Il a l’âge d’entrer à l’école primaire mais il sait déjà écrire son nom bien sûr. Il sait aussi manipuler le Smartphone de sa mère, la télécommande de la télévision, le clavier de l’ordinateur familial. Il sait surtout ce qu’il veut pour Noël et entend bien le faire savoir à sa mère pour le cas où elle aurait une influence quelconque sur le choix de ce mystérieux Père Noël. Il est donc parvenu à l’entraîner jusqu’aux rayons des jouets du supermarché. Et ils sont nombreux comme lui ce mercredi après-midi à déambuler dans les allées, à courir en tous sens et à repérer sans hésiter l’objet de leur convoitise. Demain, la mère reviendra, ou la grand-mère, la tante, le père, et ils achèteront le précieux viatique qui devrait faire briller les yeux du gamin le matin fatidique. Et nombreuses seront les mères qui l’imiteront. Là-haut, dans sa tour de verre d’où il embrasse la plus grande partie du magasin, le patron se frotte les mains. Nous avons bien fait d’avancer à début novembre la mise en place des jouets. Elles achètent de plus en plus tôt. En réalité, c’est une course poursuite entre le vendeur et les acheteurs. Un jeu étrange où les deux protagonistes se tiennent par la barbichette. Si les jouets n’étaient mis en vente qu’à partir de décembre, les clientes n’achèteraient qu’à partir de décembre. Mais comme elles se précipitent dès le premier jour et dévalisent presque le stock en quelques heures, le patron fait préparer les rayonnages une semaine plus tôt l’année suivante. Puis une semaine plus tôt encore l’année d’après. On verra bientôt les jouets exposés dès la rentrée scolaire, puis pour le quatorze juillet, puis pour…Mais pourquoi les rayons des jouets sont-ils ainsi dévalisés aussitôt dressés ? Prenons l’exemple de cette mère de famille. Elle avance à grandes enjambées sans se soucier de la fillette qui court dans ses pas. Elle s’arrête tout à coup, sourit et se dirige droit sur la boite rose bonbon de la poupée Juliette en vogue cette année. Ou plutôt, vers l’endroit où se tenaient hier, sagement alignées côte à côte, les fameuses boites. Car, oh stupeur, l’étagère est vide ! Coup d’œil à droite, coup d’œil à gauche. En vain. D’une main fébrile, elle fouille ici où là. S’énerve, fait tomber une boite de dinette, une autre de bijoux fantaisie. Mais pas de Juliette. La fillette l’a enfin rejointe. Pourquoi, ils l’ont prise ? Les sanglots secouent ses épaules tandis que deux grosses larmes dévalent ses joues rebondies. Ils en ont sûrement d’autres en réserve, dit la mère pour la consoler. Et elle part à la chasse au vendeur. Et ce n’est pas chose facile parce que le vendeur ou la vendeuse sont très sollicités en ce moment. Elle parvient enfin à retenir l’attention d’une jeunette qui n’est manifestement là que depuis le début de la semaine et pour un contrat de deux mois tout au plus. Elle ne sait pas. Elle ne sait rien. Elle va se renseigner. Elle ne tarde pas à revenir. Il n’y en a plus. La fillette pleure cette fois toutes les larmes de son corps. La mère, à la fois rouge de colère et de honte, l’aspire au plus vite hors du magasin avant que toute la population ne soit alarmée. Pourquoi tu l’as pas prise hier, reproche la gamine en reniflant alors qu’elles arrivent à la voiture ? En effet, le jouet à la mode étant un objet rare, il ne faut jamais attendre pour se le procurer sinon, tout est perdu. Qu’il soit mis en vente à Pâques ou à la Toussaint ne change rien à l’affaire. On voit par là que le monde commerçant a ses propres règles et qu’il ne tourne pas mieux que les autres.