Grandeur et décadence de la presse ?
Publié Par Frédéric Wauters, le 18 novembre 2013 dans MédiasUne fois de plus, l’actualité du jour nous offre le triste spectacle d’une presse en ligne qui privilégie la surenchère et l’immédiateté à la vérification des faits. Petit récit consternant de mauvais journalisme à la sauce 2.0.
Par Frédéric Wauters, depuis la Belgique.
Tout commence ce matin par un appel d’un de mes clients, une petite banque belge qui remplit à merveille son rôle d’outsider sur notre marché bancaire très cadenassé. “Tiens, tu as vu, Het Belang van Limburg publie ce matin un article sur le service de mobilité interbancaire. Apparemment, Febelfin (ndlA: la fédération professionnelle du secteur financier) a sorti de nouveaux chiffres sur le sujet, et Test-Achat semble avoir publié une nouvelle étude. On ne publierait pas un article là-dessus sur notre blog?”Vérifier, toujours vérifier
En tant que rédacteur en chef du blog de ce client, mon rôle est, entre autres, de m’assurer de la véracité et de la pertinence des informations qui y sont publiées. Ni une, ni deux, je procède donc à une première vérification sur internet. Dix petites minutes suffisent à constater que:
- l’article du Belang mentionne deux chiffres différents: 77.000 clients et 72.000 clients
- la DH, le Soir, l’Avenir et La Libre ont publié l’information également.
- les dernières statistiques de Febelfin publiées sur leur site datent de juin 2013, et mentionnent 36.038 changements de banque jusqu’à la fin du mois de juin.
- le dernier dossier de test-achats sur le sujet date de mai 2012, et son dernier communiqué de presse de mars 2012
Bref, rien de bien croustillant à se mettre sous la dent. Et une deuxième surprise de taille: Le Soir et La Libre mentionnent une dépêche Belga, qui cite le Belang. La boucle est bouclée.
“Je suis très surpris”
Je décide donc de poursuivre ma petite enquête, et j’appelle Bob De Leersnyder, le porte-parole néerlandophone de Febelfin, cité dans l’article du Standard. “Ecoutez, je suis très surpris de voir autant d’articles dans la presse ce matin. Nous n’avons plus publié de statistiques depuis juin 2013, et l’étude de Test-Achats citée par le journaliste du Belang date de 2012″, me dit-il en substance. Je lui demande alors s’il a réellement eu un journaliste du Belang en ligne. “Oui, oui, il m’a appelé ce matin pour poser quelques questions sur le service de mobilité interbancaire. Mais il ne m’a jamais parlé de ces études. Cela dit, il n’est pas exclus que nous ayons de nouveaux chiffres à publier dans les prochaines semaines, puisque nos statistiques en la matière sont calculées sur base trimestrielle. Mais à ce stade-ci, je ne peux pas vous l’affirmer avec certitude.”
Où allons-nous?
Je me suis déjà ému dans ces colonnes de l’absence de vérification systématique des faits par la presse en ligne. Mon ami Mateusz s’en était ému, et m’avait fait part de son analyse de la situation. Pour lui, et je pense qu’il a raison, les pigistes, mis sous pression, n’ont plus le temps matériel d’effectuer les vérifications qui sont pourtant la base du métier de journaliste. Par ailleurs, comme le journaliste du Belang, certains journalistes en mal de copie semblent prendre certaines libertés avec les faits, comme Mateusz le relevait lui-même la semaine dernière à propos d’un article paru dans L’Echo.
Conjuguez les deux, ajoutez-y une pincée de “si les autres en parlent, on doit en parler aussi” et vous obtenez une presse 2.0 dont on se demande bien quelle peut encore être sa crédibilité. Alors que la presse quotidienne peine à trouver un nouveau modèle pour freiner la chute de son lectorat, et que les restructurations vont bon train, ne ferait-elle pas bien de s’interroger sur la disparition progressive du seul élément qui rendait encore le journaliste différent du blogger doué, à savoir une approche critique et une vérification systématique?
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