Nullité d'un bail pour erreur en raison de l'installation d'un concurrent

Publié le 24 novembre 2013 par Christophe Buffet

Voici un arrêt qui juge qu'un bail commercial est nul en raison de l'installation d'un concurrent à proximité du local loué :

"Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 2 décembre 2011), que la SCI Delfimmo, propriétaire, dans un centre commercial, d'un local n° 41, précédemment occupé par la société Sephora, l'a donné à bail par acte du 29 septembre 2010, à compter du 1er octobre 2010, à la société Marionnaud Lafayette (la société Marionnaud) ; qu'à cette date, il est apparu que la société Sephora, exploitant la même activité de parfumerie, cosmétiques et produits de beauté s'installait dans le local mitoyen n° 42 ; que la société Marionnaud, invoquant l'erreur sur les qualités substantielles, a assigné la SCI Delfimmo en nullité du bail ;

Attendu que la SCI Delfimmo fait grief à l'arrêt de prononcer la nullité du bail, alors, selon le moyen :

1°/ que l'erreur n'est cause de nullité que si elle porte sur les qualités substantielles de la chose ou de la personne de sorte qu'elle est sans effet sur la validité du contrat lorsqu'elle n'a pour objet que les motifs du contractant ; qu'en énonçant que l'erreur de la société locataire résultait de « la démonstration d'un consentement donné dans la croyance, contraire à la réalité, que le bail des locaux permettait l'exercice de son activité sans concurrence dans le centre commercial » et que « cette erreur a porté sur une qualité substantielle de la chose louée, comprise dans le champ contractuel et exempte d'aléa », la cour d'appel a retenu une erreur sur les motifs de la société Marionnaud et a ainsi violé l'article 1110 du code civil ;

2°/ que l'erreur n'est cause de nullité que si elle porte sur les qualités substantielles de la chose ou de la personne de sorte qu'elle est sans effet sur la validité du contrat lorsqu'elle n'a pour objet que la valeur de la chose ; qu'en retenant en l'espèce que « la situation de non-concurrence » était une « qualité substantielle » « tacitement convenue entre les deux parties » après s'être fondée sur « le niveau des prix de négociation et de conclusion du contrat », la cour d'appel a porté une appréciation d'ordre économique sur la rentabilité de l'opération sans nullement relever une erreur sur les qualités substantielles de la chose ; qu'en conséquence, elle a ainsi derechef violé l'article 1110 du code civil ;

3°/ que (subsidiaire) l'erreur sur les motifs n'est concevable que lorsque les motifs erronés sont entrés dans le champ contractuel ; que seul le motif déterminant partagé par les parties et érigé par elles au rang de condition de l'expression de leur volonté peut être considéré comme une qualité substantielle ; qu'en l'espèce, la SCI Delfimmo faisait valoir que Marionnaud ne pouvait pas justifier d'une mention expresse du contrat liée à l'absence d'environnement concurrentiel ; qu'en retenant dès lors que la situation de non-concurrence était « tacitement convenue entre les parties » quand ce motif, pour être cause d'erreur annulable, aurait dû faire l'objet d'une stipulation expresse, la cour d'appel a encore violé l'article 1110 du code civil ;

4°/ que (subsidiaire) l'erreur sur les qualités substantielles n'est cause de nullité de la convention que si l'errans démontre l'absence de tout aléa ; qu'une qualité affectée d'un aléa connu lors de la conclusion du contrat ne peut être tenue pour substantielle dès lors qu'en contractant néanmoins les parties ont accepté que cette qualité puisse ne pas se rencontrer ; qu'en l'espèce, la SCI Delfimmo faisait valoir que la condition alléguée était affectée d'un aléa lié notamment au fait que n'étant pas propriétaire de la galerie marchande, le bailleur ne pouvait consentir aucune exclusivité; que pour retenir que la qualité substantielle liée à un environnement commercial non concurrentiel était exclusive de tout aléa, la cour d'appel a énoncé que l'absence de concurrence à la date de conclusion du bail était certaine, « était-ce de fait et non juridiquement » ; qu'en statuant par un motif inopérant impropre à exclure l'aléa affectant la condition alléguée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1110 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant retenu que la société Marionnaud justifiait de la matérialité de son erreur en démontrant avoir conclu le bail dans la croyance erronée qu'il permettait l'exercice de son activité sans concurrence dans le centre commercial et que la perspective d'une situation avantageuse, qui avait été prise en compte dans la détermination du prix du bail constituait une qualité substantielle de la chose louée, comprise dans le champ contractuel et exempte d'aléa, la cour d'appel en a justement déduit qu'il y avait lieu de prononcer la nullité du bail ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;


PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Delfimmo aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Delfimmo à payer à la société Marionnaud Lafayette la somme de 3 000 euros ; rejette la demande de la société Delfimmo ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux octobre deux mille treize, signé par M. Terrier, président, et par M. Dupont, greffier de chambre, qui a assisté au prononcé de l'arrêt.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Gadiou et Chevallier, avocat aux Conseils, pour la société Delfimmo

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR prononcé l'annulation du bail du 29 septembre 2010 et d'AVOIR, en conséquence, condamné la Société DELFIMMO à payer à la Société MARIONNAUD les sommes de 825 000 euros en restitution du droit d'entrée, 32 500 euros en restitution du dépôt de garantie, 2 392 euros en restitution des honoraires de rédaction, 7 176 euros en restitution de provisions sur charges et taxes, ainsi que celles de 95.454 et 8459 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 18 janvier 2011 ;

AUX MOTIFS QUE le jugement entrepris sera réformé, la preuve de la réunion des conditions de l'annulation du bail pour erreur étant rapportée par la société MARIONNAUD ; qu'ainsi cette société justifie de la matérialité de son erreur par la démonstration d'un consentement donné dans la croyance, contraire à la réalité, que le bail des locaux permettait l'exercice de son activité sans concurrence dans le centre commercial ; qu'en effet telle était la situation de la même exploitation de parfumerie, cosmétiques et produits de beauté exercée dans le même local depuis 1999 par la société SEPHORA dont le départ forcé a provoqué sa prise de contact initiale par mail du 11 mars 2010 visant expressément l'éventuelle expulsion judiciaire de cette dernière ainsi que ses démarches et conclusions ultérieures du bail sur la base de cette situation comme ci-après précisé ; que celle-ci s'est en fait révélée contraire à la réalité, résultant des deux extraits K bis produits de la société SEPHORA du 22 octobre 2011, que son exploitation du lot mitoyen 42 a débuté le 25 novembre 2010, ce qui confirme la manifestation de ses travaux d'aménagement situé fin septembre 2010 par la société MARIONNAUD ; que de même cette dernière société établit que cette erreur a porté sur une qualité substantielle de la chose louée, comprise dans le champ contractuel et exempte d'aléa ; que cette chose consiste en un local vide de 146,1 m² suivant le bail et les photographies produites en défense qui, qualifié de standard dans un centre commercial, présentait cependant dans le cas d'espèce l'utilité particulière, caractérisant sa qualité substantielle, d'offrir à l'usage de l'activité à laquelle il était jusque-là et devait encore être affecté à une situation de non concurrence ; que cette qualité, qui se mesure ainsi à l'opinion commune, est illustrée par le niveau des prix de négociation et de conclusion du contrat retenus par les deux parties, examinés indépendamment de la notion, distincte, de la valeur économique de l'opération ; que la société MARIONNAUD justifie, suivant rapport CAMAE du 14 décembre 2010 qui se révèle sérieux et qui, contrairement aux contestations adverses, a étudié 7 autres locations du contre commercial faites aux loyers purs, loyers décapitalisés et loyers de renouvellement, d'un droit d'entrée pouvant être estimé à 400.000 ¿ sur la base d'un loyer annuel de 130.000 ¿ H.T. et d'une valeur locative de marché maximale de 180.000 ¿ ; que les négociations ont débuté par une demande du 29 juin 2010 de la bailleresse de 1.200.000 ¿ de droit d'entrée et d'un loyer annuel de 130.000 ¿ H.T., suivie d'une offre de la société MARIONNAUD de respectivement 550.000 ¿ et 122.000 ¿ le 09 août 2010 puis après une tierce offre de 750.000 ¿ et 120.000 ¿, de 825.000 ¿ et 130.000 ¿ par lettre du 15 septembre 2010 et en définitive acceptée ; que ce niveau de prix, allié aux éléments avancés dans la