En farfouillant sur internet on apprend assez vite que "zazen" est le nom d'une position classique du bouddhisme zen, la préférée de Bouddha. D'après ce qu'il se dit chez les hippies mangeurs de graines et buveurs de thé le but secret de cette technique est d'unifier corps et esprit dans une béatitude totalement cool. Ce genre de pratique est l'exemple parfait d'une activité personnelle a priori sympa mais qui, en pratique, se révèle totalement hors de propos. Surtout pour des occidentaux dont il est désormais prouvé que la grande majorité est aussi raide qu'un piquet. Mais du coup, quel est le rapport avec le livre de Vanessa Veselka, véritable sensation de la rentrée ? Réponse dans 668 mots... À peu près.
Paru pour la première fois dans les pages d'Arthur Magazine Zazen est rapidement tombé dans les mains du génial Richard Nash, ex-Soft Skull (Lydia Millet c'est lui), qui en a fait le premier coup d'éclat de Red Lemonade, sa dernière aventure éditoriale. Il faut dire qu'au-delà de sa forme éclatante le roman de Veselka s'intègre pleinement dans cette expérience de lecture iconoclaste basée sur une dynamique communautaire forte (Nash est aussi à la base du réseau social littéraire Small Demons, le genre de truc top délire dont on attend désespérément l'équivalent français) et sur la gratuité partielle des contenus. On pourrait broder sur le sujet pendant des semaines entières, mais c'est un tout autre sujet car...
... en 2011, en pleine apothéose de la crise des subprimes, tous les voyants étaient au vert pour qu'une révolution taille XXL redistribue enfin les cartes de la domination planétaire. Mais l'humanité a semble-t-il roté sans ouvrir la bouche et, finalement, fait comme si rien ne s'était passé. Partant de cette incongruité historique dont on cherche encore à comprendre les raisons Zazen murmure un chaos fantasmé et trifouille, sur 335 magnifiques pages, le corps dystopique d'un Portland ravagé par une époque confuse à l'excès. Traversant ce théâtre en essayant de ne pas trop souffrir Della, doppelgänger papier de Veselka, portlander jusqu'à l'os, Della donc, est le maillon délicat et fragile d'une famille d'activistes aux attentes politiques souvent trop envahissantes ("family issue" dirait Barney Stinson). Dans ses conditions comment s'en sortir ? Comment faire semblant de ne pas souffrir lorsqu'on est aussi empathique que ne l'est Della ?
1) En collectionnant des photos d'immolations.
2) En s'occupant d'un cimetière de rats installé derrière un resto végétarien.
3) En ayant des relations homosexuelles pour impressionner ses parents.
4) En déclenchant de fausses alertes à la bombe.
5) En se prenant pour une apprentie terroriste.
6) En s'enfuyant ?
Toutes ces "hobbies", qui esquissent la difficulté de Della à se placer au cœur du monde, sont autant de jalons posés sur l'incompréhensible hystérie de ce dernier car, très vite, de véritables bombes explosent en pleine ville. Ces événements soudains ravivent alors le spectre de guerres civiles précédentes et on se dit que si les choses partent si facilement en biberine c'est que la plupart des gens de cette histoire sont véritablement humains pour la première fois.
Il faut donc être attentif, ne pas s'emporter. Veselka ne fait aucun mystère sur l'idée qu'elle se fait de ses semblables. Mais elle ne les juge pas. Il faut rester sur ses gardes. L'indécision constante dont fait preuve Della nous rend cette fragile communauté encore plus familière, encore plus à même d'être aimée. Titubant dans un milieu gaucho-Berkeley-like ultra politisé (on ne cesse de penser à la communauté des crypto-marxistes de Southland Tales ou au Vineland de Pynchon auquel l'univers de Zazen fait penser... Lenore Beadsman n'est pas loin non plus) Della voudrait fort fort que les gens puissent ressentir la même chose qu'elle. Mais quoi ? Vulnérable, elle aimerait voir le monde renversé, mais ne pas en être responsable et finir par n'avoir qu'un seul véritable désir : être ailleurs. On est tous un peu comme ça. Confrontés à cette même envie de bouleversement radical sans vraiment savoir comment s'y prendre, sans avoir envie de mettre le doigt dans ce genre d'engrenage et, au final, s'en accommoder tout à fait. Nous faisons ça tous les jours. Alors, qui pourrait bien juger Della ? Ça fait un baille que la littérature n'est plus faite pour condamner et même si cette ligne morale (ceux qui agissent et les autres qui regardent, critiquent, subissent, fuient...) grossit sournoisement comme un flux invisible mais puissant, la ballottant entre un activisme désespéré et un atavisme subit bon gré mal gré, le désir confus de Della est un immense cadeau fait à la littérature et aux personnes qui ne s'expliquent pas tout.
Au final, sans trop forcer, on apprécie clairement le rapport entre la plénitude de la méditation assise de Bouddha et la lecture de Zazen. L'appréhension entière et totale du monde qui nous entoure, quitte à s'y perdre complètement. Voilà le rapport.