(C’est vrai, mais des fois le hasard fait bien les choses, quand même…)
Bernard Pesle-Couserend, Chroniqueur ruralMalmené à tous les niveaux, le ministre du Ronronnement du Vieuxconistan, Philibert Teddybear, réunit ses collaborateurs et prépare la riposte au siège du ministère, Ogive de la Défonce.
Bon, je vais droit au but : ça va pas. Mais alors, ça va pas de chez ça va pas. La cata. D’accord, on m’avait prévenu dès le départ, quand j’ai succédé à Daphné Frêlesquif. Et j’aurais dû voir venir le coup : lors du bizutage, on m’a fait repeindre en vert le portail du ministère et à la fin on m’a dit : « Félicitations, ton travail est terminé ! Tu peux aller roupiller. On te rappellera si on a besoin de toi, pour une séance photo ou pour flatter un lobby du saccage de la nature… ».
En dehors de ça, les seules fois où on m’appelle, c’est pour savoir si je suis toujours représentant en bérets ou si je suis disponible pour animer la fête du goret de montagne élevé au concentré importé. Même quand il a fallu recevoir un gros paquet de râleurs à propos de la pollutaxe, ils n’ont pas voulu de moi. Pourtant j’étais pas exigeant : je me serais contenté de servir le café aux invités ou de repasser leur cravate. Mais on m’a renvoyé jouer avec mes crottes de nez…
La finesse de l’analyse…
J’ai donc décidé de prendre le taureau (de combat) par les cornes, en étant directement à l’initiative des prochaines modifications réglementaires en matière d’environnement. Et ça va déménager car j’ai analysé le problème sous toutes les coutures et voilà la situation :
D’un côté, des citoyens qui demandent majoritairement l’application des lois sur la préservation de la nature, avec des écolos qui nous le serinent tous les jours. Ils sont gonflants ceux-là, avec leurs lois.
D’un autre côté, des routiniers de la pollution et du massacre, par ailleurs souvent fort sympathiques, qui ne veulent surtout pas faire appliquer la loi. Sauf dans quelques rares cas où ils acceptent, si on les paye pour cela. Mais ça n’arrive pas souvent. Ça tombe bien d’ailleurs, car on n’aurait pas les moyens de tous les payer. On le fait encore, mais bientôt, on n’y arrivera plus, même en empruntant à faible taux pour ça.
Et moi je suis au milieu à essayer de faire croire aux premiers que je suis sérieusement attentif à leurs revendications, tout en assurant les seconds que rien ne va changer pour eux. Ça pourrait marcher comme ça, mais il y a plus gonflant que les écolos : les juges..
Les juges, c’est des mecs, si t’es sensé appliquer un article du Code de l’Environnement et que tu le fais pas, et bien ils te cassent la baraque. On croit rêver! Un exemple : tu veux flinguer une espèce protégée pour faire plaisir à quelques furieux sur-représentés électoralement. Et tu n’y arrives pas avec les moyens légaux. Du coup, tu prends un arrêté permettant à des psychopathes professionnels de la gâchette de t’aider. Jusque là, rien que de très normal, le directeur de la subdivision « Biodiversité rien à carrer » ne me contredira pas. Et là paf ! Des associations portent le coup au tribunal, et le juge leur donne raison ! Si maintenant on ne peut plus s’asseoir sur la législation pour faire plaisir aux lobbies de nuisance, il n’y a plus de gouvernance possible.
… au service de la force de proposition
Donc j’ai bien réfléchi à tout ça : Les écolos procéduriers, il y en aura toujours, comme des juges. Des pollueurs aussi. Et on en a besoin. Pas pour polluer (quoi que polluer, c’est toujours travailler), mais il ne faut pas les fâcher si on veut garder espoir de gagner quelques élections.La seule chose qu’on peut changer pour que rien ne change, c’est la loi. Mais oui : si la loi te met en difficulté face à un lobby de nuisance, ne braque pas le lobby : change la loi ! Et après, les morbacs procéduriers, ils se retrouvent comme deux ronds de flan. En plus, il n’y a pas besoin de gros changements pour fluidifier la politique environnementale et choquer la simplification.
D’abord, modifier le sens des mots:
Je vais proposer la fusion des concepts de « Nature » et de « Campagne ». Désormais, il y aura trois niveaux :
- La campagne entretenue : c’est le top.
- La campagne insuffisamment entretenue. Ou « semi-naturelle » ou « nature en voie de campagnisation ». Je préfère la deuxième locution, car l’élégant mot de « campagnisation » induit la notion d’avancée de la civilisation sur la barbarie inhérente au mot « nature ».
- La nature sauvage : c’est ce qui reste quand on a tout dominé. A réduire absolument dans un pays qui se veut moderne.
Je crois qu’il faut dire tout haut ce que tous les réacs pensent aussi tout haut: on a déjà pas les moyens d’accéder aux délires des plus furieux lobbyistes agricoles, et on continue à dépenser des thunes pour préserver une nature sauvage qui ne rapporte rien. Surtout électoralement.
Il faut donc récupérer les crédits affectés à la vie sauvage et les redistribuer au bénéfice de la nature en voie de campagnisation pour la faire converger avec la campagne entretenue. Pour cela, rien de plus simple: il suffit de promulguer une loi qui affirme haut et fort que la nature sauvage est désormais considérée comme nuisible à l’environnement.