négociation ayant abouti à la conclusion du contrat, révèle également que la situation de non concurrence était alors tacitement convenue entre les deux parties ; qu'outre la communication, le 23 juin 2010 par monsieur X..., gérant de la SCI, du justificatif du CA de la société SEPHORA, le courriel précité du 29 juin 2010 se réfère, de manière significative, non au seul local lui-même mais à l'enseigne "ex SEPHORA" ; que l'offre de la société MARIONNAUD du 09 août 2010 est ainsi expliquée : "Nous concevons l'aspect tout à fait exceptionnel de ce dossier. Il n'est demeure pas moins qu'une installation d'une concurrence dans la partie CORIO (non propriété de la SCI) créerait des retards à l'amortissement de ces sommes" ; que ces termes expriment manifestement que la proposition minorée par rapport à la demande procède de la connaissance non d'une situation acquise de non concurrence mais d'une non concurrence de fait actuelle, à caractère exceptionnel, mais non exclusive d'une future situation de concurrence qui viendrait préjudicier à l'amortissement des fonds attendu au cours de la première période ; qu'enfin la lettre de la société MARIONNAUD du 15 septembre 2010 indique expressément à "la consistance des biens loués, telle qu'elle a été présentée par vos soins est une condition déterminante de l'intérêt que la société MARIONNAUD porte auxdits locaux" ; que la consistance ainsi visée n'a de sens, s'agissant d'un local standard vide, que par référence à sa qualité substantielle liée à son environnement commercial non concurrentiel ; que cette qualité s'avère, par ailleurs, exclusive à la date de conclusion du bail d'un aléa, l'absence de concurrence à cette dernière date étant certaine, était-ce de fait et non juridiquement, ce qui a justifié la clause de non garantie de la bailleresse, et pour un temps alors indéterminé auquel la société MARIONNAUD a, dans le courriel du 09 août 2010, limité le risque par elle pris ; qu'enfin le caractère déterminant de l'erreur est expressément énoncé dans la lettre du 15 septembre 2010 proposant les conditions, en définitives acceptées, du bail qui n'auraient pas, autrement, manqué de ne pas être formulées ; que par ailleurs, l'erreur de la société MARIONNAUD s'avère excusable comme ne résultant d'aucune faute, même pas d'une simple négligence, s'étant informée par une étude approfondie et une visite matérielle des lieux début septembre 2010 qui n'a apparemment pas révélé la réinstallation prochaine dans le local mitoyen de la société SEPHORA et, en toute hypothèse, sans démonstration par la société DELPHIMMO que celle-ci était décelable à l'occasion de cette visite ou d'une quelconque autre manière alors que, bénéficiant incontestablement d'une connaissance plus étendue et actuelle de la vie du centre commercial, elle soutient l'avoir ellemême ignorée ; qu'il y a lieu, dès lors, de prononcer l'annulation du bail ; que cette annulation, qui est rétroactive, entraîne remise des parties en l'état où elles se trouvaient au moment de la formation de l'acte ; qu'à ce titre, la société MARIONNAUD est fondée à obtenir la restitution des sommes payées de 825.000 euros de droit d'entrée, de 32.500 euros de dépôt de garantie et de 2392 euros d'honoraires de rédaction, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 18 janvier 2011 mais non à compter du jour de paiement à défaut de mauvaise foi démontrée de la SCI DELFIMMO ; qu'elle est également fondée en sa demande de restitution des loyers, taxes et charges payées, non contractuellement dus après l'annulation du bail mais les justificatifs produits sur ce point se limitent au versement de 7176 euros du 28 septembre 2010 de provisions pour taxes et charges et aux deux versements de 95.4545 euros et 8459 euros effectués les 6 et 13 mai 2011 en exécution du séquestre ordonné par ordonnance de référé du 25 mars 2011 dont les premiers juges ont ordonné la déconsignation au profit de la SCI DELFIMMO dans leur décision assortie de l'exécution provisoire ;

