Biennale de Cuba 2012
Kcho
David
Il y a aujourd’hui plus de cent cinquante biennales aux quatre coins du monde. Pour en connaître la liste, il suffit de consulter les sites :
http://www. biennal foundation.org
http://www.aica-int.org/spip.php?article464
En septembre et octobre de cette année, plusieurs rendez- vous se concurrencent : Biennale de Lyon, Biennale d’Istanbul, Biennale de Thessalonique, Biennale de Moscou, Biennale de Singapour. Comme le titrait le Journal Le Monde du 7 Septembre 2013 : Chacun veut sa biennale.
Les Biennales se sont multipliées à un point tel qu’une rencontre internationale, le World Biennal forum, a été organisé du 27 au 31 octobre 2012.
Les incontournables vedettes
Il y a, bien sûr, les incontournables vedettes, Biennale de Venise et de São Paulo.
La plus célèbre et ancienne d’entre elles est celle de Venise, créée en 1895 pour célébrer les noces d’argent du Roi Umberto et de Marguerite de Savoie. Fonctionnant sur un système de pavillons nationaux permanents, elle est attendue par les professionnels du monde entier. La particularité de cette biennale est qu’elle n’a pas été créée pour les Vénitiens mais véritablement pour diffuser une image internationale des arts.
La biennale de São Paulo, fondée en 1951 – cinquante-six ans après Venise et quatre ans avant la Documenta de Kassel – par Francisco Matarazzo Sobrinho, entrepreneur d’origine italienne, avait pour but de pallier le manque de collections substantielles du Museu de Arte Moderna de São Paulo, alors nouvellement ouvert. Elle fut la première biennale organisée en dehors de l’Occident, cependant elle resta configurée selon le modèle vénitien des pavillons nationaux jusqu’à sa seizième édition en 1981 dirigée par Walter Zanini.
En 1994, 1996, 1998 des artistes de Martinique, Serge Goudin Thébia, Ernest Breleur, Marc Latamie ont participé aux Biennales de São Paulo. Nelson Aguilar, alors curator général, décide d’ouvrir la biennale aux pays de la Caraïbe. Chaque pays invité est représenté par une délégation nationale et la sélection des artistes est confiée, sur la base d’une thématique déterminée par la Biennale, à un commissaire désigné par chaque des pays participant. Les départements d’Outre – mer sont invités au même titre que les pays indépendants de la Caraïbe ce qui ne manque pas de surprendre la délégation française. En 1994, XXII ème Biennale, Catherine David commissaire pour la France avait sélectionné deux artistes Toni Grand et Jean – Marc Bustamente pour répondre au sujet, l’éclatement du cadre. Ernest Breleur et Serge Goudin Thébia représentaient la Martinique.
En 1996, XXIII ème biennale, le commissaire, Laurence Gateau, répond à la question de la dématérialisation de l’art avec une œuvre d’Alain Sechas. Marc Latamie représente la Martinique.
En 1998, La Caraïbe est représentée, non plus par un ou deux artistes par pays mais par une exposition collective, La Caraïbe en Noir et Blanc, dont le curator fut Virginia Perez Raton. Ernest Breleur figure aux côtés d’Allora et Calzadilla, Albert Chong, Abigail Hadeed entre autres.
En 2000, sélectionné par Jean – Hubert Martin, Serge Goudin Thébia participe à la Biennale de Lyon, Partage d’exotisme.
Les biennales périphériques
Triennale de la Caraïbe
République Dominicaine
Les années 1980 ont permis une ouverture de l’histoire et du marché de l’art – tel qu’il est envisagé dans le monde occidental – à des zones géographiques jusque-là considérées comme non insérables dans cette histoire. Ce constat général s’applique également aux biennales internationales d’art contemporain, dont le format s’est développé dans le monde entier, plus particulièrement au cours des années 1980-1990. Ce sont les Biennales périphériques
Ces biennales dites périphériques des années 1990 n’étaient pas simplement des biennales de plus, mais de réels outils pour valoriser une nouvelle génération d’artistes issue de différents contextes culturels.
