"Chacun doit s'interroger sur le lien entre fête et alcool" - RTBF Societe:
Le "binge drinking" est-il l'antichambre de l'alcoolisme? Quels sont les dangers pour la santé de nos jeunes qui se livrent régulièrement à des "bitures-express"? Pierre Maurage de l'UCL, qui a mené une étude sur les conséquences du "binge-drinking", a répondu aux questions des internautes.
L’activité du "binge drinking", qui consiste à boire une grande quantité d’alcool en le moins de temps possible, semble se répandre parmi les jeunes, étudiants ou non : 60% des 16-25 ans sont concernés en Europe. Une étude réalisée conjointement par l’UCL et l’université de Glasgow examine les impacts négatifs sur les buveurs que peut avoir le "binge drinking". Non seulement il altère de manière marqué et durable le cerveau cognitif, mais on sait maintenant qu’il a aussi des effets sur les capacités émotionnelles, et qu'il peut nuire à la vie sociale. Et il peut aussi favoriser l’alcoolo-dépendance.
Pourquoi boit-on? "Les motivations peuvent être multiples, mais chez les adolescents et jeunes adultes, il y a le plus souvent l'influence des pairs (c'est-à-dire du groupe d'amis et la volonté de s'y affirmer) et la volonté aussi de tester ses propres limites, ce qu'on retrouve dans beaucoup de conduites à risque des adolescents" explique d’emblée Pierre Maurage. "Pour ce qui concerne le seuil, la proposition générale est qu'en-deçà de 6 doses par occasion (par soirée) une fois par mois, il ne semble pas y avoir de conséquences à long terme. Mais la grande majorité des jeunes et étudiants sont au-delà de ce seuil".
De binge drinker à alcoolique
Et l’alcoolisme ? "La différence majeure entre binge drinking et alcoolisme (ou alcoolo-dépendance) est la présence d'une dépendance. Les binge drinkers ne consomment pas tous les jours et sont pour la plupart capables de stopper leur consommation (par exemple en période d'examens pour les étudiants). Le binge drinker a donc une consommation excessive mais épisodique et encore contrôlée" répond le chercheur.
Mais il précise qu’il "n'y a pas un lien univoque et direct entre binge drinking et alcoolo-dépendance. La plupart des étudiants binge drinkers ne deviendront pas alcoolo-dépendants à l'âge adulte. Cependant, une étude épidémiologique a montré que les adolescents binge drinkers présentent un risque deux à trois fois plus grand de devenir alcoolo-dépendants à l'âge adulte que les non-buveurs. L'évolution vers l'alcoolo-dépendance se fait le plus souvent de manière insidieuse: avec l'insertion professionnelle, on abandonne la consommation de type binge drinking mais on peut se mettre à consommer de manière plus quotidienne (par exemple lors des repas, en rentrant du travail) et c'est là que l'alcoolo-dépendance peut s'installer, via une augmentation progressive du nombre de verres consommés".
"Les filles tendent à rattraper les garçons"
Est-ce un phénomène récent ? "La consommation excessive d'alcool chez les jeunes a bien entendu toujours existé, mais on a vu une systématisation du phénomène durant ces 10-15 dernières années, avec en particulier un changement des objectifs de la consommation (on boit de plus en plus avec pour but exclusif d'être saoul le plus vite possible) et de la population (on commence le binge drinking de plus en plus jeune, et les filles tendent à rattraper les garçons). C'est donc un phénomène ancien mais qui s'est systématisé dans la dernière décennie" explique Pierre Maurage.
Quels sont les effets sur la mémoire ? "Nous avons maintenant un recul d'une dizaine d'année, et une vingtaine d'études sur la mémoire. Les résultats sont clairs: après seulement 1-2 ans de binge drinking "modéré" (environ 15-20 bières par semaine, réparties en 2-3 soirées), les capacités de mémorisation à court et à long terme sont réduites par rapport à un groupe de non-buveurs. Et ces effets persistent plusieurs mois (donc sont présents quand les étudiants doivent par exemple étudier leurs cours). Ces résultats sont désormais bien établis au plan scientifique" indique le chercheur.
"La consommation d'alcool est largement encouragée"
Les autorités devraient-elles intervenir ? Pour Pierre Maurage, "il est évident que l'accumulation de résultats clairs sur les effets cérébraux et cognitifs du binge drinking devraient conduire à une prise de conscience au plan politique. L'omniprésence de la publicité pour l'alcool par exemple, mais aussi le faible prix de l'alcool et sa disponibilité font de la Belgique un pays où la consommation d'alcool est largement encouragée (pensez au lien entre publicité pour alcool et football...). Bref, je ne peux que plaider pour une prise de conscience des instances politiques. Mais au-delà, chacun devrait s'interroger sur ce lien entre valeurs positives et alcool (par exemple, consommer de l'alcool lors de tout moment festif)" conclut le chercheur.
Relisez ci-dessous le chat avec Pierre Maurage, professeur à l’Institut de recherche en sciences psychologiques de l’UCL.
RTBF
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