Vraiment, il n’y a pas à tortiller : il y a vraiment des cadors en charge de la communication dans ce gouvernement ! Alors que la colère fiscale continue de monter inexorablement et que (il faut bien le dire), aucune espèce de bidouille hollandiste ne pourra facilement en venir à bout, les annonces et autres fanfaronnades de Bercy redoublent dans la presse.
« Le légitime débat sur le niveau des prélèvements obligatoires ne doit pas effacer un principe fondamental : celui du consentement à l’impôt, qui est consubstantiel à la République. »
Devant ce genre de saillies, on se demande un peu quel lumineux cabinétard a bien pu pousser Bernie à prendre la parole pour sortir ce chapelets d’âneries bien-pensantes ; remuer le couteau taxatoire dans la plaie fiscale française en serinant à qui veut l’entendre que le tabassage auquel on assiste est « consubstantiel à la République », c’est assurément un fin calcul de communicant qui ne va pas du tout exciter les contribuables à l’approche de Noël.
Et le plus fort, c’est que la contre-performance communicationnelle de Bernie entre admirablement bien en collision avec les petits couinements d’aise de la porte-parlote du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem qui, pendant que le soutier du budget tance vertement le Français ronchon, se permet d’étaler une joie franchement déplacée de l’état fiscal catastrophique du pays : s’appuyant sur un rapport de l’INSEE qui semblerait découvrir une baisse des inégalités en France, l’aimable prétexte-parité nous sort ainsi :
« Le consentement à l’impôt (…) se renforce chaque fois que l’impôt est juste. »
Mais bien sûr. Du reste, si on remplace « impôt » par « euthanasie », ça marche admirablement bien et ce n’est pas un hasard, ça procède du même type de raisonnement. Le plus intéressant, dans les roucoulades mièvres de la ministre, n’est d’ailleurs pas son plaidoyer ridicule pour un impôt juste (s’il l’était, je crois que Cazeneuve n’aurait pas à rouspéter dans les colonnes du Monde) mais dans la façon dont elle interprète l’étude de l’INSEE. Ainsi, elle constate qu’avant la redistribution fiscale et citoyenne en 2012, le niveau de vie moyen des 20% les plus riches était 7.6 fois supérieur à celui des 20% les plus pauvres, alors qu’après, joie et sourire lumineux sur le visage de la porte-parole, youpi, le rapport n’est plus que de 4 ! Magie du socialisme qui transforme les riches en pauvres et les pauvres en pas riches.
Ce que la brave Najat s’empresse de ne surtout pas évoquer, c’est que les chiffres de 2011 montraient que le rapport passait de 7.4 à 3.9. Autrement dit, en 2011, les écarts entre riches et pauvres étaient plus faibles. Pauvre, pauvre Najat qui ne sait pas lire les études de l’INSEE et qui en déduit niaisement au « retour de la solidarité fiscale en France » alors que, bien tristement, cette étude montre exactement le contraire. En réalité, ce genre d’études, bricolage statistique assez peu significatif, forme comme souvent le lit des joueurs de pipeau que Najat n’est certainement pas la dernière à occuper.
Si l’on s’en tenait aux seuls borborygmes ministériels, on pourrait se dire que tout ceci s’apparente simplement aux habituels mouvements de manche des clowns qui nous gouvernent. Enlevez-les, le spectacle s’arrête et plus personne ne veauterait pour eux. Cependant, il faut comprendre un peu la dynamique dans laquelle s’inscrivent ces déclarations.