Parmi elles, il y eut la Biennale de Johannesburg créée au lendemain de l’abolition du régime de l’Apartheid, pour contribuer à promouvoir une image positive de l’Afrique du Sud mais elle ne connut que deux éditions
En 1995, Africus, première édition de cette biennale, remporta un vif succès
La seconde édition, Trade Routes : History and Geography, en 1997, fut la dernière.
Okwui Enwezor, théoricien et commissaire nigérian expatrié aux États-Unis, fondateur de la revue Nka : Journal of Contemporary African Art en 1994, s’en vit confier la direction artistique. Il était résolument décidé à ne pas adopter les mêmes stratégies curatoriales que ses prédécesseurs sud-africains, Lorna Ferguson et Christopher Till, avaient appliquées en 1995. Au lieu de désigner pour chaque pays participant un commissaire autochtone et un commissaire sud-africain, chargés d’opérer une sélection nationale, Enwezor choisit de s’entourer de six co-commissaires d’origines différentes : le Chinois Hou Hanru, l’Africaine-Américaine Kellie Jones, la Coréenne Yu Yeon Kim, le Cubain Gerardo Mosquera, le Sud-Africain Colin Richards et l’Espagnol Octavio Zaya. Alors qu’ils travaillaient tous sur des questions d’identité au sein du monde globalisé, il leur demanda à chacun de produire une exposition en abolissant les pavillons nationaux et toute forme de nationalisme.
Les motivations qui président à la création d’une biennale sont diverses : célébrer des personnalités pour Venise, enrichir les collections d’un musée pour São Paulo. Si elles furent politiques pour Johannesburg, première manifestation post – apartheid d’envergure, à la Nouvelle Orléans, le désir de reconstruction après l’ouragan Katrina fut déterminant. Rendre hommage aux victimes de la révolte étudiante de 1980 qui mena à la démocratisation de la Corée du Sud fut le moteur de la création de la biennale de Kwangju, mise en place en 1995.
Et la Caraïbe ?
La plus connue est sans conteste la Biennale de la Havane créée en 1984.
Biennale de Cuba 2012
CollectionCisnéros
D’abord limitée aux artistes de la Caraïbe et de l’Amérique Latine, comme un contrepoids aux biennales du Centre, la Biennale de La Havane s’est positionnée dès le début comme une Biennale du Sud ou du Tiers Monde même si elle s’est depuis élargie au monde entier. Elle ne pratique pas une monstration par aires géographiques ou représentation nationale. Il est intéressant de souligner que la biennale de La Havane ne fait appel à aucun commissaire invité, ce qui marque une véritable différence avec les autres biennales qui changent de commissaire ou de directeur artistique tous les deux ans, s’assurant ainsi d’un renouvellement constant de perspective artistique.
La première biennale a été précédée par le Salon de Mai. En 1967, Lam, fidèle du Salon de Mai de Paris, organise son transfert à Cuba. A cette occasion, une performance est réalisée à La Havane, dans la nuit du 17 juillet 1967, par cent artistes, peintres, sculpteurs, intellectuels. Parmi eux, quarante – six cubains et vingt -six français.
Lam avait imaginé une fresque de cinquante – cinq mètres carrés en forme de jeu de l’oie, réalisée sur six panneaux de bois recouverts de toile.
Cette fresque est visible aujourd’hui au Musée des Beaux- Arts de La Havane.
Biennale de Cuba 2O12
La onzième biennale de La Havane a rassemblé en mai 2012 cent quinze (115) artistes de quarante (40) pays, neuf (9) expos collectives, plus de quinze (15) lieux d’expositions. Des artistes de Martinique ont participé à différentes biennales de la Havane : Alex Burke, Ernest Breleur, Jean – François Boclé, Hamid, Serge Goudin – Thébia.
La douzième biennale est programmée en novembre 2015
La première Biennale de peinture de la Caraïbe et de l’Amérique Centrale s’est tenue en 1992 à l’occasion du cinq centième anniversaire du choc des deux mondes. Ont suivi cinq éditions entre 1994et 2003. Après une pause de six ans entre 2004- 2010, la Première Triennale de la Caraïbe s’est déroulée en 2010.
L’édition 2013 est ajournée.
