Texte et photo: Sidonie Hadoux
Dimanche d’automne, plaine de Caille, petit village des Alpes Maritimes à une trentaine de kilomètres de Grasse, Benjamin garde un troupeau d’environ 250 brebis et leurs agneaux. Il remplace pour un mois le berger qui vit ici à l’année. Quatre chiens, trois borders collies et un patou, l’aident dans sa tâche. Il est 14 heures passées et les brebis pâturent depuis le milieu de matinée. Elles vont brouter ainsi toute l’après-midi jusqu’au crépuscule, l’heure pour le berger de les parquer dans leur enclos pour la nuit. Elles rumineront et dormiront jusqu’au petit matin. A 6h30 le lendemain, le berger vérifiera ses bêtes avant de commencer une nouvelle journée de garde, ponctuée parfois par la visite de son éleveur ou de quelques passants curieux. C’est ainsi depuis trois semaines, entre journées au grand air et nuits dans une caravane posée à la lisière du bois non loin du troupeau, où les températures avoisinent souvent les zéro degrés.
« Avant d’être confronté à la réalité de ce métier, je pensais que c’était facile », avoue Benjamin. « Or, il faut le vivre pour comprendre, notamment quand il pleut, neige et quand il faut prodiguer les soins sur les brebis ou aider à l’agnelage. Mais c’est aussi un métier addictif. J’ai toujours été un amoureux de la nature. Au fil des mois, j’ai compris comment mener un troupeau, travailler avec les chiens de conduite. J’ai compris aussi le rôle écologique de ce métier : éviter l’enfrichement des sols. Cela permet deux choses : développer la biodiversité et éviter les phénomène avalancheux en zone de montagne ».
L’infiltré
Bien que passionné par ce métier, Benjamin n’oublie pas pourquoi il a choisi de vivre cette expérience après un brevet de technicien agricole en gestion de la faune sauvage (Maison familiale et rurale de Mondy) et plusieurs stages de recherches sur le loup effectués à l’Office nationale de la chasse et de la faune sauvage de Grenoble. « Je cherchais le contact avec des éleveurs et des bergers afin de répondre à ma question : pourquoi le loup est un problème pour les bergers ? Pourquoi les loups s’attaquent aux troupeaux ? Avant je pensais que c’était aux bergers de mieux garder leur troupeaux. Il n’était pas question de toucher au loup. Or aujourd’hui j’ai évolué, je comprends le désarroi des bergers et des éleveurs quand le loup attaque et ruine en un seul coup de crocs tout leur travail sur la bête. »
Cet été, Benjamin a passé trois mois dans la vallée de la Haute-Tinée, à Saint-Etienne-de-Tinée (Alpes-Maritimes) en compagnie d’un troupeau de 170 brebis. Il n’a subi aucune attaque de loups, alors qu’il se situait à la limite de la zone d’une meute. En revanche, deux apprentis bergers qui suivent la même formation que lui ont été attaqués régulièrement tout l’été, alors qu’ils se trouvaient non loin de lui. « Il faut être fort mentalement pour passer trois mois tout seul avec son troupeau. Nous étions à une heure de marche du premier village. Les nuits sont courtes et la pression est d’autant plus forte quand le loup attaque de jour comme de nuit ». L’Etat indemnise les éleveurs quand il est prouvé que c’est un loup qui a tué les bêtes, « mais cela ne remplace pas tout le travail que l’on fournit. »
L’Etat indemnise à condition qu’au moins une des trois conditions suivantes soit respectée : présence d’un ou plusieurs patous (chien de protection), parc électrifié, ou la présence d’un aide berger en plus du berger. « Mais le loup déjoue les tactiques », explique-t-il. Les attaques sont de plus en plus nombreuses, dans la mesure où le nombre de loup augmente. En 2013 en France, le taux de croissance de la population du loup est de 19%. Le loup est donc une espèce viable, elle n’est d’ailleurs plus sur la liste rouge des espèces menacées. Cela augmente les pressions. En discutant avec les éleveurs, Benjamin s’est rendu compte qu’il fallait « faire quelque chose et vite », le ras-le-bol général est latent. La phobie du loup est parfois si forte chez certains éleveurs que Benjamin a préféré se taire concernant son parcours et les motivations réelles de la démarche qui l’a amené à devenir berger.
