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"Trois légendes" de Richard Millet

Publié le 21 novembre 2013 par Francisrichard @francisrichard

Richard Millet n'a pas employé sans raison le terme de légende dans le titre de son livre.

Certes le titre de Trois contes était déjà pris par Gustave Flaubert, mais, de toute façon, un conte n'est pas une légende.

Un conte est un récit purement imaginaire, alors qu'une légende peut être soit le fruit de l'imagination à partir de faits historiques, soit le fruit de la déformation avec le temps de faits réels.

De plus légende vient du gérondif du verbe lire en latin. Et c'est là que l'on retrouve Flaubert, qui gueulait ses textes.

Je me suis essayé à lire des passages des Trois légendes à haute voix. Et l'essai est concluant. Ils sont harmonieux et musicaux...

Les trois légendes en question se passent toutes trois dans un microcosme, celui de Meymac et de Siom, que connaît bien ce natif de Viam, située un peu plus au nord dans le département de la Corrèze.

Une femme, née en 1923, raconte un épisode de la vie de son grand-père. Né en 1867, il est cordonnier à 20 ans parce qu'il ne fera pas de hautes études et parce qu'il est prévu qu'il en soit ainsi.

Mais il a été initié tout jeune au violon, à 6 ans, par un Polonais, et la musique sera son luxe, son père ayant acheté pour lui, à un ignare de brocanteur, un alto, finalement l'instrument qu'il préfère, "un instrument plus grand, plus grave, plus mystérieux que le violon":

"C'était là ce qu'il aimait le mieux au monde, l'alto, le chant, les femmes - après sa propre famille, ou peut-être plus qu'elle, les êtres de son espèce ne peuvent faire autrement. Et il collectionnerait les violons comme il collectionnait les femmes."

Jusqu'au jour où l'absinthe se révéla "une fée bien plus puissante que la musique et les femmes"...

Dans les années 1920, en rentrant d'une noce, où il a joué de son alto, alors qu'il est fatigué et passablement éméché, il rentre par la forêt de Sauziat et est suivi par une horde de loups à qui il joue de la musique...

Les deux frères Cavalier sont quasiment jumeaux. Ils portent bien leur patronyme puisqu'ils sont bien les seuls à monter à cheval à Siom. Quand la Deuxième Guerre mondiale éclate, ils servent dans la cavalerie à cheval:

"Une guerre sans grandeur, qu'on appelerait un jour la drôle de guerre, bien qu'elle n'eût rien de drôle, en aucun sens, avec sa débâcle et son exode."

Leur mère, quand ils sont partis, leur a fait promettre que "chacun d'eux ramènerait l'autre, quoi qu'il arrive"...

L'aîné des deux frères avait en tête Denise, "une fille de Meymac, secrètement aimée, quoique chacun s'en doutât; une fille à cheveux roux et de parents aisés". En leur absence, il se disait à voix basse que Denise avait accordé ses faveurs aux deux frères...

Reviendront-ils? Telle est la question lancinante que se pose tout le monde jusqu'à la fin de cette légende...

Sylvain Ragnard, le sexagénaire bien prénommé, possède une ferme, le Pouget, mais surtout une Land-Rover et une forêt, qui intriguent:

"La Land-Rover parce qu'il n'y en avait pas deux dans tout le canton, et la forêt parce qu'on la disait impénétrable, tellement les sapins avaient poussé serré, à croire qu'il ne les avait pas plantés pour les exploiter mais pour s'en faire une muraille."

Geneviève Peyroux, fille de la ville, est une institutrice remplaçante à Siom. Elle dit que "toute femme est une forêt". Qu'est-ce à dire? C'est-à-dire "une inconnue, même pour ceux qui vivent avec elle, y compris les autres femmes"...

C'est elle, pourtant, Geneviève qui va pénétrer la forêt du Pouget et rencontrer chez lui le mystérieux Ragnard. Et il va s'avérer que ce n'est pas lui qui interdit son domaine aux gamins du coin, mais eux qui ne veulent pas de lui parce que ce "frontalier" leur est inconnu...

Une relation sans ambiguïté se noue entre Geneviève et Sylvain, qui ne sont pas "des amants maudits, vu la différence d'âge et de condition"... comme le disent un moment les mauvaises langues, qui en seront pour leurs frais quand elles sauront la vérité...

Lire du Richard Millet est un vrai régal. Car, chez lui, le style n'est pas évacué au profit de l'écriture. Il est le contre-exemple flagrant de ce que peut être souvent l'indigence syntaxique et sémantique qui caractérise nombre d'écrivains contemporains.

C'est pourquoi je prends un réel plaisir à le lire, même lorsque je ne suis pas au diapason avec ce qu'il pense. Encore que je sois, comme lui, dans un autre genre que lui toutefois, un mélange détonnant de tradition et de modernité...

Francis Richard

Trois légendes, Richard Millet, 96 pages, Pierre Guillaume de Roux


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