Du coup, ma précédente loi qui prévoit la fin des subventions nuisibles à l’environnement prendra sa pleine mesure : asservir la nature sauvage. Car on n’a jamais dit que « environnement » ça voulait dire « vie sauvage ». Bien au contraire : l’environnement de l’Homme, c’est la nature jardinée, qu’il faut préserver de tout risque d’ensauvagement.
Je reconnais que du point de vue sonnant et trébuchant, ça va pas faire bézef : en une semaine de subventions agricoles productivistes, on claque la totalité des crédits « biodiversité » du pays. Autant dire qu’on n’ira pas bien loin avec ça. Mais côté communication envers les lobbies, pardon, ça en jète. Et niveau symbole, que du bonheur: terminés les financements coûteux de réserves naturelles (quel mot affreux décidément), supprimées les ruineuses zones cœur des parcs nationaux, aux oubliettes les zones humides et autres inutileries. Et vive l’extermination des espèces néo-nuisibles ! En plus avec mon projet, il va y en avoir un bon paquet. De quoi ravir ces braves piégeurs et exterminateurs de vermines en tous genres. Le liste des espèces protégées, par contre, ma réforme va la faire fondre. En fait, elle va se limiter à trois grandes catégories:
- les espèces gibier,
- les espèces bétail,
- les taureaux de combat.
Oui, les taureaux de combat, c’est mon petit plaisir à moi. Certains c’est le Nutella, d’autres la philatélie. Moi, c’est la corrida. Et les natures mortes (au sens propre). Chacun ses addictions.
En complément je vais également concocter une petite loi sur l’artificialisation des sols : toute parcelle basculant de la campagne vers la nature (l’immonde « ensauvagement ») sera considérée désormais comme une artificialisation du sol et sera soumise à un impôt correspondant à dix fois la taxe foncière. Car abandonner une parcelle à la nature, ce n’est pas naturel pour un humain humaniste. Cette taxe devrait donc décourager les traîtres à l’agricolisation salutaire mais néanmoins non productive du pays. Et tout cela sera inattaquable juridiquement pour tous les empêcheurs de civiliser en rond. Avec moi, le changement ça va être non seulement maintenant, mais en plus ça va être velu!
J’ai cependant prévu, pour la décoration, de prendre occasionnellement une mesure favorable à la faune sauvage (hors gibier). C’est pas que cela me fasse plaisir, mais il faut bien donner un su-sucre de temps en temps aux associations de protection de la nature. Napoléon disait que c’est avec des hochets qu’on mène les hommes. Mais rassurez vous, ce genre de largesse sera sévèrement encadré d’un point de vue réglementaire : la fréquence des initiatives favorables à la vie sauvage sera calquée sur la période de révolution de la comète de Halley. Soit donc une initiative en ce sens tous les 76 ans, ce qui est bien assez.
Vous le savez, et vous vous en êtes sûrement aperçus, j’aime bien m’inspirer de la philosophie de nos voisins français. Mais là, avec leur ferme des 1.000 vaches, ils m’ont déçu. Franchement, s’arrêter à ce niveau là, c’est assez minable. Moi, Philibert Teddybear, je propose que la taille des élevages bovins puisse atteindre un nombre de bêtes équivalent à celui de la superficie du département exprimée en km². Un département de 5.000 km² ? Elevages de 5.000 vaches autorisés, sans déclaration préalable ni étude d’impact. Idem pour les élevages de porcs à l’engrais: 4.000 km² ? 4.000 truies par élevage. Et on va pas s’encombrer avec des études d’impact non plus.
Avec moi, la rentabilité de l’élevage scrupuleusement labellisé va remonter dare-dare. Il va même falloir faire venir des ouvriers polonais ou roumains tellement on va créer d’emplois. Sans parler des emplois de ramasseurs d’algues. Non le vrai risque à maîtriser, c’est qu’avec le néo-boom de l’agroalimentaire, le chômage ne vienne à baisser trop rapidement et déstabilise le Vieuxconistan.
Nécessairement admiratifs, les autres ministres vont enfin me considérer comme leur égal. Mieux même peut être, vu le caractère visionnaire de la rupture que je propose. Et pour définitivement entrer dans le gotha de la politique, je vais leur dévoiler ma dernière trouvaille: une agence de communication a inventé le soutien-gorge qui tweete quand on le dégrafe, pour les besoins d’une campagne de lutte contre le cancer du sein. Moi j’ai mieux, j’ai déposé les droits de propriété intellectuelle d’une application smartphone révolutionnaire. Elle fonctionne sur le principe inverse : dès qu’un lobbyiste anti-nature téléphone à un ministre, son pantalon se baisse automatiquement. On l’a testé sur moi, ça marche du tonnerre! Voilà une application qui va faire fureur au gouvernement, car le baissé de pantalon est quand même l’activité à laquelle, nous, ministres, passons le plus clair de notre temps.
Je travaille d’ailleurs déjà sur une extension de l’application pour réseau en boucle locale: dès qu’un lobbyiste téléphonera à un ministre, çà baissera automatiquement les pantalons de tous les membres du gouvernement. J’ai juste un ultime réglage à peaufiner : le cas des ministres qui portent des jupes.
J’ai encore d’autres projets, mais je les garde pour plus tard : irradier trop de lumière reviendrait à exposer mes collègues à un risque d’éblouissement et porterait ombrage à ma transfiguration. Non, vraiment, si je ne parviens pas à la postérité gouvernementale, avec ces initiatives qui redonnent leurs lettres de noblesse au courage politique et à l’écologie, qu’on me dise tout de suite que je ne comprends rien à ces deux notions.