Opinion
La propagande détendue de l’Éducation Nationale
Publié Par h16, le 20 novembre 2013 dans Édito
Décidément, l’Éducation Nationale peut s’enorgueillir de fournir des ressources inépuisables de franche rigolade au travers des manuels de propagcours qu’elle place dans les mains de ses têtes blondes. Enfin, quand je dis « franche rigolade », c’est un camouflage pudique des nombreux dégâts que cause cette institution au sein de la population française.
Et question dégâts, on en a déjà une bonne idée lorsqu’on parle lecture (les enquêtes PISA sont sans ambiguïté) ; grâce à l’intervention permanente des pédagogos, la méthode globale, à peine lardée d’un peu de syllabique, aura perduré sur les trente dernières années. Le taux d’illettrisme augmente donc gentiment depuis, sans que personne n’y trouve rien à redire. Le Bled est depuis longtemps remisé aux oubliettes, les dictées sont des exercices du passé, et l’apprentissage de base de la langue est globalement laissé à l’appréciation des familles dont les impôts sont heureusement toujours prélevés, merci bien.
En tout cas, cela (ainsi que les récentes et pathétiques peillonnades) a permis de dégager un nombre considérable d’heures maintenant consacrées à de nouvelles matières indispensables : à côté d’un cours « d’informatique » (chipotage d’icônes sur des iPads rutilants payés par la collectivité, merci président François), on trouvera donc pléthore de cours d’art, dramatique dans tous les sens du termes, de poterie, de macramé, ou d’expression corporelle au son de djembés républicains, citoyens et festifs. Et bien sûr, quelques indispensables cours d’éducation économique, sociale et violemment citoyenne complèteront le tout.
Dans un billet d’un confrère blogueur, on découvrait que les cours d’Histoire pour Terminale Économique & Sociale donnaient largement la parole à ce type de discours dont l’orientation est impossible à camoufler et le manichéisme si grotesque qu’on se demande dans quelle mesure les auteurs n’ont pas tenté un second degré d’une redoutable subtilité. Ainsi, il leur semblait nécessaire de citer les éternels sociologues affûtés du CNRS :
« À gauche, quelques uns ne veulent pas se rendre complices d’un système qui tente de persuader les gens qu’un compte en banque bien garni est le symbole de la réussite et l’étalon permettant de juger de la valeur d’une personne. »
Cliquez sur l’image pour agrandir la propagande à sa taille risible
Ah oui, les complices de la (vilaine) droite ! Ce manuel (de chez Hachette) n’y va pas par quatre chemins ; plus caricatural reviendrait à écrire que les gens de gauche sont tous gentils et ceux de droite sont des égoïstes à tendance fachoïde dont le goût pathologique pour l’entassement d’argent sur le dos des honnêtes gens et d’ouvriers exploités ne peut évidemment pousser la planète qu’à la ruine totale à base de chatons pilés et autres bébés torturés…
Rassurez-vous, ce n’est pas tout !
Chez Magnard, pour le programme 2011 de Première SES, on a décidé d’une approche encore plus subtile : on va faire participer l’élève à son propre lavage de cerveau. C’est positivement grandiose puisque cela fera passer l’idée que l’État est l’alpha et l’oméga de tout ce qui va bien en France, sans l’écrire directement. Notez que ceci n’aurait pas gêné les rédacteurs de ces manuels de blanchisserie cervicale, mais il est connu qu’une participation active du lecteur est plus efficace qu’une propaginformation directe pour obtenir sa conversion sans douleur.
Pour cela, on nous propose un exercice simple : étudions un mercredi ordinaire dans la famille Peillon pardon Perillat.
Ici, je vais passer pudiquement sur la description de la journée, dont je laisse le détail aux lecteurs aguerris (qui cliqueront sur l’image pour la voir en taille normale). Difficile de trouver plus transparent dans l’exposition de la nasse étatique aux mailles étroites qui s’est mise en place autour du citoyen lambda : impossible de passer un banal mercredi sans se voir imposé l’une ou l’autre incursion du Moloch, un peu comme les fourmis qui s’installent et ripaillent systématiquement dès qu’on a choisi de faire pique-nique.
Non, ce qui m’intéresse ici est bien le petit exercice proposé en fin de page, véritable morceau de bravoure interactive qui permet d’impliquer directement le futur citoyen et lui coller aussi sûrement qu’une balle dans la tête le concept évident que l’État est absolument indispensable pour tout mercredi ordinaire qui se respecte. En quatre questions accolées comme les planches d’un cercueil, le « manuel » propose d’une part de prendre la mesure de la puissance de l’État et d’autre part de toucher du doigt cette réalité indépassable : sans lui, point de salut.
Difficile, devant tel exercice, de ne pas se facepalmer quelque peu.
