Note : 8/10
Moins de deux ans après Black Holes & Revelations, Muse sort un coffret CD/DVD live de leur tournée. Baptisé HAARP en référence au fameux projet scientifique et militaire américain, lequel a déjà fourni une glose presque infinie qui alimente notamment la théorie du complot (un exemple ici), ce live illustre parfaitement où en est le groupe de rock aujourd'hui : en l'occurrence très haut.
C'est dans le nouveau et gigantesque stade de Wembley que ce live a été enregistré : le premier jour, c'est le CD qui est gravé pour l'éternité ; le deuxième, c'est au tour du DVD.
Deux concerts donc, l'un pour les oreilles uniquement, l'autre pour les yeux et les oreilles. De très nombreux points communs entre les deux objets puisqu'il s'agit en fait grosso modo du même concert, mais quelques différences : le CD contient moins de titres que le DVD ; sur le DVD est présente "Plug In Baby" alors qu'elle est absente du CD ; inversement, est présente sur le CD "Micro Cuts" alors qu'elle n'apparaît pas sur le DVD.
HAARP est-il l'un de ces live conventionnels et qui ne cherchent qu'à faire encore un peu plus d'argent ? Peut-être un peu, mais il suffit d'entendre résonner les premières notes pour malgré tout être complètement pris par la puissance sonore et scénique du trio britannique. Car Muse, s'il est excellent sur album, est carrément grandiose sur scène.
Par un de ces phénomènes inexplicables qu'on appelle le don, Matthew Bellamy, chanteur-guitariste (et aussi pianiste) de Muse, est capable de renverser n'importe quelle salle de concert ou n'importe quel stade. Sa voix, aussi bonne sur scène qu'elle l'est sur disque, son jeu de guitare et/ou de piano virtuose (il est probablement l'un des meilleurs musiciens rock actuels), son énergie communicative, font immédiatement du groupe en concert une sorte de summum quasi-impossible à égaler.
Il ne serait évidemment pas juste de laisser de côté Chris Wolstenholme, l'excellent bassiste du groupe (qui dans HAARP est également à la guitare sur "Hoodoo"), ainsi que Dominic Howard, un batteur dont le jeu était selon moi, sur les trois premiers albums, carré mais jamais spectaculaire et qui, depuis Black Holes & Revelations, a acquis une force et une densité indéniables.
Que dit HAARP de Muse ?
1/ D'abord que l'aspect un peu déstabilisant de Black Holes & Revelations, deux ans après, est pratiquement gommé. En jouant magistralement sur scène la plupart des titres du CD, ce qui n'était pas forcément gagné, Muse permet de mieux comprendre en quoi ces compos restent fondamentalement rock malgré les nombreux effets intégrés. La première chanson du concert est la fantastique "Knights of Cydonia" : rien que pour ça, on aurait aimé être à la place du public ce soir-là ! Mais "Supermassive Black Hole", "Map of the Problematique", "Invicible", le méga-tube "Starlight", "Take A Bow" sont autant de morceaux de bravoure exécutés avec maestria.
2/ Ensuite que la musique classique semble prendre de plus en plus d'importance dans leur travail de composition. Ce n'est certainement pas un hasard si leur spectacle s'ouvre sur les notes du fameux ballet de Prokoviev Romeo & Juliette (et plus particulièrement l'extrait, tiens donc, "Dance of the Knights") : les Muse veulent sans doute montrer que les frontières entre les genres sont, dans leur musique, relativement perméables. Dès leur premier album, la dimension symphonique et parfois romantique (piano oblige) de leur travail ne pouvait nous échapper, cela dit c'est avec les trois albums suivants que cette très forte influence s'est le plus marquée. Rachmaninov et Chopin semblent être, au clavier, les sources principales d'inspiration de Matthew Bellamy (sur le live, voir notamment : "Butterflies & Hurricanes", "Hoodoo" et "Apocalypse Please"). Quant à Beethoven et Bach, ils s'inscrivent en filigranes y compris dans des titres a priori plus rock (comme "Plug In Baby" par exemple).
3/ Enfin que Muse possède un répertoire dont plusieurs extraits sont d'ores et déjà des classiques : "Newborn" bien entendu (peut-être dans le top 3 des meilleurs titres jamais écrits par le trio ?), "Time is Running Out", "Blackout", "Hysteria", "Unintended", on n'en finit déjà plus. C'est évidemment avec intérêt que l'on suivra l'évolution du groupe dans les mois et années qui viennent.
Tout cela étant dit, il faut regretter que ce CD/DVD soit à certains égards relativement comparable au DVD sorti au moment de l'Absolution Tour : même configuration dans un stade, même réalisation assez léchée mais un peu "MTV-esque" avec beaucoup de couleurs, beaucoup de plans différents... Ce n'est pas l'originalité et l'inspiration qui étouffent la mise en scène et le concept de départ : on est bien loin, par exemple, du DVD ultra-percutant des White Stripes avec concert filmé en super-8 ! Cela rejoint d'ailleurs un autre constat : le fait que Muse est généralement mauvais dans ses vidéo-clips.
Bref, nos trois histrions n'ont pas su réellement trouver une esthétique à la hauteur de leur musique. C'est peut-être pour eux, dans les temps qui viendront, l'un des défis majeurs à relever !