Quand la méditation joue au branle-bas de combat !
Cap sur la tempête ! J’enfile un gilet de sauvetage pour suivre les méditations et autres brièvetés de Marc Blanchet ou « découvrir le dos de dauphin d’une vérité dans un ressassement ». Ce trublion devrait couper menu tout enthousiasme béat. Il ne me prend pas en traître, me salue même d’un bonjour en tout début de texte et annonce tout de go un plan numéroté de navigations qui vise à déchaîner les ressorts fous de la narration, m’offrant des interludes entre les monstres et pensées qui vont défiler comme autant de balises ou bouées clignotantes. Marc Blanchet s’attaque à la figure de l’auteur mise en puzzle, en ruptures et tremblements : au lecteur de jouer la part manquante. Attention, on prend de justifiés coups de griffes, tout autant que certains auteurs, tout autant que l’auteur lui-même. On n’est pas là pour rigoler. Quoique ! L’ironie est loin d’avoir mis les bouts, elle souffle sur la mer et de nombreux titres de fragments sont à eux seuls des raccourcis instructifs qui donnent le ton : celui du contrepied pour ne pas dire du coup de pied au cul. Avouons que cela ne nous fait pas de mal car qui aime bien châtie bien ! Et l’on sent que derrière ces saines colères sous le crâne de l’auteur, un amour réel de la littérature et de l’humanité n’est pas loin.
Mais que se passe-t-il donc au cours de cette succession de méditations et de pensées numérotées ? On pourrait dire que Marc Blanchet rencontre la figure de l’auteur comme Michaux croisa Plume, Kafka Joseph K, Valéry Monsieur Teste, dans un vis-à-vis explosif. L’auteur joue le simulacre de l’intériorité, il démonte le moteur de la création, histoire de voir comment ça marche car après tout « nous ne sommes que notre propre imitation ». Marc Blanchet va donc s’imiter, se recréer pour nous ou se créer, lui-même en auteur, qui sait ? Peu importe d’ailleurs : on ne s’ennuie pas à quitter les paysages littéraires familiers vers ces proses fantasmatiques, philosophiques, biographiques, politiques. On a juste besoin de temps à autre de reprendre souffle en méditant quelques-unes de ses phrases qui claquent : on ne parcourt pas en toute impunité un livre qui pense. Peu importe encore si on a affaire à un art poétique, à un portrait de l’auteur, à une traversée de sous-conversations, de rêves éveillés. Tout passe : un personnage, John Scott, une aimée, des aveux, des dégoûts, des adresses aux frères humains, des joies, des méthodes et même une pétition. De Montaigne à Rabelais, aux exercices spirituels d’un Saint-Augustin ou d’un Marc Aurèle, on en perd joyeusement son latin. Ce n’est toutefois pas au déballage d’une poubelle d’écrivain auquel on assiste. Tout est orchestré et l’écriture oscille entre maîtrise et stimulants dérapages pour mieux nous retenir au cœur de cette tempête qui nous abreuve d’extraits et de sentences.
Cette langue vibre, flirte avec le fantasme, le traité philosophique, le récit avorté, la mise en scène intérieure et l’on se régale de ces voltes faces. J’ai souvent perdu le nord de la boussole chahutée à l’intérieur de ce livre mais chaque fois que je buvais la tasse, la pointe ironique venait me repêcher et me remettre à bord du vaisseau fantôme. Incroyable que cette symphonie littéraire soit éditée chez un éditeur belge qui s’appelle la Lettre volée car c’est finalement cette sensation qui s’impose à moi à la fin du volume, quelque chose a été dérobé tout en étant sous mes yeux comme dans le texte d’Edgar Poe. Ce n’est pas une lettre qui a disparu mais un auteur : toujours en creux mais insaisissable. Il peut agacer de toujours courir tel un furet mais de son mouvement même naît une façon de penser : parfois on se sent son jumeau, parfois son frère ennemi, ou enfin ami comme s’il se pouvait que lecteur et auteur s’unissent pour le meilleur et pour le pire. Marc Blanchet ne jette jamais l’encre, après 123 brièvetés remuantes, il annonce tout de go son voyage dans l’espace. Seul conseil : qui manque d’humour, s’abstenir, pour tous les autres, expérimentation de lecture décoiffante ! Il y a du vent dans les voiles, accrochez-vous au bastingage, la traversée est sans escale et à la fin, on décolle !
[Marcelline Roux]
Marc Blanchet, Méditations et autres brièvetés, La Lettre volée, 2013
Extraits de ce livre, ici.
1. Marcelline Roux fait ici allusion aux Carnets de lecture qu’elle tient en ligne.