En Décembre 2009 Atis Rezistans, les Sculpteurs de Grand Rue, ont accueilli la première biennale du Ghetto. Etaient invités des artistes, des metteurs en scène, des universitaires, des photographes, des musiciens, des architectes et des écrivains, conviés à Grand Rue, un quartier de Port-au-Prince en Haïti, pour travailler ou découvrir les créations ou les performances dans leur environnement. D’après l’écrivain John Keiffer, les concepteurs entendaient constituer un « troisième espace… un événement ou un moment issu de la collaboration entre artistes de provenances radicalement différentes ». La deuxième Biennale du Ghetto s’est tenue en Décembre 2011
La Biennale du Ghetto recherche un équilibre parmi les agendas multiples et souvent contradictoires qui régissent ces événements. Elle a choisi de répondre aux défis créés par les versions précédentes en fournissant un thème pour la troisième Biennale du Ghetto à partir de projets artistiques créés sur site, questionnant et répondant au thème ‘ Le Marché de l’art : du local vers le global’.
La troisième Biennale du Ghetto, en décembre 2013, cherchera à mettre en
Triennale de la Caraïbe
République Dominicaine
évidence les limites d’un marché de l’art de la mondialisation, et de mener un débat significatif sur les similitudes et les diversités dans un monde de l’art soi-disant décentralisé.
La Biennale de gravure de la Caraïbe et de l’Amérique latine, fondée en 1970, la première et la plus ancienne des rencontres autour des arts graphiques de la zone devient en 2004 la San Juan Poly/Graphic Triennal et met en lumière désormais la gravure traditionnelle comme les techniques les plus contemporaines
Initiée en 1992, la Biennale de Panama est en cours de refondation
La Biennale internationale d’art contemporain de Mérida a connu deux éditions en 2010 et 2012.
Comment classer les biennales ?
Les Biennales sont classées selon deux typologies, celle de René Bloch et celle de Charlotte Bydler.
Le commissaire allemand René Block a suggéré une typologie des biennales basée sur les modalités d’organisation de celles-ci :
le modèle de Venise illustre une grande exposition mondiale avec des représentations nationales.
le modèle de Sydney représente des biennales de plus petite échelle organisées autour d’un thème où les artistes invités dépendent de supports financiers externes.
le modèle de Kwangju se réfère aux biennales qui sélectionnent des artistes indépendamment des pays représentés
le modèle de Manifesta représente un prototype pour une biennale itinérante
Charlotte Bydler propose une typologie différente basée plutôt sur les conditions de création des biennales :
les entreprises “capitalistes-philanthropiques” initiées à la fin du XIXe siècle jusqu’à la moitié du XXe siècle, la plupart d’entre-elles par des patrons puissants (Venise, la Carnegie International, mais aussi São Paulo et Sydney).
les événements nés de la période de l’après 1945, marqués par les blocs politiques : Documenta, Venise post-guerre, La Havane, Dak’Art, les biennales internationales d’arts graphiques de Cracovie, Ljubljana ou Buenos Aires.
la diversité des événements des années 1990 et 2000 : Istanbul, Kwangju, Manifesta, et Sharjah.
Une biennale, pour quel public ?
Le public est double : le public des acteurs culturels internationaux et le public local.
Les grandes biennales connaissent une fréquentation – record
665 000 entrées pour Sydney
200 000 pour Lyon
110 000 pour Istanbul
Même si ces manifestations briguent une stature internationale, elles n’oublient pas que 80 % de leur public est local. Cette année la gratuité est de mise pour les biennales d’Istanbul, Sydney et São Paulo afin de drainer un public local plus nombreux. Chaque Biennale doit donc avoir un sens pour la scène artistique locale. L’équilibre entre proposition pour le public local et proposition pour le public international peut – être difficile à trouver. Chaque biennale doit donc commencer par définir le public qu’elle cible pour arrêter sa stratégie. Veut – elle d’abord initier la population locale ? Veut – elle plutôt pénétrer le milieu international à l’aide des personnalités ou des journalistes invités ?
Biennale de Cuba 2012
Combien coûte une biennale ?
En moyenne 6, 4 Millions d’€
Mais le coût affiché pour São Paulo est de 16 M € et pour Moscou de 2 M €
Le succès d’une biennale dépend également de la capacité de la ville à accueillir du public. Il est nécessaire que les infrastructures de communication, de transport et d’hôtellerie soient mises en place si elles n’existent pas déjà ce qui implique un budget important consacré à la construction et à la rénovation, comme c’est le cas lorsqu’une ville accueille les Jeux Olympiques.
