Le 15 novembre dernier, le monde a peut-être été témoin d’une de ces révolutions silencieuses qui marquent l’histoire de l’Humanité pour plusieurs décennies. La presse internationale, prudente peut-être, n’en a fait qu’un modeste écho. En France, bien sûr, elle est consciencieusement passée à côté pour s’attarder sur des histoires de bananes.
Et comme on pouvait raisonnablement s’y attendre, ce discret chambardement vient de Chine. Comme nous l’apprend une brève de Contrepoints, à l’issue d’une réunion du comité central du Parti communiste chinois, une liste de réformes a été livrée par l’agence officielle Chine nouvelle.
Ici, on comprendra qu’un pays qui concentre près de 20% de la population terrestre compte forcément un peu dans le concert des monnaies. À ce titre, tout changement de politique vis-à-vis de son Yuan impactera forcément l’ensemble de la planète à commencer par les économies occidentales, au premier rang desquelles les États-Unis dont le dollar est massivement détenu par les autorités chinoises. Ainsi, l’augmentation drastique du stock d’or de la banque centrale chinoise peut raisonnablement montrer une volonté, pour le gouvernement, de se détacher de sa dépendance à la monnaie américaine, par exemple en proposant un Yuan convertible, voire, éventuellement, adossé à l’or.
Et c’est tellement vrai que la Chine serait prête à contracter ses achats de pétrole directement en Yuan, ce qui revient de facto à amoindrir nettement la position du dollar comme monnaie unique pour les échanges énergétiques, et indique sans ambiguïté le rôle croissant du Yuan sur la scène internationale.
Si j’évoque cette question du Yuan, c’est parce que cette monnaie figure dans les sujets couverts par les réformes évoquées à la fin du dernier Plenum chinois. Pour les dirigeants chinois, il est temps d’envisager la convertibilité libre du Yuan sur les marchés des changes mondiaux. C’est, clairement, un pas vers la stratégie évoquée ci-dessus. Bien évidemment, les réformes s’étendent bien au-delà de ces considérations monétaires et c’est aussi cela que je veux évoquer dans les quelques paragraphes ci-dessous.
Ici, je pourrais m’étendre un peu sur la fin de la politique de l’enfant unique, ou l’abaissement de certaines barrières administratives aux mouvements de populations ; ces éléments amélioreront indubitablement la vie de tous les jours des Chinois, et c’est tant mieux : ce peuple mérite, lui aussi, de sortir enfin du communisme, et le sociétal est une étape indispensable. Mais la réforme qui m’apparaît bien plus importante (et qui fut quasiment passée sous silence par les médias français) est à mon avis celle qui concerne le rapport des citoyens chinois à la terre, et notamment à la possession agricole.
On apprend en effet que les agriculteurs se verront accorder des droits de propriété, pour posséder, utiliser et transférer les terres qu’ils cultivent. Mieux : ils pourront utiliser leurs droits de propriété comme caution pour des opérations financières. Voilà un changement profond, stupéfiant et fondamental de la façon dont fonctionne la Chine: jusqu’à présent en effet, toutes les terres agraires sont officiellement possédées par l’État, qui en cède la jouissance aux agriculteurs. On comprend ici qu’une telle réforme va provoquer un changement colossal dans le pays puisque, dans le principe, elle revient à donner un capital (la terre) à quasiment un milliard de personnes, capital qui pourra servir, être investi de différentes façons.
Il ne faut pas se leurrer : le gouvernement chinois reste celui d’un pays communiste, d’essence totalitaire, dont le rapport à la transparence et à la sincérité est au moins aussi trouble que les gouvernements occidentaux actuels, ce qui n’est pas peu dire. L’importance de cette réforme devra donc être mâtiné d’une bonne dose de prudence, d’autant que, comme le remarque fort justement The Economist, les réformes concerneront aussi les entreprises d’état, monopolistiques, qui devront s’ouvrir à la concurrence et devront composer avec une Justice que le gouvernement chinois entend rendre aussi indépendante que possible. Il n’y a donc pas d’efforts à faire pour imaginer les réticences, les résistances plus ou moins farouches et les frictions peut-être violentes qui vont s’opérer dans les prochaines années dans l’Empire du Milieu.
Il n’en reste pas moins que la réforme légale des droits de propriété peut, très concrètement, transformer la planète : lorsqu’un milliard de personne accède ainsi au capitalisme, l’impact sur l’économie mondiale promet d’être énorme. On peut même noter, comme le fait justement James Gruber dans un papier d’Asia Confidential que ces profonds changements auront un effet possiblement négatif sur les marchés mondiaux, puisque la Chine va se transformer, d’une économie majoritairement productrice et exportatrice, en économie essentiellement consommatrice, avec une réduction notable de sa croissance : la période que nous venons de vivre pendant laquelle la Chine tirait l’économie mondiale en étant devenue l’usine du reste du monde est en train de s’achever et la nouvelle configuration mondiale promet de sérieuses remises en questions.
Devant ces bouleversements, il est de plus en plus consternant, par contraste, d’observer l’état de décrépitude et d’immobilisme français. Il est même douloureux de constater qu’un pays comme la Chine parvient progressivement à se réformer, et affirme de plus en plus fort, de plus en plus clairement que l’économie de marché fonctionne, qu’elle permet de faire sortir un nombre croissant d’individus de la pauvreté, et va même jusqu’à jeter une grosse poignée de capitalisme bien dodu vers une population qui en était privée depuis des décennies ; pendant ce temps, la France progresse dans le sens inverse, grignotant chaque jour la notion même de propriété privée (les lois Duflot en sont un exemple glacial, la rétroactivité des ponctions sur l’épargne en formant un autre aussi inique), allant même jusqu’à inculquer un culte du Tout-à-l’État et le mépris affiché du monde de l’entreprise à toute une génération d’élèves, au travers d’une propagande grossière et stérilisante.
Indubitablement, les prochaines décennies verront le monde changer dans des proportions que peu sont en mesure d’appréhender ; et il suffit de parcourir les petits articles de la presse franchouille sur le sujet chinois pour se rendre compte qu’au moins, la population française sera sagement rangée à l’abri de tous ces changements, aussi bénéfiques soient-ils : l’intelligentsia veille et ne leur en parlera pas, de peur de les choquer.
La Chine, tous les jours, sort un peu plus du communisme. Mais tout va bien : pour compenser, la France a heureusement choisi le chemin inverse.
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