Dracula est une nouvelle série diffusée depuis la fin octobre sur les ondes de NBC aux États-Unis et Global au Canada. L’histoire prend place durant l’ère victorienne à Londres alors que le machiavélique docteur Abraham Van Helsing (Thomas Kretschmann) a ressuscité un prince de la Wallonie d’un autre siècle en un entrepreneur américain sous le nom d’Alexander Grayson (Jonathan Rhys Meyer). Ce dernier en profite pour s’incruster dans la haute société, alors qu’il compte en fait assouvir sa vengeance contre les membres de l’ordre du dragon qui lui ont causé de graves préjudices dans son autre vie. Il tentera aussi de se rapprocher d’Ilona (Jessica de Gouw) qui lui rappelle étrangement sa défunte épouse. Cette dernière adaptation du roman de Bram Stocker déçoit à presque tous les égards, si on exclut son esthétisme. On nous présente le personnage principal comme étant quelqu’un qui doit commettre des actes atroces dans le but de se faire justice, si bien qu’on ne sait plus sur quel pied danser. De plus, on s’est inspiré d’un si grand nombre de séries (incorporant par là même leurs faiblesses), alliant tantôt le gore au romantisme, qu’on peine à trouver une ligne directrice appropriée.
Un monstre ou pas?
L’action commence alors qu’Alexander Grayson, un richissime Américain, invite tout le gratin londonien pour un bal qui sera surtout prétexte à dévoiler sa nouvelle invention : l’électricité. Sous des airs d’entrepreneur qui cherche à faire sa place, cet homme mystérieux désire plutôt déstabiliser les puissants hommes d’affaires, lesquels ont mis toutes leurs billes dans le pétrole. C’est que la plupart d’entre eux appartiennent à l’ordre du dragon : leurs ancêtres l’ont torturé il y a plusieurs siècles et ont mis son épouse au bûcher. Par toutes sortes d’intrigues, il s’attaque donc à leur portefeuille, question de les déstabiliser et de provoquer leur déchéance. Bien qu’il soit ressuscité, Alexander reste un vampire : la croix du Christ l’effraie, il ne peut supporter la lumière du jour et durant la nuit, il erre dans la ville de Londres à la recherche de victimes pour s’abreuver de leur sang. Mais ce Dracula des temps modernes est aussi un être meurtri fasciné par Ilona, une brillante étudiante en médecine. Celle-ci est fiancée à Jonathan Harker (Oliver Jackson-Cohen), un journaliste de gauche qui est prêt à tout pour rejoindre les rangs de l’aristocratie. Alexander lui donnera un poste prestigieux au sein de sa compagnie, mais seulement pour pouvoir se rapprocher d’Illona.
Le problème majeur avec Dracula, c’est qu’on tente, sans succès, de trouver un équilibre entre cet être sanguinaire, sans scrupules et barbare et l’homme meurtri, endeuillé de sa première épouse. Tantôt on le voit sortir ses crocs et avaler avec gloutonnerie le sang de ses victimes; des femmes quelconques, tantôt, on le voit en homme amoureux qui envoie discrètement des fleurs à Ilona, mais sans jamais lui déclarer sa flamme. C’est ce côté plus humain auquel on a de la difficulté à adhérer. Grand amateur de whisky, il a tout d’un puissant financier de la fin du XIXe siècle et c’est sans compter son besoin de soulager ses pulsions sexuelles avec Lady Jayne Wetherby (Victoria Smurfit), une intrigante au service de l’ordre du dragon. Avec toutes ces caractéristiques, on humanise trop Alexander et celui-ci perd considérablement de son aura maléfique. Alors qu’il devrait incarner le mal en personne, on tente plutôt de nous faire gober qu’il agit en tant que justicier. Comme l’écrit Nilset Benjamin dans son article :« Le mal absolu, dans la série, ce n’est pas lui, mais une société secrète avide de pouvoir. » Ce pouvoir étant bien entendu l’ordre du dragon.
Influences et mise en scène
Dès la soumission du script du premier épisode, NBC a été charmée par Dracula et a immédiatement commandé une saison complète de dix épisodes, sans attendre la réaction du public et ainsi effectuer des ajustements. Il faut dire que sur papier, la série rassemble un grand nombre de thèmes déjà exploités ailleurs à la télévision et qui font présentement son succès. Le concept de vengeance envers les gens qui nous ont fait du mal n’est pas sans rappeler l’œuvre littéraire Le comte de Monte Cristo d’Alexandre Dumas (1844) qui a également inspiré Revenge (2011- ) à ABC. Cependant, le sanguinaire Alexander est loin d’attirer la sympathie du public comme le fait son acolyte Emily Thorne et on donne beaucoup moins de place aux ennemis du vampire dans le scénario, ce qui donne l’impression d’une lutte inégale où le suspens en général est amoindri et où le sort des victimes ne peuvent que nous laisser indifférents. Viennent ensuite toutes les séries mettant en scène des vampires ou morts vivants comme True Blood (HBO, 2008- ), The vampire diaries (CW, 2009- ) ou Hemlock Grove (Netflix, 2013- ) pour ne nommer que celles-là. S’il n’y a rien de mal à aborder ce genre encore une fois, on se désole de retrouver une fois de plus avec Dracula un personnage principal meurtri et envahi d’un amour impossible. Marine Pérot dans son article abonde aussi dans ce sens :« Dracula souffre d’une maladie que les séries fantastiques sur les vampires ont toutes développé : son vampire a connu le grand amour. (…) Le concept de « one true love » commence vraiment à sentir le réchauffé dans toutes ces séries traitant de personnages immortels ». Enfin, la série flirte aussi avec le Londres de Jack the Ripper mis en scène dans Ripper Street (BBC One, 2012- ). En voulant être le melting pot de toutes les séries marquantes pour être sûr de plaire à tout le monde, Dracula ne parvient malheureusement pas à se forger une identité propre.
S’il y a une chose qu’on ne peut reprocher à la série, c’est la grandeur de ses décors et la beauté de l’éclairage. Une des premières scènes de Dracula nous montre la haute société réunie au bal donné par Alexander. La pièce est immense, les murs chargés de fleurs et les invités sont en tenue impeccable; cette scène à couper le souffle est digne de l’univers de Gatsby le magnifique. On retrouve cet esthétisme soigné dans tous les autres lieux où sont filmés les épisodes. Comme Alexander est un vampire, il ne peut souffrir la lumière du jour si bien qu’on le voit toujours évoluer dans des endroits sombres. Les parcelles de lumière blanche, qu’il s’agisse d’un clair de lune ou d’un rayon de soleil nous plongent dans une ambiance à la fois macabre et fascinante. Dommage que le synopsis n’ait pas été à l’image de la mise en scène.
Lors de sa première, Dracula a attiré plus de 5 millions de curieux, mais depuis, les chiffres ont baissé et le quatrième épisode n’en retenait plus que trois. De plus, on est surpris que NBC ait choisi la case horaire du vendredi soir pour une série qu’on annonçait depuis longtemps et sur laquelle on misait gros. Autre donnée guère encourageante, cette première saison de dix épisodes a vu le jour très tard dans à l’automne 2013, si bien que les trois derniers seront diffusés en janvier. Pour une série qui jusque-là déçoit, on doute fort que la majorité de son auditoire lui reste fidèle après la pause des fêtes.