FSDIE : Quand les frais d’inscription des étudiants financent on ne sait trop quoi
Publié Par Contrepoints, le 18 novembre 2013 dans École & éducationLes droits d’inscription des étudiants financent un fonds (FSDIE) pour le moins flou.
Par Richard de Sémilly.
Le FSDIE
Il s’agit d’un fond alimenté par une partie des droits d’inscriptions acquittés chaque année par les étudiants. Le montant minimal obligatoire des frais d’inscriptions que les universités doivent attribuer à ce fond est fixé chaque année par un arrêté ministériel. Pour l’année 2013-2014, il a été fixé à 16 euros par étudiant.
Le montant du fond pour chaque université est donc proportionnel au nombre d’étudiants. Le FSDIE peut aussi être abondé par des aides extérieures (conseils régionaux par exemple). Son montant total au niveau national s’élevait à 16M€ pour l’année 2011-2012 pour l’ensemble des universités [[1. page 23 et page 10 du bilan MESR 2011-2012 ]] .
Ce fond doit théoriquement être utilisé à deux choses :
- Le financement de projets émanant des étudiants.
- Une part peut être affectée à l’aide sociale d’étudiants en difficulté.
Les universités ont établi des critères d’évaluation et des priorités, en fonction desquels les projets sont ou non financés. Ces critères sont définis au sein de chaque conseil d’université et non au niveau national. Par conséquent, les projets soutenus par le FSDIE varient d’une université à l’autre.
Absence de transparence au niveau universitaire
Quels sont les projets soutenus par les universités ? Quels sont les critères d’attribution ? Quels en sont les montants ?
Les universités n’ont aucune obligation de publier les comptes du FSDIE. Ainsi en fonction des universités les étudiants peuvent savoir ou non à quoi le fond est utilisé. Certaines universités (comme l’université de Bourgogne) publient systématiquement les PV des réunions de la commission FSDIE ainsi qu’un bilan annuel, d’autre universités ne font qu’un bilan annuel, d’autre (comme Paris 8) publie les PV mais la seule information visible aux étudiants est que la commission a « approuvé à l’unanimité » la réunion sans aucun détail des projets soutenus et des montants accordés. D’autres universités enfin (comme Paris IV) ne publient pas publiquement les détails des PV et aucune information ni sur les montants ni sur la liste des projets n’est accessible aux étudiants.
Nous avons essayé de contacter un certain nombre d’universités dont les rapports ne sont pas publics. La plupart n’ont pas répondu. Certaines ont bien voulu nous répondre pour nous expliquer que ces informations ne sont pas accessibles au public. Pour ce qui est de la transparence, ce n’est donc pas encore gagné.
Un manque d’harmonisation des critères au niveau national
Du fait de l’absence d’harmonisation des critères au niveau national, chaque université est entièrement libre dans l’utilisation de ce fond. Tout d’abord le montant des frais d’inscriptions allant au FSDIE varie (le montant fixé par décret est un montant minimum) et certaines universités ne respectent parfois pas le montant minimum et restent sur le montant de l’année précédente au lieu de prendre en compte le décret (NOTE : rapport 2010-2011 page 2). La part accordée à l’aide sociale et ses critères d’attributions varient aussi grandement d’une université à l’autre.
Enfin, les projets et les critères d’attribution des subventions sont très différents (pour peu qu’ils soient publics…) d’une université à l’autre. L’exemple du 4L Trophy est particulièrement absurde et marquant : il est mis en avant comme un projet phare à l’université de Rennes 1 Mais rejeté à l’université de Nantes.
Un rapport annuel du ministère peu rigoureux
Le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche diffuse chaque année un bilan national de l’utilisation du FSDIE. Ce rapport n’est pas public mais envoyé à l’ensemble des universités, qui le diffusent ensuite à qui elles le souhaitent. Ce rapport est publié environ 1 an après la fin de l’année scolaire concernée.
Comme pour les universités, le ministère n’a pas été très bavard lors de nos demandes d’informations.
Ce rapport est compilé à partir des données que les universités veulent bien leur transmettre. Il n’y a donc aucune vérification sur le détail des comptes, et il arrive que des universités ne transmettent même pas ces informations au ministère. Le rapport le dit lui-même : « la fiabilité de l’enquête repose en partie sur le nombre de réponses exploitables et l’exactitude des informations transmises ».
