Trille penché
Pour pénétrer dans le parc de Rivière-du-Moulin, vous passez sur un ponceau, franchissez une barrière, grimpez une côte, traversez une clairière où piaillent des chardonnerets, puis vous obliquerez à droite sur le chemin principal. Vous longerez alors des rocs escarpés. Sur leurs parois ocre, abondent les mousses, les fougères, les bleuetiers et les thés du Labrador aux feuilles violettes. Sur votre gauche, en contrebas, une baissière où, dans le suroît, des roseaux s’agitent – royaume des batraciens, des couleuvres vertes et des insectes piqueurs.
Vous descendrez une pente douce qui, entre des épinettes où trépignent et sifflent les écureuils, vous mènera jusqu’à une baie sablonneuse. Vous poursuivrez, toujours à droite, et vous vous retrouverez sur le sentier graveleux du Porc-Épic, ainsi baptisé officieusement par moi, qui longe les eaux calmes à cet endroit de la rivière Langevin. Sous la voûte des conifères et des faux-trembles, ce sentier vous conduira doucement vers mes fleurs-amies de mai : le trille penché et la clintonie boréale. Toutes deux affectionnent les mêmes habitats : sous-bois humides, acides et ombragés. Mais là s’arrêtent leurs similarités.
De la famille des liliacées, le trille ne se laisse pas facilement découvrir. Vous devrez faire un effort. Il n’existe pas pour le promeneur distrait. À une trentaine de centimètres du sol, tige inclinée, timide, il cache une unique fleur à trois pétales blancs ou rose pâle sous trois feuilles vaguement triangulaires, larges, luisantes et grasses. Solitaire, il laisse une certaine distance entre ses voisins de la même espèce et lui. Si vous l’arrachez, une odeur fétide s’en dégagera – ce qui aide probablement à sa survie…
Clintonia borealis
Les clintonies boréales présentent de toutes autres caractéristiques. Vous ne pouvez les manquer, à moins de déambuler nez dans les nuages – et encore ! Même là, vous risquez de les découvrir lorsque vous buterez sur une racine ou une pierre. Vous vous retrouverez alors au milieu d’un parterre de courtes feuilles basales, larges et brillantes, au-dessus desquelles s’élèvent deux ou trois fleurs, clochettes jaune vert, qui, en juillet, donneront deux ou trois baies bleu foncé, perchées au haut d’un pédoncule et assez similaires à un bleuet. Contrairement aux trilles, les clintonies sont grégaires et forment des tapis vert et jaune très denses sur l’humus des sous-bois. Jadis, les trappeurs frottaient leurs pièges de leurs racines ; leur odeur a la réputation d’attirer les ours.
Chaque année, ces deux amies confirment l’arrivée du printemps et m’entretiennent de l’été à venir. Elles devraient également intéresser ces gamins et gamines de tous âges pour qui j’écris ces chroniques.
L’AUTEUR…
Auteur prolifique, Alain Gagnon a remporté à deux reprises le Prix fiction roman du Salon du
Livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean pour Sud (Pleine Lune, 1996) et Thomas K (Pleine Lune, 1998). Quatre de ses ouvrages en prose sont ensuite parus chez Triptyque : Lélie ou la vie horizontale (2003), Jakob, fils de Jakob (2004),Le truc de l’oncle Henry (2006) et Les Dames de l’Estuaire (2013). Il a reçu à quatre reprises le Prix poésie du même salon pour Ces oiseaux de mémoire (Le Loup de Gouttière, 2003), L’espace de la musique (Triptyque, 2005), Les versets du pluriel (Triptyque, 2008) et Chants d’août (Triptyque, 2011). En octobre 2011, on lui décernera le Prix littéraire Intérêt général pour son essai, Propos pour Jacob (La Grenouille Bleue, 2010). Il a aussi publié quelques ouvrages du genre fantastique, dont Kassauan, Chronique d’Euxémie et Cornes (Éd. du CRAM), et Le bal des dieux (Marcel Broquet). On compte également plusieurs parutions chez Lanctôt Éditeur (Michel Brûlé), Pierre Tisseyre et JCL. De novembre 2008 à décembre 2009, il a joué le rôle d’éditeur associé à la Grenouille bleue. Il gère aujourd’hui un blogue qui est devenu un véritable magazine littéraire : Le Chat Qui Louche 1 et 2 (https://maykan.wordpress.com/).