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La terrine de lièvre

Publié le 22 novembre 2013 par Jlhuss

Ou
… à bicyclaaaiiittteu ….

Les recettes de l’oncle Chambolle

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Ce n’était pas la fille du facteur, mais celle du notaire et elle ne s’appelait pas Paulette. J’ai, hélas, oublié son nom, mais ni la jupe en vichy qui bouffait autour de jambes ravissantes, ni un corsage qui ne faisait pas de plis car, malgré ses dix-sept ans, la mignonne avait largement de quoi le garnir. Ajoutez-y de magnifiques cheveux noirs bouclés, des yeux bleus et la bouche qui allait avec et vous conclurez qu’elle était irrésistible. Je ne lui résistais d’ailleurs pas et je me joignis à la troupe de ses mourants, une demi-douzaine d’imbéciles assez peu heureux  puisque la charmante, était le plus parfait modèle de coquette qu’il m’ait été donné de rencontrer.
Dans ce coin de la France profonde où, comme chaque année je passais chez ma tante-marraine une huitaine de jours, notre bande d’adolescents rejouait au naturel, ce qui aurait pu passer pour une version modernisée du Misanthrope si notre Célimène avait trouvé son Alceste.  Hélas, aucun d’entre nous n’avait la force d’âme de l’homme aux rubans verts et  cette Circée faisait de nous exactement ce qu’elle voulait.
La cruelle se plaisait à lancer des défis insensés que  nous nous empressions de relever dans l’espoir d’obtenir des faveurs qu’elle n’accordait qu’avec la plus grande parcimonie et avec une logique dont elle seule connaissait le secret.


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Un soir après une expédition qui nous avait menés au bord d’un étang où certains d’entre nous, dont j’étais, avait risqué la noyade pour le seul plaisir de prouver que le traverser était un jeu d’enfant, elle me glissa que, le lendemain, elle comptait faire une promenade à bicyclette et elle me demanda de l’accompagner. Murmurée avec la plus grande discrétion, cette information n’avait pu être entendue que de moi. On imagine mon allégresse et avec quelles nombreuses et agréables idées derrière la tête, je me présentai le lendemain, à l’heure fixée, devant la grille de la maison notariale. Cette gaieté était pourtant légèrement obscurcie par un détail d’ordre pratique : mon cousin ayant refusé de me prêter son vélo (on ne pouvait pas le lui reprocher, lui aussi galantisait la demoiselle) j’avais du me contenter de la bicyclette de mon oncle. Cette antique machine, achetée au début des années quarante, était passée depuis longtemps de l’état peu glorieux de bécane à celui de presque désespéré de clou. Dépourvu de toute espèce de dérailleur, freinant comme il pouvait et légèrement rouillé, il pesait à lui seul autant que quatre de ces splendides et modernes engins à base de matériaux composites sur lesquels certains tournent, le dimanche, autour du lac du Bois de Boulogne pendant que d’autres escaladent le Tourmalet ou le Ventoux. Mais bon, comme le dit Sophocle « Amour, invincible amour, nul n’est assez rapide pour te fuir, tu fais naître le désir et tu le combles par la folie » Persuadé de ma prochaine bonne fortune, je tenais pour négligeable la vétusté et le poids de ma monture.
L’apparition de la brune aux cheveux bouclés poussant, non un ordinaire vélo, mais cet hybride noir que notre génération a connu sous le nom de Solex porta, à mon optimisme, un coup assez sévère. Après un bref « On y va ? » suivi d’un sourire que, dans mon aveuglement, je jugeais prometteur, elle s’élança et je la suivis. Très vite, voyant qu’elle passait sans s’arrêter devant des endroits à la fois verdoyants et touffus donc propices aux conversations particulières (et plus si affinités), je compris qu’elle m’avait tendu un piège. De temps en temps elle regardait derrière elle pour vérifier si la suivais. La crainte du ridicule et l’idée que c’était la seule façon de sauver l’honneur, à défaut du reste, firent que je m’accrochais pour ne pas me laisser distancer. Je me demande encore aujourd’hui où je trouvais la force de tenir pendant cette presque trentaine de kilomètres qui furent certainement les plus pénibles de ma fin d’adolescence, mais je réussis à arriver presque en même temps qu’elle devant la mairie où officiait mon oncle. Un de ses sigisbées l’y attendait. Elle descendit de sa machine et, sans daigner me jeter un regard, elle s’en fut.
Je poussai en flageolant la bicyclette avunculaire jusqu’au coin qu’elle occupait ordinairement dans un coin de garage, puis je rejoignis ma chambre où je passais une journée à maudire les coquettes et la coquetterie et à masser des cuisses et des mollets devenus à peu près inutilisables. Mon départ était prévu très tôt le lendemain. Est-il utile de préciser que je quittai l’endroit sans regret.
Là-dessus j’en entends qui grognent : « Et la terrine de lièvre dans tout ça ? » Patience, j’y arrive. Deux ans plus tard j’étais de retour muni d’un permis de conduire tout neuf et de la deux-chevaux qu’un ami m’avait demandé de convoyer. J’ajoute qu’au cours de ces deux années, j’avais eu le temps de me faire briser le cœur cinq ou six fois, tragédies dont je m’étais remis assez facilement en me montrant, à mon tour aussi inconstant qu’il est permis de l’être. En parlant avec ma marraine sur le perron municipal, je vis passer la fille du notaire. Elle me parut beaucoup moins charmante que lors de notre rencontre précédente. Cette constatation me réjouit car j’avais lu  dans de bons auteurs que l’état d’amoureux bafoué est des plus désagréables et qu’on s’y expose en retrouvant celle ou celui qui, un jour, vous a dédaigné. Le lendemain, alors que je tentais, sans beaucoup de succès, de prendre du plaisir à fumer un cigarillo, je la vis partir dans la même direction et sur le même solex derrière lequel je m’étais exténué deux ans plus tôt. Une idée, assez mesquine, me vint : j’allais la suivre et la dépasser. Ensuite, je la précéderai sur quelques centaines de mètres avant d’accélérer et de disparaître. Je reconnais volontiers que ce plan était d’une nullité affligeante. Il reçut néanmoins un commencement d’exécution. Sauf que, au moment où j’allais rattraper le solex et sa cavalière, un lièvre surgit sur la départementale. Du coup j’oubliais mes projets et, d’un habile coup de volant, j’expédiais l’animal ad patres (on peut juger cette coutume barbare, elle n’était qu’ordinaire). Après quoi, je ramassai ma victime, procédai à l’indispensable purgation de sa vessie et sans plus m’occuper de mon ancienne séductrice que si elle n’avait jamais existé, je m’en revins chez ma marraine qui tira du lièvre une de ces terrines dont elle avait le secret et dont ceux qui ont eu la patience de lire ce récit jusque là, vont pouvoir pénétrer les exquises, mais peu mystérieuses arcanes.