Ainsi pour la première et deuxième questions (donner des exemples de dépenses publiques dans différents domaines, financées de différentes façons), je pourrais citer le cas de ces nombreux collèges dont le taux de remplissage d’élèves n’atteint que péniblement 50%, là où le taux de remplissage en personnel d’encadrement (enseignants, éducateurs, vacataires divers pour le nettoyage, la cantine, la maintenance des installation) est lui de 100%. Que voilà une dépense publique judicieuse ! Pour les transports, le déplacement de plus de 700 députés européens de Bruxelles à Strasbourg (pour ne pas vexer les Français), depuis des dizaines d’années, est là encore une illustration de la saine gestion des deniers publics. On pourra évoquer le ferroutage, consciencieusement impraticable, et subtilement saboté par l’introduction d’une écotaxe qui met lentement le pays en état de bouchon généralisé. On pourra aussi évoquer les dépenses de santé finançant l’AME, la CMU (issues toutes deux de l’impôt et non des cotisations) qui permettent à la France d’attirer à elle cette partie du monde qui a un besoin impératif de se faire soigner aux frais du contribuable local. Pour la culture, Orélifipeti nous livre régulièrement des exemples de dépenses publiques judicieuses ; du reste, on se rappellera que les États-Unis, dont la culture n’est pas à proprement parler en train de décliner, n’ont aucun ministère dans le domaine. Serait-ce une piste à explorer ? Rassurez-vous, cet exercice ne vous le proposera pas.
La troisième question (donner un exemple de mesure qui modifie une allocation de ressources) est peut-être l’occasion de revenir en détail sur, justement, l’écotaxe qui a cet énorme avantage de réallouer certaines ressources bretonnes vers Pôle Emploi ? Et bien évidemment, comment ne pas évoquer les diverses vexations fiscales qu’on fait subir aux contribuables pour s’assurer « un fléchage » de leurs investissements, de leur épargne, par exemple vers des bons d’États dont la sécurité (de plus en plus douteuse) et le rendement (de plus en plus comique) donnent une bonne idée de la duplicité de l’État en la matière ? L’exercice évoque la prime à la casse, sans toutefois exposer le marasme dans lequel vit l’automobile française actuellement : si la prime a artificiellement bien dopé les commandes lorsqu’elle était en vigueur, et ceci avec un coût très important sur les finances publiques, le retour à la normale fut brutal à son extinction. La dépense publique, ici, aura largement retardé les ajustements structurels nécessaires d’une filière en crise, pour les rendre au final encore plus douloureux. Bien joué.
Mais je crois que la question pompon, la quatrième, mérite qu’on s’y attarde un peu. En effet, elle propose à l’élève un travail de science-fiction complètement fou puisqu’il doit imaginer la vie d’une famille si les dépenses publiques étaient exclusivement réservées au régalien (défense, police, armée). L’exercice est foutrement dangereux puisqu’alors, si l’État ne s’occupe plus de toute cette myriade de bidules divers dans lesquels il intervient actuellement sans cesse, il n’a plus légitimité pour ponctionner les sommes consternantes pour ce faire. Dès lors, la journée de notre famille devient fort différente. Par exemple, rien n’interdit d’imaginer qu’un seul salaire suffit alors pour la famille, ce qui change un peu les déplacements des uns et des autres. On notera aussi que le temps consacré à la paperasserie administrative diminuerait nettement ; fini l’impôt-temps que l’État impose à tous, surtout aux plus pauvres. Mais surtout, il n’y aurait pas de changement majeur dans les services disponibles : des services de cars privés, ça existe, et ils fonctionnent très bien (le monde entier est rempli d’exemples). Une éducation de qualité, privée et peu chère, c’est parfaitement possible, et ça existe déjà. Quant aux musées privés, est-il besoin, ici, de lister tous ces grands établissements privés qui ne vivent que par leurs mécènes, les dons et le prix des entrées, pour montrer que oui, décidément, un ministère de la Culture est parfaitement dispensable d’autant qu’il est coûteux ?
Coincés dans leurs certitudes du tout-à-l’État, les auteurs de ces manuels ne se rendent même pas compte que demander « Sans l’État, qui entretiendrait les routes ? » revient à poser la question « Sans l’esclavage, qui ramasserait le coton ? » ; les routes, maintenues de façon privées ? Vous n’y pensez pas, c’est impossible ! Les chemins de fer, tous privés au 19ème siècle ? Oubliés. L’État, réduit à sa portion congrue régalienne ? Allons, c’est à l’évidence la ruine de la famille, la fin des haricots et la mort du petit cheval !
Finalement, dans ces manuels, l’idéologie collectiviste plus ou moins visible s’y dispute avec un manque d’imagination chronique, de prise de recul et de mise en comparaison avec le reste du monde. D’une façon troublante, ils sont en réalité l’exact reflet de ce que pensent les enseignants de l’entreprise privée, lieu, selon 62% d’entre eux, d’une insupportable exploitation, ou, mieux encore, l’expression écrite de cette délicieuse pensée française, qui croit encore être le phare du monde moderne intellectuel, et n’en peut plus de se regarder le nombril. Dans cette vision surannée, l’État colbertiste et le centralisme jacobin expliquent à eux seuls le niveau d’achèvement superbe qu’à pu atteindre la France.
Et bien sûr, tout ceci serait fort drôle … s’il ne s’agissait pas de manuels scolaires.
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