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Entretien avec Christian Léourier tome 3

Par Phooka @Phooka_Book

Et voilà le tome 3 en route.
Pour lire ou relire les deux premiers volets de cette interview c'est ICI et LA .
Entretien avec Christian Léourier tome 3
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Entretien avec Christian Léourier tome 3
Un jour j’ai rencontré l’inspiration. Je l’ai croisée par hasard, sur un chemin de montagne. J’ai dit :
Bonjour, l’inspiration ! Je suis drôlement content de vous voir !

Elle m’a répondu, plutôt sèche :

Tu devrais dire : « Je suis bien content ». Il vaut mieux éviter des adverbes de manière, ils alourdissent la phrase. Surtout s’ils introduisent une rime intérieure. Et puis, tu ne me « vois » pas, au sens strict du mot. Les montagnes, le lac qui paresse sous le soleil en déclin, voilà ce que tu vois. Moi, c’est autre chose. Sois donc un peu précis dans ton vocabulaire.

Pas très commode, l’inspiration ! Néanmoins, nous avons parcouru un bout de chemin ensemble. Je me suis enhardi à lui confier :

J’aimerais bien vous revoir. 

Oh, je suis très occupée, esquiva-t-elle.

Nous nous connaissions à peine, et déjà elle cherchait des excuses pour m’éviter. Feignant de ne pas m’en apercevoir, j’insistai.

Bon d’accord, j’essaierai, finit-elle par céder ; et afin de bien montrer que nos rapports s’envisageraient désormais sur un plan strictement professionnel, elle abandonna le tutoiement pour demander : quels sont vos horaires de travail ?


Mes horaires ?
Eh bien oui, vos horaires. Vous ne croyez tout de même pas que je vais surgir à l’improviste et me taper tout le boulot à votre place ?

Pourtant, aujourd'hui…

Aujourd'hui, c’est un peu particulier. Les vacances… Mais si vous voulez recevoir ma visite, il va falloir y mettre du vôtre. 

Je ne la voyais pas comme ça, l’inspiration. Je la croyais plus complaisante. Je le lui ai avoué. Elle a ricané et, redevenant familière, elle a précisé :

Ça, mon bonhomme, c’est du folklore. Si tu veux apprendre à écrire, il va falloir noircir du papier. Tout jeter. Réécrire. Jeter de nouveau. Réitérer autant de fois que nécessaire. Tu imagines un coureur qui s’alignerait au départ d’un marathon sans s’être préparé à l’épreuve ?

Voilà comment notre relation a débuté. Depuis, elle vient me visiter quelquefois. Oh, pas souvent. Le reste du temps, suivant son conseil, je m’entraîne.
En ce moment, je travaille sur un quatrième tome du cycle de Lanmeur, puisque, grâce aux éditions Ad Astra, une nouvelle génération de lecteurs peut déambuler dans cet univers. Mais cela ne m’empêchera pas de répondre à vos questions.
À bientôt, donc.

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Bonjour Christian,
Je suis en train de lire votre interview figurant à la fin de l'intégrale 1 du cycle de Lanmeur. Cette interview, recueillie par Xavier Dollo, n'est malheureusement pas datée. Un passage m'interpelle vivement : "Ce qui m'inquiète, c'est la régression de la SF par rapport au fantastique. Comme si les lecteurs n'avaient plus envie de réfléchir. Le fantastique est la littérature de la soumission à l'étrangeté du monde, la SF celle de la rébellion."
Pardonnez-moi, mais si je suis d'accord pour dire que la SF n'est plus une lecture à la mode, je ne vous suis pas lorsque vous affirmer que le fantastique (et/ou la fantasy) ne font pas réfléchir. Bien que les thèmes soient abordés différemment, ils restent similaires. Plus d'une fois j'ai reposé un récit Fantastique/Fantasy en y songeant toute la nuit tant le sujet m'avait interpellée.
En lisant le cycle de Lanmeur (l'intégrale 1, je n'ai pas encore lu les suites), je pensais me plonger dans une histoire purement SF. Hors je me suis au final confrontée à des mondes proches du médiéval fantastique, avec leurs coutumes et croyances ancestrales (surtout Ti-Harnog). Le tout bien sûr avec un fond de SF, mais Lanmeur et le Rassemblement restants "inaccessibles", le côté SF n'est pas ce qui m'a marqué.
J'ai toutefois grandement apprécié ma lecture ! ;-)

