L’avis de JB
Pas de fausse modestie
Spleen de l’automne et des quartiers d’affaires, parlons tout de suite du livre. De cette biographie d’Alexandre Yersin, le bactériologiste qui découvrit le bacille de la peste. Roman à mi-chemin entre une retranscription d’une émission présentée en voix-off par Frederic Mitterrand et un bouquin de Carrère : « Yersin est un homme seul. Il sait que rien de grand jamais ne s'est fait dans la multitude. Il déteste le groupe, dans lequel l'intelligence est inversement proportionnelle au nombre des membres qui le composent. Le génie est toujours seul. Le conseil atteint à la lucidité du hamster. Le stade à la perspicacité de la paramécie. » Ecrit à la troisième personne, épuré, lointain et prétentieux. Une deuxième cerise sur le gâteau, l’art de romancer la romance, là où la vie déjà fort riche de notre chercheur aurait mérité plus de retenue. N’est pas Hemingway qui veut, difficile des choses simples sans trop de snobisme quand la plume vous brûle. Aucune raison de ne pas se faire plaisir, en lançant toutes les X pages des petites maximes qui, parfois, tombent juste : « Un individualiste comme souvent le sont les altruistes. C'est plus tard, de trop aimer les hommes, qu'on devient misanthrope. » Ou quelques petites truculences pour se rappeler à l’ordre : « Il fait chaud, comme chacun sait à l'intérieur d'une poule. Quarante-deux degrés. Bien plus qu'à l'intérieur d'un mouton. Qui garde sa petite laine. » Les phrases trop courtes côtoient les envolées lyriques, le beau mot se joue de « nichons » et « bites », et l’ensemble schizophrénique défie les pages, et ma patience, avec fierté et innocence. Même la vieille ficelle de la chronologie dans le désordre s’invite lourdement.
Génial misanthrope
Je comprends le but et l’envie. Mais je ne peux pas fermer les yeux et voyager sur commande. Me réveiller en sursaut dans le métro, avec le goût de la coriandre dans la bouche, les oreilles sourdes des obus de la guerre. Reste que notre savant et héros a de la matière. Un génie faussement modeste, et vrai misanthrope, qui a décidé que sa vie lui appartenait. Yersin voyage, étudie, développe et s’instruit pour rattraper son couteau suisse d’idole, Livingstone. Touche-à-tout génial, il réussit là où beaucoup fantasment, mettre quelques coup d’accélérateurs avant de se retirer, replet, dans son village perdu sur les côtes du Vietnam. Très vite, l’étudiant Pasteurien se lasse de la compagnie des hommes, s’enrichit, passe à côté du Nobel, sans pour autant éteindre complètement la flamme de sa gloire. Son rôle d’excentrique n’a de l’envie générale d’égale que son talent, on viendra à lui, plus la peine ni l’envie de se déplacer. Cette ambiguïté est entière dans cette phrase : « Yersin aime l'ordre et le luxe, parce que le luxe c'est le calme. Que le pire dans la misère exécrée c'est de toujours être importuné. De ne jamais pouvoir être seul. » Égoïste jusqu’au bonheur, seul et satisfait, en faire juste assez pour se faire désirer, brillant personnage.
A lire ou pas ?
« Peste et Choléra » a le mérite de mettre en valeur un personnage presque plus intéressant que ses découvertes. Choix dans l’angle de traitement ou complément devenu star, n’a d’importance que le résultat. J’ai pris du plaisir à connaitre Yersin, moins à lire Deville. Tirage de l’Euromillion ce soir, restez assis svp. Au lecteur qui raflera le trésor, promis, si vous savez vous montrer généreux on invitera tout le monde à une super fête, même les « Anonyme » qui trouvent les livres super biens. On passera du Baschung, du Rod Stewart et Christina Aguilera. On lira du Lévy et du Faulkner en canon, les frites seront croustillantes et la Leffe aura le gout de la romanée Conti….