Le rapport ainsi compilé présente des chiffres dont la rigueur budgétaire ferrait pâlir n’importe quel comptable d’entreprise. Il suffit de vérifier par exemple si le nombre d’étudiant multiplié par le montant FSDIE par étudiant est égal au total. Et ensuite de vérifier que l’addition de ce total avec l’abondement externe est égale au budget total du fond… Cela donne par exemple ceci (en rouge les cellules où les chiffres sont erronés ou absents) :
De plus un grand nombre d’universités utilisent une partie du FSDIE pour financer autre chose que l’aide sociale ou l’aide aux projets. « Ces dépenses ne respectent pas à proprement parler la destination première du FSDIE ». On constate donc la grande liberté d’utilisation de ce fond et un fléchage absent. Des centaines de milliers d’euros servent à financer autre chose. Mais quoi ?
Un autre aspect intéressant est celui des reliquats. Théoriquement lorsque l’ensemble du budget du FSDIE n’a pas été utilisé, le reliquat doit être reversé l’année suivante dans le fond. Comparons donc les données des 3 rapports successifs :
On remarque donc que s’il restait 2.6 millions en 2009-2010, seul 715 000€ ont été reversés durant l’année 2010-2011. 1.9 millions sont donc partis ailleurs. Même chose pour l’année 2010-2011 : le reliquat était de 4 millions d’euros mais seul 814 000€ ont été versés comme reliquat durant l’année 2011-2012. Ou sont donc passé les 3.2 millions restants ?
Une aide sociale très variable et variée
Dans la jungle des aides sociales, le FSDIE vient ajouter sa participation à la biodiversité. Supprimée en 2005, une partie des universités a cependant continué à attribuer à l’aide sociale une partie du FSDIE : comme il est constaté dans chaque bilan annuel, un nombre non négligeable d’universités continue à participer à l’aide sociale au moyen du FSDIE (NOTE : Rapport 2009-2010). Le financement de l’aide sociale a cependant été réintroduit en 2011.
La part attribuée à cette aide ne peut théoriquement excéder 30% des crédits du fonds. Cependant certaines universités vont bien au-delà : en 2011-2012, 17 sont au-dessus de la limite des 30% (NOTE : page 15 du rapport 2011-2012) sans que cela n’émeuve visiblement qui que ce soit.
Ainsi donc quelles que soient les orientations définies par la loi, les universités se sentent très libres dans l’utilisation de ce fond, n’ayant de comptes à rendre à personne d’autre qu’elles-mêmes.
Les formes de l’aide sociale distribuée sont fortement variées : aides financières individuelles, aides à l’achat d’ordinateur pour les étudiants, aide alimentaire (bons d’achats, épiceries solidaires)…
Le ministère lui-même regrette que « les réponses en nombre et qualité insuffisants ne permettent pas de savoir dans quelle proportion les établissements gèrent eux-mêmes cette aide ou l’ont transférée aux CROUS sur le fonds national d’aide d’urgence » (NOTE : Page 24 du rapport 2011-2012). L’exemple de Paris IV nous montre que cette aide sociale est gérée par l’université elle-même et qu’il existe même plusieurs commissions pour la distribuer (y compris une commission de remboursement des frais d’inscription, dont l’UNEF semble être très fière).
La principale organisation syndicale étudiante va même jusqu’à considérer le FSDIE comme une « cotisation sociale », au même titre que la Sécurité sociale, qui permet de créer un pot commun qui peut bénéficier à tous.
On ne pourra que regretter avec le ministère que les critères d’attribution de ces aides sociales ne soit pas connus des étudiants et qu’une grande partie de ces étudiants ignore jusqu’à son existence. Il serait intéressant de connaître la réaction de certains étudiants s’ils apprenaient par exemple que leurs frais d’inscriptions servent à rembourser les frais de certains étudiants non boursiers sur des critères inconnus. Les dérives possibles de ce genre de système sont pourtant assez (pré)-visibles.
Le FSDIE déjà épinglé pour son opacité
Le rapport ministériel est le premier à signaler que le fonctionnement du FSDIE n’est pas très orthodoxe : « Des utilisations plus discutables qui avaient été signalées dans l’enquête précédente ne sont pas mentionnées explicitement pour l’année 2009-2010. » (NOTE : rapport 2009-2010 page 4). Nous regretterons de ne pas avoir plus de détails la dessus.