Quel peut être l’impact des Biennales ?
Les biennales sont effectivement de véritables outils de légitimation : légitimation de l’art contemporain, des artistes et des différents acteurs qui composent cette communauté (critiques, commissaires, etc.) mais aussi justification des institutions de la ville où la biennale se déroule. Ce format d’exposition permet la visibilité d’une communauté artistique locale sur la scène internationale, autant qu’elle permet l’intrusion de cette même scène au niveau local.
Elles correspondent à un effort pour accélérer la circulation des biens et des acteurs culturels.
Et pour certains pays périphériques, elles représentent l’espoir de pénétrer les circuits internationaux.
Elles participent à l’attractivité d’un territoire mais une biennale doit être reconnue et renommée avant d’attirer des visiteurs, avant de développer un tourisme culturel de manière significative.
Dans la Caraïbe, elles ont une fonction essentielle de trait – d’union entre les acteurs culturels des différentes régions. Elles favorisent la pérennité et l’actualisation du réseau. Ce sont des opportunités de rencontre, d’échange, de travail. Elles permettent donc de dépasser la fragmentation géographique et d’approfondir les relations électroniques quotidiennes.
Cependant, il faut reconnaître que la résonnance sur le grand public est faible et sans doute faudrait – il inventer une passerelle qui permette au grand public d’être informé de ces manifestations caribéennes.
Les aspects contre productifs des biennales
Sur le plan local
Il y a bien sûr le risque du choix de l’évènementiel au détriment du structurel. Sera – t- il plus efficace pour l’évolution de l’art dans la région de privilégier un évènement ponctuel ? Les artistes et la population tireront – ils un bénéfice plus important d’une manifestation onéreuse et isolée que d’une programmation annuelle d’un centre d’art pérenne ?
Sur le plan global
Les biennales accélèrent un processus de globalisation déjà à l’œuvre. Il y a d’une
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Collection Cisneros
part un risque d’uniformisation, l’apparition de ce que l’on appelle un art des biennales caractérisé en premier lieu par sa monumentalité. Les critères de sélection créent un système pervers en privilégiant davantage les installations et les vidéos, ce qui semble vouloir signifier que peu d’artistes pratiquent aujourd’hui la sculpture et la peinture mais que l’écriture plastique d’aujourd’hui, c’est l’installation.
Ainsi le jury a- t-il une fonction délicate. Peut – être ne devrait – il pas systématiquement privilégier des œuvres similaires pour ne pas faire la promotion d’un langage unique mais valider ainsi plusieurs expériences et maintenir une pluralité, une diversité culturelle.
D’autre part, les artistes isolés sont exclus. Au contraire les biennales renforcent fortement la visibilité de ceux qui y sont montrés. En effet, le curator tient à exposer un bon artiste car l’artiste exposé expose aussi son curator, qui tient à la reconnaissance de ses pairs. Certaines biennales offre une possibilité de candidature libre donc une visibilité possible hors de la sélection de curator comme par exemple la Biennale de Dakar qui offre une double entrée : la sélection par un curator ou un dossier soumis directement par l’artiste
Enfin, elles renforcent aussi l’hégémonie du curator. Pas de Biennale sans curator. Les biennales contribuent – elles à donner un pouvoir démesuré aux curators. ? Souvent les biennales sont des lieux où les curators se parlent à eux -mêmes. Ils travaillent pour leurs pairs, le public international.
Alors la manifestation martiniquaise répondra – t- elle aux attentes des artistes, des acteurs culturels, des amateurs, des collectionneurs, des critiques, des professionnels de la culture de la Caraïbe ? Réussira – t-elle à rendre la Martinique attractive aux yeux du monde de l’art ? Réussira – t- elle à accroître le rayonnement des artistes de la région ? Comment s’intégrera – t – elle dans la paysage artistique de la Caraïbe ? Comment se positionnera – t elle par rapport aux autres biennales de la Caraïbe ? Trouvera – t – elle sa place au niveau national ou international ?
Dominique Brebion
Aica Caraïbe du Sud
Biennal foundation
Carte des biennales