Christian:
L’interview date de la parution du tome 1 de l’intégrale, c’est-à-dire 2011. Ce que je dis du relatif effacement de la science-fiction par rapport au fantastique et à la fantasy (qui sont pour moi deux genres distincts) demeure d’actualité. Il n’est que de voir la liste des titres publiés dans les collections pour la jeunesse pour s’en convaincre.Je persiste à penser que cette évolution est symptomatique d’un état d’esprit, même si, bien entendu, des considérations commerciales poussent les éditeurs à amplifier la tendance : Harry Potter a été un succès de librairie, engouffrons-nous dans la sorcellerie. Buffy fait un tabac chez les ados, vite, des histoires de vampires… Il reste qu’on n’impose pas au public un genre dont il n’est pas demandeur.Avant de développer davantage, une précaution : je vais parler de ces trois genres en général. Comme chaque fois que des généralités sont manipulées, il ne manquera pas de contre-exemples pour me contredire. D’autant que ces genres s’émiettent en sous-genres et que les frontières sont parfois floues (songeons à Lovecraft, par exemple.) Par ailleurs, je voudrais dissiper une ambiguïté : il y a de la place pour tous les genres et, en tant que lecteur, je n’en néglige aucun, même si par tempérament je préfère la S.F. Ma remarque ne signifiait pas que seuls les lecteurs de S.F. réfléchissent, tandis que les lecteurs de fantastique ou de fantasy sont passifs. Elle portait sur la nature même de la réflexion.La différence essentielle qui m’apparaît entre S.F. et fantastique est que la première a pour ambition d’amener le lecteur à s’interroger sur le fonctionnement du monde, dans une intention critique. Elle traduit un état de fait : la prééminence de la technologie, de l’artefact sur le naturel et cherche à déterminer les aboutissants de cette emprise sur le mode de vie de ceux qui y sont soumis (vous et moi, quoi). Même lorsqu’elle se présente sous forme d’une dystopie, elle est le reflet d’une idéologie du progrès scientifique et technique. Les débats de société dont se nourrissent les talk-shows télévisés d’aujourd’hui sont apparus avec quelques décennies d’avance dans la littérature de S.F. En vrac : l’écologie, la manipulation par les medias, la démographie (volume et structure), la concentration du pouvoir / de la richesse, les manipulations génétiques, l’impact de l’informatique et de la télématique, les énergies nouvelles, la conquête de l’espace… on pourrait multiplier les exemples. La S.F. a fonctionné comme une sentinelle, un précurseur de la réflexion sur les orientations à prendre (ou à éviter) et l’impact de l’innovation sur la vie quotidienne. Bien entendu, elle n’a résolu aucune question, mais se présente comme un réservoir d’hypothèses et elle accoutume ses lecteurs à affronter l’impact des changements.Le fantastique, lui, joue davantage sur le registre des émotions. Fonctionnant sur le surgissement de l’irrationnel dans le quotidien, il traduit l’inquiétude de l’homme confronté à sa propre condition. Il suppose l’existence d’un arrière-monde, inconnaissable sinon au prix d’une transgression aux conséquences imprévisibles – et la plupart du temps néfastes. S’il amène le lecteur à la réflexion, c’est sur les questions métaphysiques : le bien et le mal sont-ils absolus ou relatifs, la mort est-elle une fin, a-t-elle une signification, l’homme peut-il échapper à une destinées ? On ne se situe plus dans le domaine sociétal, mais dans la sphère individuelle.On retrouve ces mêmes questions dans la fantasy. Ce genre, comme le conte de fées dont il est l’héritier, exprime souvent la résurgence de mythologies bannies. Elric envoûté par Stormbringer, c’est évidemment l’image de la lutte à l’avance perdue de l’homme contre son propre destin. Cependant, les codes ne sont pas les mêmes, en ce sens qu’il y a coïncidence entre le monde de l’action et l’arrière-monde dont il s’agit de contrôler les issues (quand d’ailleurs, il y a une distance entre les eux, ce qui n’est souvent pas le cas).Ces questions métaphysiques ne sont pas exemptes d’intérêt. Voire inévitables. Mais, en bon kantien que je suis, je ne pense pas qu’elles soient solubles. À chacun de s’installer dans sa représentation du monde, sachant qu’elle lui est propre.Personnellement, je demeure un auteur de S.F. Si je prends par exemple le thème de la mort, je suis moins intéressé par un au-delà qui demeurera à jamais hypothétique, que par les conséquences qu’entraînerait un prolongement indéfini de la vie, c’est-à-dire en quoi la mort structure nos sociétés et leur permet d’évoluer. L’immortalité sera la plus grande catastrophe (au sens propre de rupture totale) que l’humanité connaîtra. Il serait temps d’y penser : je suis convaincu qu’on y parviendra au cours de ce siècle.Un roman comme Ti-Harnog aurait pu être de la pure fantasy. S’il appartient à la S.F., ce n’est pas seulement à cause de l’arrivée d’un Lanmeurien sur ce monde à bord d’un vaisseau spatial, mais parce que la société harnogéenne est entièrement déterminée par une caractérisque physiologique de ses habitants. La stratification en castes est la réponse (une des réponses possibles) à la métamorphose. Celle-ci impacte jusqu’à la mythologie des Harnogéens, puisqu’ils attendent celui qui les fera accéder à un nouveau cycle. L’un des propos du roman est donc d’orienter la réflexion sur les fondements naturels, biologiques, de nos institutions. Il n’est que de penser à la sexualisation de nos sociétés pour comprendre que la question n’est pas gratuite.Quand je dis m’inquiéter de la régression de la S.F., et y déceler un recul de la réflexion, je parle évidemment de la réflexion sur l’évolution future du monde, comme si celui-ci était soudain devenu si imprévisible que toute tentative de débrouiller l’écheveau apparaissait vaine. Il est de fait que l’accélération de l’innovation technologique peut sembler décourageante au pauvre auteur de S.F. Le temps d’imaginer ce que pourrait être la prochaine technologie à fort impact, vous la trouvez déjà sur les rayonnages du magasin… pardon, en vente en ligne sur internet. Mais ce n’est pas une raison pour baisser les bras.





