“Je dis et je redis que la répétition quasi infinie autorise le jeu mécanique où se niche la plus totale liberté.”(Robert Wilson)
Le Théâtre de Paris accueille une adaptation d’une pièce du poète satirique russe, précurseur de l’absurde, Daniil Kharms (1905-1942). Une suite de tableaux vivants, une mise en scène picturale, un extraordinaire jeu de sons et de lumières et deux génies de la scène excitent nos sens égarés en créant des moments de pure poésie.
A qui attribuer le succès ? Aux prodigieux acteurs ou au Maître de la répétition sans intention ? La noria frénétique des répétitions, vaillamment assumées par ces deux virtuoses que sont Mikhail Baryshnikov et Willem Dafoe, met à rude épreuve les nerfs du spectateur. Quelques personnes quittent la salle, d’autres, bien élevés ou trop bien placés, en rêvent, tandis que, la majorité est captivée par la performance scénique. Le texte, répété à l’envie en anglais et en russe, tient sur une demie-page. Les vrais héros de Old Woman sont la gestuelle de Mikhail Baryshnikov et la diction musicale de Willem Dafoe. Le génie de Robert Wilson ne s’explique pas. Il s'expérimente.
Synopsis : S1) Hunger poem, S2) Une vieille tient une pendule sans aiguille. L’écrivain demande l’heure. La vieille la lui donne. S3) L’écrivain rencontre son ami dans la rue. Il lui parle des femmes tombant de la fenêtre. S4) Chez lui, l’écrivain veut travailler sur un roman. La vieille entre et lui donne des ordres. Elle s’assoit sur une chaise et meurt. S5) Dream poem 1. S6) L’écrivain rencontre une jeune femme à la boulangerie. Ils décident d’aller chez lui. S7) Chez son ami, l’écrivain lui parle de la jeune femme. Il n’a pas pu l’amener chez lui car il s’est souvenu qu’il s’y trouvait une vieille morte. S8) L’écrivain rentre chez lui et trouve la vieille rampant par terre. Il veut la tuer avec un maillet. S9) Dream poem 2. S10) Un cauchemar au sujet du meurtre de la vieille. S11) L’écrivain met la vieille dans une valise. S12) L’écrivain monte dans un train avec la valise. La valise disparaît. Epilogue) Une vieille tient une pendule sans aiguille. L’écrivain demande l’heure. La vieille la lui donne.
L'absurde de la pièce de Daniil Kharms, allié à la volonté délibérée de Wilson de ne pas savoir pourquoi il fait ce qu’il fait, plaira aux spectateurs prêts à la liberté de ne rien vouloir pour vivre l’expérience du moment.
Impossible entracte, Robert Wilson tient ses spectateurs prisonniers de ce théâtre de ces jeux de multidimensionnels. Epilogue. Le rideau tombe ; les applaudissements montent progressivement ; la salle engourdie reprend le pouvoir ; 50 connaisseurs de l’œuvre du metteur en scène se lèvent et crient bruyamment leur joie. Les trois stars se partagent les faveurs de la salle. Baryshnikov et Dafoe sont rappelés pendant de longues minutes.
L’on regrettera que cet événement soit accueilli dans un théâtre subventionné. Des billets de première catégorie à échanger contre d’autres billets, le cochon de payant gelé sous la pluie fine regardant à l’intérieur les employés au chaud s’affairer, la longue queue devant les rares toilettes, des sièges étroits qui plient en deux le dos et les reins, un bar de 20 mètres de long avec un serveur et trois sodas sont la marque du Théâtre de la Ville et de sa salle magnifique où le client n’est qu’un usager.
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