John Kennedy a été assassiné à Dallas (Texas) le 22 novembre 1963, il y a cinquante ans exactement aujourd’hui. Au-delà de l’ampleur politique et du retentissement international bien naturel crée par l’évènement à l’époque, ce fut pour moi un marqueur profond dans ma compréhension du monde.
J’avais onze ans, la télévision était encore un objet relativement rare et mystérieux dans les foyers, il faut se remettre dans le contexte de ces années. Voir ou revoir ces images gravées pour toujours dans mon esprit, me laisse toujours abasourdi. La belle voiture américaine aux chromes rutilant qui glisse sur l’asphalte, le président si sympathique au sourire éclatant et soudain cet incompréhensible scénario, sa femme en tailleur rose qui grimpe sur le capot arrière de la limousine qui accélère et s’échappe ! Ce passage ne dure que quelques secondes et à chaque fois que je le revois, mes yeux s’écarquillent comme si c’était la première fois, comme si je ne voulais pas croire ce que mes yeux me disent, comme si derrière les images se cachait quelque chose qui m’échappe.
Là, j’ai menti, ou plutôt ma mémoire m’a trahi. Le tailleur n’était pas rose, mais gris. Pour la bonne raison que la télévision en couleur n’est arrivée en France qu’en 1967 ! Depuis, j’ai revu mille fois la séquence, en couleurs, et bien sûr la puissance des images s’est trouvée accrue, modifiant mes souvenirs.
Le président des Etats-Unis, le plus grand pays du monde, assassiné. A cette époque, le pays était considéré comme le modèle de la démocratie et de la liberté, celui qu’il fallait imiter pour entrer dans le monde moderne en construction, plein de richesses et d’espoirs de toute nature. Le choc était déjà rude pour le gamin que j’étais mais ce n’était pas fini, puisque deux jours plus tard, le 24 novembre, c’est son assassin, Lee Oswald, qui se fait descendre pendant son transfert vers la prison du comté de Dallas, abattu dans les sous-sols du commissariat qui plus est. Les motivations de Jack Ruby, tueur d’Oswald, ne furent jamais clairement élucidées, même si certains estiment qu’il était téléguidé par des conspirateurs. Condamné à mort, Ruby fit appel et mourut en 1967 d’une embolie pulmonaire consécutive à un cancer pendant l'instruction de son procès en appel. Inutile de m’écrire pour me donner votre version de l’affaire, une simple consultation de Google donne le vertige quant aux motifs et théories « expliquant » le pourquoi du comment.
Il était donc possible que l’homme le plus puissant sur Terre soit abattu en pleine rue ! Je n’en revenais pas, et l’accumulation rocambolesque des évènements extérieurs me sidéraient. J’étais tellement marqué - par ce que je considère aujourd’hui comme étant le premier fait d’information politique de mon existence – que quelques années plus tard, mais avant mai 1968, j’en fis le sujet d’un exposé pour un cours au collège. J’ai sous les yeux le bouquin devenu poussiéreux dont je m’étais servi à l’époque, Les assassins de Kennedy, de Richard H. Popkin (Gallimard 1967), annoté et plein de phrases soulignées.
Ce livre n’est pas une référence absolue sur l’affaire, mais je le conserve précieusement car pour moi il symbolise une époque, celle où mes yeux se sont ouverts. Ce monde qu’on m’annonçait merveilleux n’était pas fait que de Bonne nuit les petits, une autre réalité en tirait les fils dans l’ombre que même le soleil texan ne pouvait mettre en lumière.