Les mousquetaires du club des Vieux Gamins du Céladon ont malicieusement affublé leur compère Jean-Paul du charmant surnom de Porthos à cause de son tour de taille pantagruélique. (Lire ma chronique du 22 avril 2011). Ma gourmandise n’ayant d’égal que sa curiosité culinaire, il m’a convié, hier soir, à le rejoindre dans une auberge de campagne de sa connaissance. Tu verras, on s’y sent presque mieux que chez soi. La nuit est tombée lorsque j’en pousse la porte signalée par une lanterne tempête comme au temps des diligences. La pièce est plongée dans une semi-obscurité qui favorise l’intimité. Une large cheminée barre le mur du fond. Robustes montants de granit, lourd linteau de chêne, flambée de châtaignier dans l’âtre, jambon dans sa toile d’un côté et châtaignes dans leur panier d’osier de l’autre. La quinzaine de tables recouvertes d’une modeste nappe à carreaux rouges et blancs sont toutes occupées. Je me dirige vers mon hôte. Je voulais te faire rencontrer Jean-Charles, me dit-il. Jean-Charles est un grand gaillard aux cheveux gris qui doit friser la cinquantaine. Rond et jovial à l’instar de notre ami commun, la poignée de main ferme et décidée. « Jean-Paul m’a beaucoup parlé de vous ! » Et, en plus, il est poli. Mon arrivée ayant sans doute déclenché quelque ressort secret, la maîtresse des lieux se présente. Une femme d’âge mûr charpentée à l’image de sa cheminée et aussi souriante qu’une jeune commerciale aux dents longues. « Au menu ce soir, omelette aux girolles, civet de chevreuil mariné au vin rouge et cèpes de chêne et en dessert une tarte aux pommes. Je vous recommande de boire en accompagnement un rosé Lirac de la maison Lanzac » Un nouveau sourire et elle repart en cuisine. Je m’étonne de la brièveté des menus. Un seul est proposé selon les disponibilités du moment, qui proviennent autant qu’il se peut de la ferme de l’auberge, et du bon vouloir du patron. Je m’étonne de la nombreuse clientèle, un soir, en pleine campagne et en milieu de semaine. Il faut réserver près de deux mois à l’avance. Sauf pour les fidèles qui peuvent bénéficier de passe-droits. Selon le bon plaisir du patron. Son omelette se révèle bientôt moelleuse, parfumée et goûtue à souhait. Rassuré, Jean-Paul entreprend alors de nous rapporter une anecdote croustillante survenue été dernier lors sa dernière campagne de fouilles sur le site du sanctuaire d’Épidaure dans le Péloponnèse. Jean-Charles, qui ne saurait demeurer en reste, raconte avec beaucoup d’esprit un sien voyage de travail à Montréal et à Québec. Il ajoute en conclusion être un fervent admirateur de la pianiste Marie-Claire Dubois. Ce garçon possède décidément de belles qualités. Passé le fromage riche en calories et la tarte maison riche en saveurs, l’heure du café arrive. Le patron consent enfin à quitter ses fourneaux et à saluer ses convives. Cheveu ras et tablier blanc, doigts de harpiste et voix haut perchée. Il propose un Malabar moussonné pour son puissant goût boisé aux notes de noisette et de cacao. Oui, il pourrait, à la rigueur, lui apporter du corps en l’associant pour moitié au robuste Kwilu du Congo. Mais sa moue montre à l’évidence qu’il estimerait se livrer là à un véritable sacrilège. Tant pis, je persiste dans mon choix. "Tu t’es fait un ennemi", affirme Jean-Paul tandis que l’autre rejoint ses quartiers en bougonnant. Bien sûr, nous sommes parmi les derniers à rejoindre la nuit. Je me souviendrai de vous, me dit le patron en me serrant la main. On voit par là que le meilleur des mondes n’est jamais parfait !