Faire « quelque chose »
« Le problème c’est qu’il reste beaucoup à apprendre du loup pour pouvoir comprendre voire empêcher l’attaque des troupeaux. En France, il n’y a pas encore assez de recherches sur le sujet. Il y a des solutions, mais ces solutions coûtent chères », explique Benjamin. Le ras-le-bol des éleveurs trouve un écho chez les chasseurs. « Beaucoup de chasseurs voient le loup comme un concurrent, car il chasse les mêmes proies que lui », précise le berger. « Mais n’oublions pas que le loup permet de redynamiser la biodiversité et régule les populations animales en s’attaquant aux bêtes malades, vieilles ou aux plus jeunes ».
Certains chasseurs et certains éleveurs souhaitent que la chasse aux loups soit autorisée au même titre que les gibiers. Les fédérations de chasse font d’ailleurs passer le permis de chasser aux éleveurs. Officiellement, la chasse au loup reste interdite malgré plusieurs tentatives de réformes. Le plan Loup 2013-2017 prévoyait notamment l’autorisation de la chasse au loup par des arrêtés préfectoraux, avant que cela soit suspendu par plusieurs tribunaux administratifs. Pour Benjamin, il admet aujourd’hui, avec une certaine réserve du moins, trouver « légitime » que l’on cherche à réguler le loup par la mise en place de quotas. Cette année, le quota prévoit que 24 loups pourront être abattus sur l’ensemble du territoire. « J’ai compris aujourd’hui que le loup ne devait pas s’attaquer aux troupeaux. Il faut lui faire comprendre que l’Homme est un danger et que les troupeaux sont gardés par les hommes. S’il est intelligent pour les tactiques de chasse, il sera assez intelligent pour intérioriser le fait qu’il ne faut pas attaquer les troupeaux », pense Benjamin. « Pour cela, il faut lui faire mal dès qu’il approche un troupeau. »
Idéaliste avant tout
Benjamin a conscience que sa position a bien évolué depuis qu’il a pu appréhender par lui-même les difficultés du métier de berger. « Je reste cependant persuadé qu’une cohabitation est possible. Il faut comprendre un ensemble d’interactions pour trouver un terrain d’entente en prenant en considération les intérêts de chacune des parties. Je fais aujourd’hui la différence entre aimer le loup et avoir conscience des problèmes qu’il pose dans le milieux pastoral », souligne Benjamin. La formation d’aide berger qu’il suit en contrat de professionnalisation avec le Groupement d’employeurs pour l’insertion et la qualification (GEIQ) Pastoralisme et l’Association pour la promotion du pastoralisme dans les Alpes-Maritimes (APPAM) se terminera en mars 2014. Début novembre, il rentre trois semaines « au chaud » pour poursuivre son apprentissage théorique. « Cela va être l’occasion de retrouver les quatre autres personnes qui suivent la même formation que moi. Nous allons pouvoir échanger de nos expériences respectives. J’ai hâte de pouvoir discuter avec ceux qui ont été confronté aux attaques », confie Benjamin. L’hiver se passera essentiellement en bergerie. Après cela, Benjamin a déjà d’autres projets. Il aimerait dans un premier temps passer son permis de chasse et devenir agent technique de l’environnement au sein de l’Office national de la chasse. Pour cela, il faudra passer le concours d’entrée. Mais Benjamin aimerait également reprendre ses études en licence professionnelle pour obtenir un nouveau stage de recherche sur le loup et essayer d’identifier si des meutes sont spécialisées dans les attaques des troupeaux. « Plus nous en saurons sur le loup, plus nous pourrons tenter de trouver des solutions adéquates pour protéger les troupeaux ». Une chose est sûre, cet amoureux de la nature fera tout pour défendre cet animal qui le fascine et peut-être un jour réaliser son rêve : observer à l’état sauvage et de ses propres yeux celui qu’il considère comme « l’esprit de la forêt ».
Sidonie Hadoux
L'Avant-Post est un média école conçu et édité par les étudiants du master journalisme de Sciences Po Grenoble. Avec la permission de l'auteure.