Bonjour Christian.Je vais revenir sur Ti-Arnog et vos artwenirs, la zoologie étant un peu mon domaine.Voilà ce que j'en avais dit lors de ma chronique : " Et j'oubliais les fameux artwenirs, les "chevaux" de Ti-Harnog, au singulier un artwen. Imaginez une autruche croisée avec une baleine... ben oui, elles ont des fanons ces artwenirs ! Puis un chapitre plus loin on apprend qu'elles ont un cou reptilien !! Et quelques pages plus loin, qu'elles ont des crocs bien acérés alors qu'on sait que ce sont des herbivores qui broutent l'herbe... et que l'on traie tous les jours, bon. Mais quand l'auteur lui rajoute un bec falciforme alors là, moi je décroche. "
C'est la première fois que ma visualisation de l'imaginaire d'un auteur est dépassée. Et je n'étais pas la seule, c'était une lecture commune et toutes, nous nous étions fait la même réflexion ! Habituellement, dans les lectures de l'imaginaire, Fantasy et SF, les espèces inventées, qu'elles soient humanoïdes, êtres pensants non humanoïdes, animales ou végétales, suivent quand même un minimum les lois "darwinesques" non ? Qu'avez-vous voulu créer avec cette bestiole ?Est-ce qu'un illustrateur s'est déjà amusé à dessiner un artwen ? 


Christian:

Lorsque cette critique est parue, je me suis interrogé. Pourquoi une baleine (animal fort sympathique au demeurant) ? À cause du fanon, bien sûr ! Mais dans mon idée, ce mot désignait plutôt le repli de peau qui pend au cou des bovins. L’autruche, c’est resté plus mystérieux. C’est volontairement que je n’ai pas donné une description complète de l’animal. Au lecteur de l’imaginer. Pour ajouter à la confusion, je dirais qu’artwen pourrait se traduire par ours blanc. Mais une artwen n’est évidemment pas un ours. Csernus, sur son illustration de la couverture de l’édition en J’ai Lu, ne s’en est pas trop mal tiré, même si ce n’est pas tout à fait ainsi que je me la représentais. L’idée était de montrer une créature qui serait issue d’une évolution différente, pour ajouter à l’étrangeté de la présence humaine sur la planète.

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