Dom Juan, ou de l'infidélité

Par Irreguliere

Quoi qu'il en soit, je ne puis refuser mon coeur à tout ce que je vois d'aimable, et dès qu'un beau visage me le demande, si j'en avais dix mille, je les donnerais tous. Les inclinations naissantes, après tout, on des charmes inexplicables, et tout le plaisir de l'amour est dans le changement. [...] Il n'est rien qui puisse arrêter l'impétuosité de mes désirs, je me sens un coeur à aimer toute la terre ; et comme Alexandre, je souhaiterais qu'il y eût d'autres mondes, pour y pouvoir étendre mes conquêtes amoureuses.

Ahhhhh, Dom Juan. De toutes les pièces de Molière, voire de toutes les pièces du répertoire français que je connais, c'est ma préférée, avec le Misanthrope, et je l'étudie dès que possible avec les élèves. C'est une pièce qui me parle, et que je ne me lasse pas de relire, en particulier la tirade de l'inconstance dont j'ai mis un extrait en exergue. 

L'histoire, tout le monde la connaît : Don Juan est un noble libertin, dont les activités principales sont de blasphémer et de séduire les femmes, au grand dam de son valet Sgnanarelle et de son père. Récemment, il a épousé Elvire après l'avoir enlevée de son couvent, et avant de la laisser en plan pour voler vers de nouvelles aventures. Mais la jeune femme, humiliée, n'entend pas se laisser faire, et ses frères souhaitent plus que tout venger l'affront fait à l'honneur de la famille.

Don Juan (dont le nom est passé dans le langage courant pour désigner un séducteur) est l'archétype de l'homme qui n'est pas né à la bonne époque. Epris de liberté, il ne supporte pas le carcan moral de la société dans laquelle il vit et contre laquelle il se révolte. Là est sa grandeur : il vit sa vie comme il l'entend, sans que rien ne puisse l'en détourner, et même au moment de la mort, lorsqu'il donne la main à la statue qui va l'emmener avec elle en Enfer, il ne fléchit pas et reste fidèle à lui-même. C'est véritablement ce que j'appelle un héros, même si, il est vrai, son attitude envers les femmes est quelque peu cavalière. Mais justement, cette soif de séduction est aussi ce qui me touche chez lui, sans doute parce que je ne la comprends que trop bien, ayant longtemps été un Don Juan en jupons. Ce besoin de plaire et de se rassurer sur soi-même dans le regard des autres est symptomatique. Don Juan, c'est l'homme qui aime, totalement, mais qui n'arrive pas à trouver l'objet unique qui sera digne de cet amour, et seule la pluralité des femmes peut combler le vide laissé par celle qui lui manque et qu'il cherche désespérément sans la trouver. Dom Juan, c'est la tragédie de l'âme qui ne trouve pas son âme soeur... 

Et puis, avez-vous remarqué ? On ne voit jamais sa mère. Elle est absente. C'est intéressant ça, je me demande ce que Freud en aurait pensé...

Bon, je sais, mon interprétation de cette pièce est tout à fait particulière et personnelle, mais ça c'est la force des grands textes : que l'on puisse s'y projeter. Malheureusement, je n'ai jamais eu l'occasion de la voir sur scène, et je le regrette vivement, mais un jour, sans doute...