L’utilisation du FSDIE dans les universités a déjà été épinglée à de nombreuses reprises par l’AERES (Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur). Son fonctionnement est ainsi qualifié d’opaque à Lyon III où en 2010, 259 600 euros non dépensés ont été « réaffectés dans l’intérêt des étudiants » sans plus de précision ; l’AERES reproche le manque d’informations à son sujet à Lille 2, relève que 50% du fond n’a pas été utilisé à Paris 7 – Diderot, qu’il y a de sérieuses entorses dans le mode d’attribution à l’université de Picardie, relève l’inexistence d’une charte des associations FSDIE à Paris 1, ou plus généralement que peu d’universités disposent d’un cadre clairement défini comme celui de l’université de Saint-Etienne.
Le rapport d’août 2013 du Haut Conseil à l’intégration sur une « Mission de réflexion et de propositions sur la laïcité » épingle lui aussi le FSDIE (P29) : Il n’existe pourtant aucun critère d’examen de dossiers, ni critère d’attribution de subventions uniques. Des projets interdits sur certains campus peuvent se voir ainsi financés sur d’autres. Or, il n’est pas rare que des projets culturels dissimulent un projet cultuel. Dans la plupart des établissements d’enseignement supérieur, il a été souligné qu’il n’existe pas de suivi des fonds alloués ni d’évaluation de la réalisation des objectifs du projet qui a été financé”.
Année après année les recommandations des différents organes gouvernementaux s’accumulent. Ainsi en 2005, c’est la cour des comptes qui relève pour l’Université de Nice Sophia Antipolis que « l’attribution de subventions aux associations mériterait d’être davantage encadrée ». Le sujet a même été abordé en décembre 2010 au Sénat qui, parlant du FSDIE, regrette que « la charte relative à la dynamisation de la vie associative liée aux universités, élaborée au printemps 2009 et qui a vocation à faire reculer l’opacité dans l’emploi du fonds concerné, n’a toujours pas été signée ». Le rapport 2011-2012 du ministère (publié mi-2013) vient confirmer (NOTE : page 6) cette situation : « 57% des universités n’ont toujours pas de charte des associations ».
Des projets polémiques ou colorés
Les procès verbaux ou bilans annuels de certaines universités (celles donc qui ont fait un certain effort de transparence) qui sont consultables permettent de découvrir des projets amusants ou des subventions qui laissent perplexe vu leur orientation religieuse ou politique.
Le rapport d’août 2013 du Haut Conseil à l’intégration (page 29) relève « qu’il n’est pas rare que des projets culturels dissimulent un projet cultuel ».
L’université de Paris Sud finance par exemple un char pour la Gay Pride parisienne, Bordeaux 3 des Journée de sensibilisation sur le mariage homosexuel (850€), Clermont-Ferrand, Cergy, Toulouse II, Tours, L’université de Provence et bien d’autre encore des festivals de lutte contre le racisme, respectivement à hauteur de 3500€, 1950€, 2010€, 250€ et 1000€.
L’UNEF semble aussi bénéficier régulièrement d’aides pour financer ses formations de militants et sa communication : 1 000€ à Toulouse pour frais de communication, 1 200€ à Bordeaux 3 pour sa revue, 1 080€ à Aix-Marseille et 500€ à l’université de Bourgogne pour la formation de ses élus.
On y trouve aussi l’organisation d’une exposition de photographies prises par des enfants du camp de réfugiés d’Asquar (Palestine) pour 675€ à Toulouse II, d’une conférence sur « Israël, un État d’apartheid ? » à Paris 8, ou d’une conférence sur l’expulsion des Roms à Paris II – Assas.
Conclusion
Au vu des difficultés croissantes des universités pour fonctionner avec des crédits de plus en plus réduits, on peut se demander si ces quelques millions du FSDIE ne seraient pas mieux dépensés (dans l’intérêt de tous les étudiants ?) si les universités pouvaient les utiliser à financer des vidéoprojecteurs pour les TD d’histoire de l’art plutôt que des équipements informatiques dans des villages marocains ou des voyages « culturels » aux Pays-Bas.
A l’heure d’Internet et de l’open-data il serait de bon ton que les universités donnent aux étudiants accès à ces informations. Après tout ne sont-ils pas censés en être à la fois les payeurs et les bénéficiaires ?
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