Des tas de symboles dansent dans mes yeux
Des phosphènes certes. Mais pas que. Alors que rien n’a changé pour mon œil droit, l’œil gauche me renvoie une image floue et dansante ; comme s’il s’agissait de la surface d’une eau mouvante. Résultat d’une opération oculaire incluant l’obstruction d’un trou maculaire et d’une cataracte. Quoi qu’il en soit, cela donne une vision quelque peu surréaliste ! Mais le plus pénible est ailleurs. Je dois fixer l’Australie, sans arrêt. La tête perpendiculaire au sol, de nuit comme de jour, sans voir le moindre kangourou mais des ombres d’insectes inconnus.
Un gaz a été injecté dans le globe oculaire et, par simple effet de la pression atmosphérique, va pénétrer petit à petit dans la faille de la macula. Pendant 7 jours minimum, je vais être en somme tourneboulé ! Y-a de quoi me direz-vous. 7 jours, la tête penchée au sol, une juste punition pour celui qui tient un blog intitulé « savoir regarder, y compris à ses pieds ». Heureusement, un copain m’a prêté une chaise de kiné qui m’aide bien. Affalé dessus, je peux ainsi lire, d’un seul œil, ou regarder ma tablette. Pour dormir, c’est plus compliqué. Sur le ventre, la tête bien droite, j’étouffe. Alors j’ai tenté la tête hors du lit, posée sur un coussin dressé au-dessus d’un plateau également percé et monté sur pieds. Force m’est de reconnaître que la position me rappelait trop celle des effets d’un cuite carabinée sur la cuvette d’un WC, pour que j’en tire un quelconque agrément. Nuit cauchemardesque s’il en est.
La deuxième nuit ne fut guère mieux que la précédente. Je dors 1 ou 2 heures au lit, puis me réveille et cherche une autre position ! Je passe du lit au siège de kiné, du divan au lit et le cycle infernal recommence. La journée a été également similaire à celle de la veille. La bulle de gaz danse toujours autant. L’œil s’est accaparé toutes les larmes de mon corps. Effets sans doute des médicaments que je prends. J’ai le dos en charpie et la nuque raide en forme de boomerang. Je n’ai plus le goût à lire tant la vision d’un œil me fatigue. Le visionnage de films sur la tablette m’endort.
Troisième nuit. Un peu mieux. J’ai pu dormir un peu plus longuement dans le lit bien que je me sois bien entendu levé de temps à autre. Côté vision, rien de nouveau. Peut-être un léger tarissement de la source à larmes. Côté courbatures, par contre, journée pénible et longue. Après le cou et le dos, j’ai maintenant mal aux reins.. J’ai trouvé la solution au problème du lit un peu par hasard. Solution partielle qui nécessite encore des recherches approfondies pour donner toute satisfaction. Si l’on peut utiliser ce terme pour désigner une rémission. Le principe est simple. Poser son front sur un oreiller. La réalisation est plus complexe. Si l’oreiller est trop souple alors il s’écrase, mon corps et notamment la colonne vertébrale est droite mais mon nez qui n’est pourtant pas aussi développé que maitre Cyrano, disons plutôt du genre épaté, l’est encore plus en s’écrasant sur le matelas avec une suffocation pratiquement immédiate. Je rappelle que mes yeux doivent être à la verticale de ‘attraction terrestre. La solution est donc dans l’élévation de l’oreiller. Mais alors ce qui devait arriver, arrive.
Qu’à cela ne tienne, le genre humain (mais pas que) est dans l’adaptation. Je me suis donc décidé à coincer l’oreiller contre la tête de lit de façon à pouvoir plonger mon front dedans sans qu’il puisse s’échapper. C’était bien mieux. Sauf que j’avais toujours une douleur après le réveil qui me rappelait bigrement celle qui me torturait de jour. A ce rapprochement, j’en compris l’origine.
Quatrième nuit. Elles se suivent mais ne se ressemblent pas. Je croyais avoir trouvé la solution pour profiter des bénéfices que tout un chacun accorde aux repos nocturnes. Que nenni ! Rien n’y fit. Aucune position ne convenait à mon corps et j’ai repris le chemin ennuyeux lit, chaise, divan. Le matin, je me suis réveillé en sursaut du lit en me rendant compte que ma tête avait eu l’audace folle de se tourner sur le côté. Bien que je comprenne cette escapade, j’ai paniqué aux possibles effets de cette folle aventure. Un rapide coup d’œil (du valide évidemment) à l’horloge m’a plongé dans de longs et complexes calculs s’ajoutant à la migraine permanente : la dernière fois que j’avais changé de moyen de locomotion du sommeil, c’était vers les 5 ou 6 heures du matin. Alors peut-être que ce gaz ophtalmique avait délaissé le trou maculaire pendant une heure… C’est grave docteur ? En tout cas, mon moral se noyait dans de sombres affres. Le traitement dépend pour 50% dans l’acte chirurgical et pour 50% dans la prédisposition du malade à assurer la gymnastique post-opératoire ! 1 petite heure, ce n’est pas grand-chose. Non ? Cela n’augmente pas la période de traitement de plusieurs jours ?
