Mais qu’est-ce qu’ils ont ces Islandais ? Il semble qu’à chaque fois qu’on entend parler d’un groupe de musique ou d’un artiste qui sort de la contrée lointaine et isolée qu’est l’Islande, il s’agit d’un véritable joyau.
On n’a qu’à penser à Björk au début des années 1990, suivi peu de temps après par le groupe post-rock Sigur Ros. Ce sont aujourd’hui des icônes de leurs genres respectifs.
Voilà qu’un autre bijou, raffiné et beau comme ses compatriotes plus tôt mentionnés, s’apprête à traverser l’océan pour venir orner nos oreilles. Ásgeir Trausti est en fait déjà une superstar en Islande. Son premier album, Dýrð í dauðaþögn, sorti en 2012, est entre les mains de 10% de la population islandaise. Ce serait l’équivalent au Québec d’un peu plus de 800 000 ventes du même album, soit un disque Diamant. La seule artiste à avoir atteint ce plateau au Québec est… Céline Dion.
Originaire du minuscule village Laugarbakki – une population de 40 individus – celui qu’on surnomme plus communément et simplement Ásgeir n’a pas encore la renommée internationale de la grande Céline. Néanmoins, il a déjà une très belle collection de prix et récompenses. Au Icelandic Music Awards, il a remporté les prix de l’album de l’année, de la révélation de l’année, et même celui du public, pour ne nommer que ceux-là. Dýrð í dauðaþögn a été nommé pour le Nordic Music Prize, qui récompense le meilleur album des pays nordiques, un peu comme le prix Mercury au Royaume-Uni. Son premier simple s’est rendu jusqu’au 2e rang en Islande, et ses trois derniers se sont tous rendus au 1er rang. La pièce Leyndarmál y est même restée pendant six semaines consécutives.
Ásgeir commence donc tout juste à faire sa marque à l’extérieur de l’Islande. Le processus est un peu ralenti par le fait que l’album n’est pas encore distribué à l’extérieur de la Scandinavie. En s’associant avec l’auteur-compositeur-interprète américain John Grant, il lancera à l’international le 27 janvier prochain son album, traduit en anglais, renommé pour l’occasion In The Silence. Selon The Guardian, l’Américain ne cache pas sa jalousie envers le talent du jeune islandais de 21 ans : « il y a des jours où j’ai le goût de m’arracher les cheveux tellement il est jeune et beau et talentueux et en même temps aussi nonchalant envers tout ce qui lui arrive ».
Bien honnêtement, la traduction de l’islandais à l’anglais n’était pas nécessaire, les émotions véhiculant déjà très bien. D’ailleurs, le fait de ne pas comprendre les paroles n’a pas empêché Sigur Ros de devenir le groupe phare du post-rock qu’il est aujourd’hui.
Même que la langue qui nous est pour la plupart incompréhensible rend le personnage d’autant plus mystique. Sa voix nous captive dès l’instant où on entend ses premières notes et elle attire toute notre attention. Elle est parfois doucement posée sur des rythmes de guitares acoustiques hantés mais chaleureux, pour qu’ensuite embarquent des percussions et synthétiseurs électroniques (Leyndarmál). D’autres fois, une basse pleine et envahissante vient entourer une douce cadence de bruitages organiques, et alors vient s’ajouter une subtile couche d’instruments à vent (Heimförin). On hoche parfois de la tête pour suivre le rythme quasi-dansant, d’autres fois on se ferme les yeux et on se laisse amener là où Ásgeir veut bien nous amener. Il a le plein contrôle de nos émotions.
Une telle description de sa musique pourrait facilement rappeler tout ce mouvement indie-folk des dernières années, où l’originalité et l’authenticité se sont noyées dans un océan de sons indistincts, indissociables les uns des autres. Mais détrompez-vous. Ce n’est rien de ce qu’on a déjà entendu. Sa musique a reçu le qualificatif de « sci-fi folk » et ce terme décrit bien ce que c’est : chaleureux comme une couette que l’on pose sur notre corps pour s’endormir au chaud, et froid, totalement différent comme on peut s’imaginer un pays nordique et isolé du reste du monde comme l’Islande. C’est de la beauté d’une aurore boréale. C’est puissant et fragile à la fois. Sa musique évoque toutes les émotions humaines, de la tristesse à la nostalgie, mais en passant aussi par la luminosité de la joie et de l’allégresse.
Les deux côtés de son son – le folk traditionnel mélangé à de l’arrangement électronique hors de l’ordinaire – s’agencent parfaitement. Autant on se sent interpellé par cette présence vocale riche et passionnée, autant on a l’impression que cette musique nous vient d’un autre monde, d’un autre univers. Comme un extraterrestre qui nous chante la pomme… sans qu’on y comprenne un mot.