Monsieur Jean-François Copé ne fait pas dans la nuance, c'est le prix à payer si l'on entend représenter une "droite décomplexée" - à défaut de la droite tout court, pour laquelle les candidats à la "représentation" sont pléthore. Ses déclarations à l'emporte-pièce ne vaudraient donc pas qu'on s'y arrête exagérément, n'était parfois ce qu'elles révèlent d'une "pensée" ou, plus exactement, d'un ensemble d'"arrière-pensées".Ainsi dans Le Parisien/Aujourd'hui en France de ce jour, répondant à la question "la France devient-elle raciste?" il répond : "L'amalgame qui consiste à faire croire qu'il y a un péril raciste en France est insupportable. C'est un écran de fumée de la part du PS" car "le véritable sujet de préoccupation des Français, c'est l'insécurité, le chômage, les impôts". Et de suggérer qu'il "faudra un débat empreint de respect et de lucidité sur la question de l'identité et de ces tensions qui opposent les communautés (...)".
Edifiant, en vérité. Bien sûr, au premier abord on notera qu'à "écran de fumée", "écran de fumée-et-demi". A l'instrumentalisation réelle ou supposée par le PS des questions liées au racisme, il ne convient pas de répondre par un programme d'action gouvernementale alternatif qui résoudrait les "vrais problèmes" mais... par l'organisation d'un débat sur les questions "identitaires". Il est vrai que celui déployé en 2010 par Eric Besson fut un véritable succès, durant lequel de nombreuses manifestations de "respect" et de "lucidité" bien françaises forcèrent l'admiration du monde entier. Et puis suggérer la réactivation d'un tel exercice permet d'éviter d'avoir à s'étendre sur un éventuel programme économique et social dont on sent bien, jusqu'à preuve du contraire, qu'il ne diffère pas énormément de l'agenda du MEDEF. Bref, plutôt que d'aborder sérieusement les sujets qui fâchent, tâchons de botter en touche sur l'"identité nationale".
Mais au-delà de cette pirouette somme toute convenue, on relèvera surtout que ces déclarations nous renvoient à un "air du temps" hexagonal qui, il faut bien le dire, sent un peu la merde. Un "air du temps" où aux querelles, aux débats politiques classiques - autorité/libertarisme, égalité/équité, jacobinisme/fédéralisme, dépense publique/initiative privée, collectif/individuel, solidarité/concurrence, etc... - certains entendent substituer non un affrontement d'idées, mais de personnes. Pour faire (très) court: le "peuple" face aux "élites". Une "fracture culturelle" où à la demande "identitaire" des uns, les autres répondraient "morale". Une "fracture culturelle" résultant de l'escamotage du social par le sociétal, une "fracture culturelle" opposant les "vrais gens" à une coterie économico-médiatico-politique endogamique et auto-centrée. Les exemples ne manquent pas des coups de projecteurs braqués sur cette "fracture", des éditos hargneux d'un Eric Zemmour dans le Figaro Magazine au "Sortez les tous" de Jean-Luc Mélenchon, en passant par les attaques répétées des uns et des autres contre les "bien-pensants".Réalité ou fantasme? Il faudrait être aveugle pour ne pas remarquer le "décrochage" croissant de façon exponentielle entre une large fraction de la population et le monde politico-médiatique, il faudrait débarquer de la Lune pour ne pas percevoir ce dialogue de sourds entre la "parole des dominés" et le "discours dominant" qui s'est maintenant établi depuis longtemps. Et reconnaissons que le cheminement du PS ces trente dernières années a largement contribué à cette situation. Soit.
Mais à partir de là, deux attitudes possibles: soit on s'efforce de traiter les questions de fond, de recréer des liens défaits, de ré-inventer une agora fructueuse et constructive où s'affrontent les solutions et non les Hommes, soit on cherche à tirer avantage de la situation. C'est bien évidemment la seconde option qu'a choisie le Front National, dont la raison d'être est, précisément, d'assumer le rôle de porte-parole d'un "peuple" qui rêverait de faire basculer les "élites bien-pensantes". Si la "fracture culturelle" n'existait pas ou très peu, Marine Le Pen l'inventerait. Et justement: dans l'univers hyper-médiatique qui est le nôtre, où les mots se substituent volontiers aux choses, bien malin qui saurait distinguer la cause de l'effet, entre l'inflation du discours sur ladite "fracture", et l'accroissement même de cette "fracture". La poule et l'oeuf, n'en doutons pas.
Dans ce contexte, la série de "petites phrases" de Monsieur Copé n'est pas anodine. Quand il balaie d'un revers de manche l'émotion suscitée par les injures racistes proférées à l'égard de Christiane Taubira, il renvoie cette émotion, cette indignation à un discours somme toute parasitaire, un discours de gouvernants cherchant à distraire les gouvernés. On se souvient du clin d'oeil complice de Nicolas Sarkozy aux agriculteurs - "l'environnement, ça commence à bien faire!". Jean-François Copé ne fait rien d'autre que nous dire entre les lignes: "Bon, ça ira, maintenant, l'antiracisme". Ce faisant, il espère sans doute souligner son positionnement de "décomplexé", lui aussi sait faire des clins d'oeil. Et pas qu'aux agriculteurs, attention, là on joue dans une autre catégorie. Joli progrès.
Cela dit, à force de parler un monde où quand les petits cons brûlent des voitures, c'est de l'insécurité et où quand les gros cons brûlent des portiques à écotaxe, c'est de la colère, à force de parler d'un monde où l'adversaire politique ne peut être qu'illégitime, à force de parler d'un monde où les propos de bistrot tiennent lieu de ligne idéologique, à force de parler d'un monde où l'antiracisme ne serait que de la poudre-aux-yeux, à force de parler d'un monde où la "fracture culturelle" est irrémédiable, ce monde finit par advenir. La prophétie auto-réalisatrice, ça s'appelle.
Mais en tout état de cause, Copé ne fait que scier la branche sur laquelle il trône. Car dans ce monde, qu'il le veuille ou non, lui non plus n'a pas sa place.
Ciao, belli.