Dans l'après-midi, j’ai eu le besoin irrépressible d’aller chercher un miroir. Il fallait que je voie le ciel. Il était gris, uniformément gris. Même pas un velouté de nuage. Je fus déçu. C’est pas ça qui allait me remonter le moral. J’ai repris un bouquin, que j’ai laissé peu après pour écouter Raymond Depardon que Frédéric Mitterrand avait invité sur France Inter. J'oubliais ainsi quelques temps mon mal de nuque.
Cinquième nuit. Je me suis réveillé après avoir plongé la A12 dans une rizière. L’A12 est une voiture carrossée en forme de A par son propriétaire, richissime producteur de pâtes alimentaires et notamment de vermicelles en forme de A au corps 12, son produit phare qui lui avait valu sa fortune. Ce que je faisais dans sa voiture, aucune idée ! Une jeune femme m’accompagnait[1]. Pourquoi ? Tout cela était un rêve et n’avait ni queue ni tête. Quoi qu’il en soit la présence de ce rêve était la preuve irréfutable que cette nuit fut bien meilleure que les précédentes. J’explique cela à l’utilisation de 2 coussins à mémoire de forme (de marque Tempur), qui m’ont permis de garder la chambre toute la nuit. Côté vision, j’ai l’impression que la netteté d’une vision de près s’est très légèrement améliorée, même si l’image est toujours aussi dansante. En fait, j’ai carrément l’impression d’avoir des focales différentes à la place des yeux. Ce n’est pas vraiment de la stéréoscopie, en tout cas, pas très au point. En regardant la tasse de mon petit déjeuner que je bois avec une paille, j’en aperçois deux. L’une fixe face à moi provenant de mon œil valide, l’autre d’un volume légèrement supérieur, flottante sur sa droite, légèrement en hauteur et toujours tremblotante. Même en gardant stoïquement une position immobile ; elle n’arrivait pas à se stabiliser, amplifiant ne serait-ce que les mouvements sanguins.
Sixième nuit. Si elles se suivent, elles ne se ressemblent toujours pas. Elles s’évertuent à se distinguer, sans doute dans une compétition acharnée en vue de monter sur la plus haute marche de mes (mauvais) souvenirs. Hier, j’avais bon espoir de passer une bonne nuit avec ce sentiment positif qu’au fur et à mesure cela s’améliorait. Raté ! Réveils continuels avec des sommeils d’une durée de 45 minutes environ. Tout cela ne me calme pas du tout et m’énerve de plus en plus. Zen, zen. Je sais que je dois me contrôler. La nervosité participe et amplifie même la perturbation du sommeil. Reprise de mes habituelles activités qui me font oublier cette nuit. Grâce soit rendue au miroir qui m’a retourné ce matin un ciel bleu limpide. J’ai vraiment envie de faire une balade. Je la remets à plus tard car mon épouse doit faire des courses ce matin et j’ai absolument besoin d’elle pour me guider. Dès lors, j’alterne lectures, surfs sur la toile et siestes impromptues et irrépressibles. L’après-midi, nous faisons un tour de ville. Mon épouse me tient le bras. J’ai les yeux rivés au sol apprenant les différents revêtements agenais : graviers noyés dans le béton, pierre de taille, briques et briquettes, pavés, bitumes et étrons canins. Au bout de quelques instants, je perçois le sang qui circule dans mes veines. Légers picotements signalant qu’il s’est épaissi, contraint par mon inactivité de ces derniers jours. Arrêt à la pharmacie pour acheter du décontractant et retour à la maison.
Septième nuit. Bonne nuit. Effet du décontractant ? Seulement 3 ou 4 réveils et lever à 7 heures avec l’alarme du réveille-matin et non une nouvelle péripétie au volant de l’A12. J’ai rendez-vous ce matin à 9H avec mon ophtalmo. La journée est faste. Il m’annonce que tout se passe pour le mieux. Il m’ôte un fil de cautérisation et me fait un intense plaisir en me disant que je peux redresser la tête ! Et un calvaire en moins. Et pas des moindres ! Côté vision, rien ne semble avoir changé. Il faut que j’attende encore une quinzaine de jours avant que le gaz ophtalmique se dissipe et que je retrouve une vision stable. Peu importe. La tête droite suffit ce jour à mon bonheur. Il me donne un nouveau rendez-vous… dans un mois ! Il a donc confiance. En rentrant à la maison, j’ai lavé et rangé l’énorme gobelet en plastique que les américains utilisent à tout bout de champ pour boire leur soda, les trimbalant partout et les tétant sans arrêt grâce à la paille qui émerge du couvercle. Prémonition ? Je pensais ne jamais devoir l’utiliser et l’avais acheté l’année dernière à Yellowstone, plus en souvenir que par utilité. En fait, il m’aura bien servi. Moins sans doute que la chaise de kiné de mon copain ou des oreillers à mémoire de forme, mais quand même. Côté vision, un petit changement ; les phosphènes se sont transformés en de petits points noirs en vol stationnaire au dessus de la bulle de gaz. Comme si petit à petit, cette bulle se désagrégeait en une myriade de flocons immobiles, comme un ciel étoilé en négatif.
La renaissance de l’homme debout, tête haute, n’est pas une mince affaire !
Sinon, j'ai pas fait grand chose cette semaine
[1] Aux yeux de mon épouse, il ne s’agit pas d’un rêve mais d’un cauchemar ! Qui est cette jeune femme ?