En effet, si seul le Camp du Bien actuellement au pouvoir rouspétait sur l’antipatriotisme primaire des mécontents de l’impôt, il n’y aurait guère matière à réflexion. Cependant, il ne faut pas longtemps pour découvrir que dans l’autre camp, on tient exactement le même discours ! Oui, vous avez bien lu : un type comme Luc Chatel, que certains présentaient comme libéral — rires appuyés dans toute la salle — n’a ainsi rien trouvé de mieux à déclarer que, je cite :
« Il faut arrêter de taper de manière sournoise, j’allais dire bête et méchante, sur le principe même de l’impôt. »
Et pourquoi donc ? Parce que l’impôt, subitement, serait devenu désirable ? Parce que le consentement à l’impôt, pour ces gens qui, justement, n’en payent pas, veut dire « Absence de couinement sous la pression », le peuple devrait « arrêter de taper sur le principe même » ? Décidément, comme on le voit, ce fameux consentement est, bien plus que l’antiracisme de synthèse au goût banane, un thème fédérateur chez tous les élus.
Mieux encore : il suffit d’écumer la presse pour découvrir que depuis quelques semaines, un petit crin-crin lancinant s’est installé à différents postes des institutions de l’État, dans les administrations, les cabinets, les ministères et l’Assemblée. Ainsi, voilà Bercy qui fanfaronne sur le nombre soi-disant conséquent de régularisations de dossiers : oyez, oyez, les brebis fiscalement égarées reviennent chez le bon pasteur qui saura s’occuper d’elles !
L’idée consiste à faire croire qu’un nombre énorme de contribuables, pris de remords ou trop anxieux de se faire attraper par des services fiscaux d’une redoutable efficacité, se rendraient pieds et poings liés devant le centre des impôts le plus proche pour y chercher rédemption et arrangement fiscal amiable avant les terribles foudres prévues dans quelques semaines. Le but est double : cela permet d’une part de montrer à tous les autres fraudeurs pas encore convaincus qu’ils ne perdent rien pour attendre, et d’autre part – et c’est encore plus important – de convaincre les créditeurs de l’État français (fort nombreux) que la capacité de Bercy à lever des impôts et les ramener dans les caisses n’est en rien amoindrie.
Et cette démarche est absolument indispensable, parce qu’en face, le peuple, lui, se laisse de moins en moins faire et ça se voit. Ça se voit dans les sondages qui découvrent que 44% des Français ont déjà payé des services au noir, ça se voit dans les sondages qui se rendent compte qu’un quart des Français serait tenté de frauder le fisc, et surtout, que la moitié serait prêt … à fuir la France pour échapper au chômage et aux impôts.
Et lever des impôts, dans ces conditions, devient plus difficile, plus délicat. Or, si jamais le Consentement à l’impôt des Français venait à s’émousser de façon trop visible et trop durable, la crédibilité même de Bercy, et par voie de conséquence, de tous ces fiers larrons s’effondrerait avec la disparition du crédit qui va avec.
Ce à quoi l’on assiste ici, c’est le début d’affolement d’une classe politique.
La gauche, ainsi, n’a absolument aucune idée d’où elle va et n’a qu’un seul outil dans la boîte de François, une pelle qui a déjà bien trop creusé. Et la droite, qui n’a aucun projet depuis des lustres, en est réduite à tenir le même discours.
Mais ces gens qui s’étonnent de la grogne ont oublié quelque chose d’essentiel : quoi qu’il arrive, d’où qu’ils puissent parler, c’est le peuple, et certainement pas eux, qui décide quand trop c’est trop. C’est ce peuple, et pas eux, qui définit, par son usage, sa tempérance, son calme et sa docilité, les termes précis de son consentement. C’est ce peuple, et pas eux, qui décide si sont une bonne chose ou pas les radars, l’écotaxe ou les privilèges que certains s’étaient octroyés et croyaient gravés dans le marbre.
Et lorsque la démocratie est en panne, lorsque le gouvernement refuse d’entendre le désaccord qui monte, lorsqu’il n’y a plus, justement, de consentement à l’impôt, les actions violentes, au contraire des pétitions, méprisées, ou des manifestations, dispersées dans le gaz, sont finalement tout ce qui reste.
Prenez gardes, thuriféraires de l’impôt. Le consentement, c’est plus maintenant.
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