1°) ALORS QUE l'erreur n'est cause de nullité que si elle porte sur les qualités substantielles de la chose ou de la personne de sorte qu'elle est sans effet sur la validité du contrat lorsqu'elle n'a pour objet que les motifs du contractant ; qu'en énonçant que l'erreur de la société locataire résultait de « la démonstration d'un consentement donné dans la croyance, contraire à la réalité, que le bail des locaux permettait l'exercice de son activité sans concurrence dans le centre commercial » et que « cette erreur a porté sur une qualité substantielle de la chose louée, comprise dans le champ contractuel et exempte d'aléa », la cour d'appel a retenu une erreur sur les motifs de la société MARIONNAUD et a ainsi violé l'article 1110 du code civil ;

2°) ALORS QUE l'erreur n'est cause de nullité que si elle porte sur les qualités substantielles de la chose ou de la personne de sorte qu'elle est sans effet sur la validité du contrat lorsqu'elle n'a pour objet que la valeur de la chose ; qu'en retenant en l'espèce que « la situation de non-concurrence » était une « qualité substantielle » « tacitement convenue entre les deux parties » après s'être fondée sur « le niveau des prix de négociation et de conclusion du contrat », la cour d'appel a porté une appréciation d'ordre économique sur la rentabilité de l'opération sans nullement relever une erreur sur les qualités substantielles de la chose ; qu'en conséquence, elle a ainsi derechef violé l'article 1110 du code civil ;

3°) ALORS QUE (subsidiaire) l'erreur sur les motifs n'est concevable que lorsque les motifs erronés sont entrés dans le champ contractuel ; que seul le motif déterminant partagé par les parties et érigé par elles au rang de condition de l'expression de leur volonté peut être considéré comme une qualité substantielle ; qu'en l'espèce, la SCI DELFIMMO faisait valoir que MARIONNAUD ne pouvait pas justifier d'une mention expresse du contrat liée à l'absence d'environnement concurrentiel ; qu'en retenant dès lors que la situation de non-concurrence était « tacitement convenue entre les parties » quand ce motif, pour être cause d'erreur annulable, aurait dû faire l'objet d'une stipulation expresse, la cour d'appel a encore violé l'article 1110 du code civil ;

4°) ALORS QUE (subsidiaire) l'erreur sur les qualités substantielles n'est cause de nullité de la convention que si l'errans démontre l'absence de tout aléa ; qu'une qualité affectée d'un aléa connu lors de la conclusion du contrat ne peut être tenue pour substantielle dès lors qu'en contractant néanmoins les parties ont accepté que cette qualité puisse ne pas se rencontrer ; qu'en l'espèce, la SCI DELFIMMO faisait valoir que la condition alléguée était affectée d'un aléa (conclusions d'appel signifiées le 24 octobre 2011 p. 18) lié notamment au fait que n'étant pas propriétaire de la galerie marchande, le bailleur ne pouvait consentir aucune exclusivité; que pour retenir que la qualité substantielle liée à un environnement commercial non concurrentiel était exclusive de tout aléa, la cour d'appel a énoncé que l'absence de concurrence à la date de conclusion du bail était certaine, « était-ce de fait et non juridiquement »; qu'en statuant par un motif inopérant impropre à exclure l'aléa affectant la condition alléguée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1110 du code civil."