Premier acte, ce mardi 19 novembre, dans une interview au journal Les Echos , Jean-Marc Ayrault balance l'expression qui pourrait réjouir ou stresser:
"Je crois que le temps est venu d’une remise à plat, en toute transparence, de notre système fiscal.""L'opposition veut moins d'impôts et plus de dépenses, elle va être prise dans son incohérence" , complète-t-il le lendemain sur France Inter. Effectivement, le "front des refus" vole provisoirement en éclat. L'eco-taxe ? Suspendue sine die. La hausse de TVA de janvier ? Il y a plus vaste à débattre.
1. La nouvelle fait une première victime, l'UMP. Elle gâche le "happening" médiatique concocté par Jean-François Copé contre le gouvernement à propos des rythmes scolaires notamment. Le président de l'UMP avait convié 400 maires de droite pour une conférence de presse un peu avant les JT du midi et amplifier ce mouvement de contestation séditieuse. Debout sur l'estrade, flanqué de ce compte encore de personnalités visibles l'ex-parti unique de l'ex-majorité (nombreux ont été les départs pour l'UDI), Copé raille l'annonce, il s'angoisse de cette nouvelle "instabilité fiscale" à venir.
2. Les partenaires sociaux, comme on les appellent, sont invités la semaine prochaine. Le Medef, par la voix de son président Pierre Gattaz, s'inquiète de l'instabilité fiscale... (roooo!): "la déclaration du premier ministre me gêne". Le même se réjouissait des Assises de la fiscalité promises par Mosco il y a quelques semaines. Le contexte semble avoir changé. Parmi les syndicats de salariés, Force Ouvrière est le premier à sourire, "une bonne initiative" dit son secrétaire général Jean-Pierre Mailly. La CGT grogne encore, dénonçant "une réaction tardive au désaveu et au discrédit que le pouvoir politique a lui-même provoqués"; la CFDT applaudit.
3. A gauche, on oscille entre soulagement et résistance. Les députés socialistes et écologistes sont soulagés, heureux, satisfaits. A moins que les râleurs n'aient soudainement décidé de se cacher. Du côté du Parti de gauche, Mélenchon trouve quelques vraies raisons de se réjouir: l'initiative du gouvernement, selon lui, "prouve que nous avions raison", explique Mélenchon, dans un communiqué mercredi. Il propose "d'organiser le rapport de forces". Mais cette annonce gouvernementale en brouille une autre .Le Parti de Gauche venait de publier son contre-budget 2014. D'autres à gauche râlent déjà sur le tempo. Hollande, depuis Rome, promet une démarche longue, "pendant toute la durée du quinquennat".
Certains semblent regretter l'urgence d'antan.
4. Ayrault reprend un diagnostic largement partagé, les désaccords viendront après: "Le système fiscal français est devenu très complexe, quasiment illisible, et les Français, trop souvent, ne comprennent plus sa logique ou ne sont pas convaincus que ce qu’ils paient est juste, que le système est efficace." Le lendemain, depuis Rome où il était en voyage officiel, François Hollande résume les trois objectifs de ce qu'il qualifie de "réforme fiscale": simplification, clarification, justice.
5. Ayrault évoque une "remise à plat" à "prélèvements obligatoires constants". De quoi faire couiner les néo-lib et une large fraction de la droite. A l'UMP, on est soudainement amnésique depuis quelques mois. Les 40 milliards d'euros d'impôts votés en fin de mandat Sarkozy ? Oubliés ! Les 115 milliards d'euros "d'effort" promis par le candidat sortant en mars 2012 ? Oubliés !
6. Cette initiative va permettre de lever nombre de confusions médiatico-politiques. On verra qui se positionne sur quoi et pour quoi. Par exemple, dès 13 heures sur BFM-TV, l'éditorialiste neo-lib Nicolas Doze recommandait urgemment d'annuler la quasi-totalité de la hausse de TVA réduite (qui pèse sur les entreprises qui ne peuvent la répercuter aux clients)... au profit d'une hausse de la TVA générale plus forte encore que celle initialement décidée par le gouvernement Fillon/Sarkozy.
7. Pourquoi cette remise à plat n'a-t-elle pas eu lieu l'an dernier ? A cause de l'état déplorable des finances publiques et du contexte économique, plaide Ayrault. C'est une antienne connue ... et critiquée à gauche. "Jusqu’ici, nous avons répondu à l’urgence pour redresser la barre. Il nous faut désormais bâtir pour l’avenir." Ayrault fait dans la métaphore navale: "nous sommes en train de réparer le navire." C'est la route du Rhum !
8. Ayrault a placé la barre haute: tout va y passer, tout est sur la table: fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG, prélèvements sociaux, fiscalité des ménages ou des entreprises, du travail et du capital.
9. Jean-Marc Ayrault semble aussi faire un peu de ménage dans l'appareil de Bercy. Ramon Fernandez, directeur du Trésor, et Julien Dubertret, directeur du budget, nommés par l'administration Sarkozy et confortés par Moscovici, seraient remplacés prochainement. "Cet épisode marque peut-être un véritable tournant du quinquennat" commente le Monde.
10. Cette annonce est surtout un triple aveu. D'abord qu'une réforme fiscale est nécessaire. C'est aussi l'aveu de l'échec d'une méthode épuisante, le supplice chinois de la nouvelle micro-taxe quotidienne. C'est enfin le constat de l'échec de ceux qui réclamaient la patience, l'amendement mineur, la réforme a minima. Certes, Pierre Moscovici est toujours en place, malgré son statut de cible expiatoire commode d'une gauche plus large que les mentors de l'opposition systématique.