Des milliers de personnes se sont mobilisées dans la ville de Buéa suite à une nouvelle faisant état de la mort d'une jeune fille, «avalée» par un homme transformé en python. Des sources sécuritaires montrées du doigt. Enquête sur une nouvelle qui a mobilisé le pays tout entier.
Buéa, le 10 novembre 2013, le temps est radieux, comme le veut la saison. Étrangement anxiogène ce matin-là, la population est descendue dans la rue pour manifester sa colère contre un supposé crime rituel. Sur les réseaux sociaux, la nouvelle se répand et suscite commentaires et réactions diverses. Situé au quartier Molyko, au cœur de la ville chef-lieu de la région du Sud-ouest, un hôtel bien connu est assiégé par des milliers de personnes qui réclament la tête d'un prétendu «avaleur de fille». Un homme qui, selon la nouvelle qui fait déjà le tour du pays, serait arrivé la veille en compagnie d'une jeune femme. La suite du récit varie dès lors, selon le narrateur. Seul point commun à ces diverses narrations, l'homme au cours de l'ébat amoureux qui se serait déroulé dans une chambre de cet établissement hôtelier, se serait transformé en python et aurait avalé sa compagne. La nouvelle reprise par des sites d'informations et quelques publications n'en dira pas moins.
Mardi 12 novembre 2013, l'impact de la furie qui s'est abattue à l'extérieur de cet hôtel est encore perceptible. Vitres cassées, pare-brise des véhicules endommagés, grilles extérieurs de l'établissement défoncé sont perceptibles. Dans la foulée, quelques techniciens s'activent à redonner à cet hôtel situé non loin du campus universitaire son lustre habituel. Aux alentours, le sujet à l'origine des échauffourées est très peu évoqué par les riverains. Comme au sortir d'un rêve, les populations de Buéa semblent réapprécier la nouvelle qui a mis la ville en mouvement quelques jours plus tôt. Tenancier d'une échoppe située non loin de l'hôtel à polémique, Charles raconte que «On a dit qu'un homme s'est transformé en serpent et a avalé une fille dans cet hôtel». Une version véhiculée par la plupart des riverains que nous avons rencontrés.
De sources concordantes, tout commence la veille. Certains habitants de la ville reçoivent la nouvelle dans leur téléphone. Le téléphone arabe fait le reste. Dans la matinée du 10 novembre, la rumeur se répand de plus belle. Certains riverains expliquent avoir été abordés dans la rue par des individus leur faisant part de la «nécessité» d'aller cueillir l'avaleur de fille de l'hôtel en question. De quelques dizaines de personnes, la foule à l'extérieur de l'hôtel atteindra des milliers de personnes en quelques heures. C'est que, la présence de policiers en faction à l'extérieur de l'hôtel fera dire à certains qu'il s'y passe effectivement quelque chose. Jet de pierres et autres projectiles rivalisent avec d'autres actes de vandalisme que connait l'hôtel au cours de ces heures de folie. Des policiers seront blessés.
Quoique relativisé par les officiels, de la ville, différents témoignages convergent vers le fait que la présence de certains officiers de police dans l'hôtel aurait décidé les populations à «donner l'assaut». Certaines personnes dans la foule ayant tôt fait «d'identifier» le supposé avaleur de fille comme un Directeur de la Délégation générale de la sûreté nationale (Dgsn). Le superviseur général de cet établissement hôtelier, reconnaît néanmoins la présence d'un cadre supérieur de la police nationale. «Il y avait effectivement un directeur de la Dgsn qui venait de Yaoundé et qui a séjourné dans notre hôtel de vendredi et samedi». La même source indique que les incidents ont débuté au moment où ce cadre prenait son petit déjeuner en compagnie de certains commissaires en service dans la région du Sud-ouest.
Face à la montée d'adrénaline dans la foule, l'essentiel des éléments de la police en service dans la ville de Buéa sont mobilisés. Les cadres de police resteront cloîtrés dans l'hôtel. Dans la foule, des voix font circuler la nouvelle relative à l'exfiltration d'un officier supérieur de la police prétendument présenté comme «le mutant-python».
Messages détonateurs
Tour à tour, les autorités de la ville ainsi que le Préfet monteront au créneau pour démentir la nouvelle sans y parvenir. Face à l'étendue des dégâts, la direction de l'hôtel et certaines autorités conviennent de faire entrer les journalistes et les photographes présents pour un constat au sein de l'établissement. Les témoignages des différents «inquisiteurs» n'y feront rien. Quelques heures plus tard, des véhicules anti-émeute de la police chargeront la foule qui va se disperser. L'exploitation des enregistrements vidéo tournés sur le théâtre aboutit à l'interpellation d'une quinzaine de personnes. Des personnes interpellées dans l'enceinte de l'hôtel et présentées comme les meneurs d'une grogne provoquée par un serpent dont tout le monde parle sans avoir vu.
Exploités par la police judiciaire, les présumés indiquent la piste d'une manigances. Toutefois, des sources policières évoquent, sur la base des révélations faites par certains prévenus, l'éventualité d'une complicité au sein même de l'hôtel. Une manœuvre orchestrée par l'hôtel pour se faire un coup de pub ou règlement de compte organisée par des concurrents? L'exploitation de quelques personnes interpellées révèle néanmoins que le numéro de téléphone d'un employé de l'hôtel aurait servi à l'envoi du message à l'origine de la grogne populaire de Buéa. Des sources proches des manifestants, «elle a écrit avoir surpris le serpent en train d'avaler la femme dans l'une des chambres de l'hôtel». Une version relativisée par d'autres Sms qui indiquent que, l'alerte a été donnée par la femme avalée par le serpent. Des indiscrétions confirmées sous cape par des sources policières.
Présenté comme illustration de la scène supposée de Buéa, les photos postées sur les réseaux sociaux suscitent la polémique. La partie inférieure du corps couchée à même le sol, une femme semble être avalée par un python. Les deux photos étant vraisemblablement issues de deux espaces différents. Loin du décor du lieu prétendument incriminé. L'une des deux photos diffusées montre par ailleurs une foule agglutinée devant un serpent, apparemment en phase de digestion. Diversement présentées comme des images émanant du théâtre des événements à Buéa, les deux photos envoyées dans les salles de rédactions paraissent être le produit de quelques montages. En outre, les photos publiées sur internet auraient été postées depuis de nombreux mois. «Nous sommes sur la piste de l'internet et, certains indices nous font douter de l'authenticité de ces photos et de leurs origines».