Si « l’ère des faiseurs de rois sera révolue » en Algérie, qu’adviendra-t-il alors de ces monarques que le système a déjà produits et placés stratégiquement dans les rouages des administrations et institutions de l’Etat ? Quelle serait la réforme constitutionnelle efficiente qui fera taire ceux qui ne cessaient de crier que l’Algérie est dirigée par les Généraux ? La crédibilité de ces perspectives est d’emblée perdue car pensées par ceux-là même qui ont confisqué l’indépendance de l’Algérie.
Ces « faiseurs de rois » ! Allusion faite au DRS (Département du renseignement et de la sécurité), le tout puisant service de renseignement algérien dirigé par Mohamed Médiène dit « Tawfik ». Ce sont là les propos du Secrétaire Général du FLN (Front de Libération Nationale), Amar Saâdani qui a accordé en octobre 2013 une interview à un média britannique. Le patron de l’ex-parti unique a déclaré que « le DRS continuera à jouer son rôle, mais ne sera plus impliqué dans la vie politique, dans les Partis, les médias et la justice ». L’homme du sérail, puisqu’il avait occupé en 2005 la fonction de Président de la Chambre basse (Assemblé Populaire Nationale : APN), vient de confirmer de facto par ces assertions que le Pouvoir en Algérie a toujours usé de l’instrument DRS dans le choix de ses hommes, loyaux serviteurs du système totalitaire érigé dès l’indépendance en juillet 1962. Depuis cette date, l’ex-Sécurité Militaire (la SM) n’a cessé de jouer un rôle influent dans la vie politique du pays.
Le DRS intervenait à tous les niveaux. Ses services font et défont les « élus », des municipalités au parlement (entendre par là les deux chambres : haute et basse), en passant par l’assemblée des wilayas (préfectures). Ils s’en mêlent également dans la promotion et la désignation des commis d’Etat à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Il est prédit que des réformes seront entamées par le Président de la République dans les structures du DRS. Ces changements qui devaient limiter leur influence dans les affaires politiques du pays, seront opérés après le parachèvement de la révision constitutionnelle. La constitution, qui ne définit présentement que la mission de l’Armée, sera amendée dans ce sens pour mettre en place ces perspectives.
Dans l’administration, dans la justice, dans les médias, dans les partis politiques ou dans le mouvement associatif, les caporaux du système sont disséminés d’une manière intelligente pour occuper les principaux centres de décision et tous les cercles privés ou publics, régnant en maître sur tout ce qui est économique, politique, religieux et social. Le DRS a, ainsi, rempli sa mission, celle de pérenniser le système totalitaire dont les hommes envisagent, aujourd’hui, de larguer cette police politique. Le DRS serait-il devenu un instrument inutile ? Un outil superflu sans doute puisque les autocrates placés partout reprendront la mission du DRS et seront les gardes fous du système.
De ce fait, l’impunité sera garantie et les dignitaires du système ne seront pas inquiétés de la gabegie et de leur gestion opaque des deniers publics. Faudrait-il encore rappeler que 500 milliards de dollars au moins ont été engloutis depuis l’avènement de Abdelazziz Bouteflika en Avril 1999 et que le peuple algérien n’a pas joui des fruits de cet argent issu de la manne pétrolière. La mise à l’écart de la police politique, les « rois » vont reprendre sa mission dans le choix des hommes du pouvoir à placer dans les rouages des administrations, des médias, de la justice et autres partis politiques et mouvement associatif.
Outre la gabegie dont sont responsables les actuels tenants du pouvoir, ces derniers ont également brillé par l’absence flagrante de communication. La gestion communicationnelle de la maladie du président de la République, victime d’un AVC le 27 avril 2013, en est un exemple incontestable. Le pouvoir continue à ignorer le peuple. La sortie médiatique du Secrétaire Général de l’ex-parti unique renseigne sur l’affligeante déliquescence de la communication institutionnelle en Algérie.
M. Amar Saâdani qui semble agir en porte parole de la présidence, ne s’est pas arrêté aux seules réformes de la constitution et le rôle que devait jouer le DRS après la révision du texte fondamental. Il a commenté également « les profondes restructurations » entamées par le président de la République en début d’été 2013, au sein du DRS. « Certains des pouvoirs qui lui ont été dévolus jusque là, ont été transférés à l’état major de l’ANP (Armée nationale populaire) ». Ces restructurations sont la poudre aux yeux pour faire croire que le pays est engagé à bâtir un Etat civil et l’Algérie des Généraux ne sera jamais plus ce prétexte qu’auront à brandir les militants de la démocratie.
L’Algérie des Généraux a vu naitre l’économie rentière et léthargique qui se poursuivra en dépit de la mise en retraites d’un grand nombre d’entre eux car le flambeau est passé toutefois à leurs progénitures. L’ouverture économique opérée après les évènements sanglants du 5 octobre 1988, a profité à des militaires, officiers supérieurs, qui se sont convertis en importateurs. Tout ce qui relevait alors du monopole de l’Etat (commerce du Café, du Sucre, des Médicaments, des Céréales etc.), est revenu de facto aux Généraux qui se réservaient l’exclusivité du produit. Aujourd’hui, ce monopole est tenu exclusivement par les fils et les filles des généraux. Le cercle du monopole s’est élargi aux gendres et les belles familles des généraux. Dans le sillage de cette mise en retraite, d’autres officiers ont été hissés aux grades de Généraux. Ces Généraux politiquement promus, n’occupent aucun poste, seulement se garantissent un salaire faramineux. Cette pléthore est dénoncée par la nouvelle génération des militaires qui se démarque d’un état de fait fabriqué par le Pouvoir : des Généraux importateurs aux Généraux budgétivores et ce, au moment où des Algériens continuent à vivre dans le dénuement.
Les « faiseurs des rois » ne peuvent et ne doivent être que les électrices et les électeurs qui choisiront librement leurs représentants à tous les niveaux et desquels ils doivent obtenir des comptes.
Bouhassoune Lahouari, journaliste au Quotidien d'Oran, le 22 novembre 2013.