Louis Boilly (La Bassée, 1761-Paris, 1845),
Houdon modelant le buste de Bonaparte, c.1802-3
Huile sur toile, 56,5 x 46,5 cm, Paris, Musée du Louvre
(cliché © RMN-GP/Franck Raux)
Le projet sur lequel je souhaite m'arrêter un instant avec vous aujourd'hui est un peu plus qu'un simple disque. De prime abord, pourtant, le programme peut sembler terriblement banal, trois sonates de Beethoven parmi les plus connues, certes jouées sur une copie de pianoforte d'époque, une pratique qui, si elle est malheureusement loin d'être devenue habituelle, est quand même moins singulière aujourd'hui que lorsqu'un Paul Badura-Skoda gravait, sous les sarcasmes d'une partie de la critique, son intégrale pour Astrée dans les années 1980.
Alexei Lubimov, maître d’œuvre de cet enregistrement, connaît bien l'univers de Beethoven puisque, outre un disque récent consacré aux Sonates opus 109, 110 et 111, il lui avait consacré, en 1994 chez Erato, un récital extrêmement proche comprenant la
Sonate n°14 en ut dièse mineur « Clair de lune » et la n°21 en ut majeur « Waldstein », la n°8 en ut mineur « Pathétique » étant
remplacée, dans le nouveau venu, par la n°17 en ré mineur « La Tempête. » La comparaison s'arrête là, car les instruments utilisés dans l'une et l'autre réalisation ont un
caractère résolument différent ; en 1994, Lubimov touchait un pianoforte anglais Broadwood de 1806,
Comme l'explique le facteur Christopher Clarke dans son texte d'accompagnement, toutes les ressources de la technologie
moderne ont été mises à contribution pour sonder l'instrument d'Érard conservé aujourd'hui au Musée de la musique de Paris et en réaliser un fac-similé aussi proche que possible de l'original,
un bijou de pianoforte dans lequel on peut voir un des aboutissements les plus achevés de la riche carrière de l'artisan. Il aurait été légitime de craindre que cette volonté de respecter le
modèle jusque dans ses fragilités nuise à la vision musicale, en lui offrant un médium « imparfait » comparé aux pianos modernes – j'ai même lu, en me documentant pour rédiger ces
lignes, que « seul le piano moderne était adapté pour jouer la Waldstein », une assertion dont je vous laisse imaginer ce qu'elle m'inspire – mais aussi à ses frères anglais
de l'époque, nettement plus puissants. C'était oublier ce qu'Alexei Lubimov est capable de faire lorsqu'il s'approche d'un pianoforte. Disons-le cependant d'emblée : si vous voyez en
Beethoven un athlétique broyeur d'ivoire ou un technicien spécialisé en effets spéciaux,
Voici donc un disque singulier, passionnant et réussi, que je recommande à ceux qui aiment le pianoforte et ne se contentent pas de vérités toutes faites sur un Beethoven qu'ils risquent fort de découvrir sous un jour assez radicalement nouveau, propre à remettre en cause, en tout cas, un certain nombre de certitudes sur l'interprétation de sa musique. J'espère maintenant que la splendide copie d'Érard réalisée par Christopher Clarke va attirer d'autres doigts aussi talentueux que ceux d'Alexei Lubimov, pourquoi pas, rêvons un peu, dans le programme de musique française que sa nature même semble appeler.
Alexei Lubimov, pianoforte Érard 1802, fac-similé de Christopher Clarke
1 CD [durée totale : 66'49"] Alpha 194. Ce disque peut être acheté sur, entre autres, le site de l'éditeur en suivant ce lien.
Extraits proposés :
1. Sonate n°14 « Clair de lune » : [I] Adagio sostenuto
2. Sonate n°17 « La Tempête » : [III] Allegretto
Un extrait de chaque plage du disque peut être écouté ci-dessous grâce à Qobuz.com :
Ludwig van Beethoven : Moonlight Waldstein & Storm | Ludwig van Beethoven par Alexei LubimovIllustrations complémentaires :
La photographie du pianoforte Érard du Musée de la musique est de Julien Dubois, extraite du livret du disque
La photographie d'Alexei Lubimov est de Peter Laenger pour ECM records