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La terrine de lièvre de ma marraine

Désossez complètement le lièvre et pesez la viande obtenue, avoir le même poids d’un mélange composé de maigre de veau, de maigre de porc et de lard gras dans les proportions suivantes : veau une moitié, porc, un gros tiers, lard, le reste.
Mettre la viande du lièvre à mariner pendant vingt-quatre heures, dans du vin blanc aromatisé avec du thym, une feuille de laurier et les bonnes herbes de votre jardin. Au bout de ce temps, sortir la viande, l’essuyer et détailler les cuisses et le râble en filets. En tailler la même quantité dans le veau et le porc maigre. Hacher finement le reste des viandes et le lard gras. Ajouter à cette farce une gousse d’ail écrasée et deux échalotes finement hachées elles aussi. Lier avec un jaune d’œuf et un trait de vieux marc de Bourgogne. Garnir le fond d’une terrine d’une barde de lard, recouvrir d’une couche de farce, mettre des filets en alternant lièvre, porc et veau, remettre de la farce, puis des filets et continuer jusqu’à épuisement des ingrédients (finir par une couche de farce. Mettre le couvercle de la terrine, le luter, cuire à four moyen, si possible au bain-marie, pendant deux petites heures. Pendant ce temps faire mijoter les os auxquels on ajoute un demi pied de veau, dans la marinade étendue d’un peu d’eau pour préparer la gelée. En fin de cuisson, retirer le couvercle, mettre une planchette taillée selon la forme de l’ustensile sur la viande et la charger d’un poids de un kilo. Laisser au frais jusqu’au lendemain. Retirer la planchette, dégraisser (conserver cette graisse), clarifier la gelée et la couler autour de la viande, faire fondre la graisse et en remettre un peu pour favoriser la conservation. Remettre au frais jusqu’au lendemain où on consommera la chose. Mon oncle l’arrosait d’un Montagny, un Pouilly sur Loire ira tout aussi bien.

Chambolle

[première publication en juillet 2010]


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