer les gueux."
extrait de: "Les oiseaux de passage" Jean Richepin- Editions L'amourier-
"Philistins, épiciers
alors que vous caressiezvos femmes,vos femmes,
en songeant aux petits
que vos grossiers appétits
engendrent,
engendrent,
vous disiez: ils seront,
menton rasé, ventre rond,
notaires,
notaires,
mais pour bien vous punir,
un jour vous voyez venir
au monde,
au monde,
des enfants non voulus
qui deviennent chevelus
poètes,
poètes.
Car toujours ils naîtront
comme naissent d'un étron
des roses,
des roses."
-Jean Richepin-
jours heureux
"Je ne regrette pas mon enfance. Les jours
du collège me sont un souvenir morose:
Leçons, devoirs, pensums, haricots et chlorose,
et l'ennui qui suintait aux quatre murs des cours.
Je ne regrette pas ma jeunesse. Bien courts
ces temps de poésie, et qui meurent en prose!
Toujours la dent gâtée est sous la lèvre rose,
et le pire dégoût suit les meilleurs amours.
Je ne regrette pas non plus l'heure bénie
où j'espérais la gloire à force de génie,
c'est là semer son coeur pour récolter du vent .
Je regrette le temps où, sans aveu, sans chimère,
sans penser, végétant encore et non vivant,
je n'étais qu'un foetus au ventre de ma mère."
-Jean Richepin-