DPJ: La notion d’abus physique

Publié le 17 novembre 2013 par Veritejustice @verite_justice

Mais qu’est-ce qu’un abus physique, quels sont les éléments constitutifs essentiels à la définition qu’il y  a eu abus ?

La DPJ débarque chez vous et vous accuse d’avoir abusé physiquement et/ou psychologiquement de votre/vos enfants et vous vous demandé si vous avez des raisons de vous inquiéter.

Regardons de plus près et faisons la lumière sur la question que bien des parents pourraient avoir à se poser en rapport avec leur méthodes éducatives ou de gestions de crises de leur enfant. Analysons la question à l’aide d’un jugement rendu le 08 juillet 2013.

[2] La directrice conclut à l’emploi par le père de méthodes éducatives déraisonnables à l’égard des enfants Z et Y et d’un risque d’abus physiques à l’égard de la cadette, X.

[3] Elle requiert, pour une période de six mois, le maintien des enfants dans leur milieu familial, accompagné de mesures d’aide.

[4] Les parents nient énergiquement user de méthodes éducatives déraisonnables et ils considèrent que la sécurité et le développement des enfants n’est pas compromis. Ils demandent le rejet des requêtes en protection.

[..]

[9] Le Tribunal entend Mme [intervenante 1], éducatrice spécialisée à l’école primaire A.

[10] En septembre et octobre 2012, alors qu’elle est en fonction à cette école, elle reçoit de l’enseignante de sixième année, la demande de rencontrer Z qui est dans le corridor et aurait triché à l’occasion d’un examen ou d’un travail quelconque.

[11] Mme C discute avec Z dans son bureau. Après vingt minutes, l’enfant s’effondre en sanglots en disant :

« Papa me frappe quand j’ai de mauvaises notes, c’est pour ça que je triche. »


« avec ses mains et ses pieds. »

[..]

[15] Le père a été contacté et on lui a proposé l’aide de l’intervenante sociale de l’école. Le père a refusé cette aide tout en admettant « corriger les enfants » sans jamais leur causer des sévices corporels.

[..]

  1. [36]  Selon le père, les autorités scolaires ont induit des choses dans la tête de ses

enfants. Pour lui, il s’agit de harcèlement dont les policiers sont aussi les complices, ayant suggéré l’utilisation par le père d’une ceinture, d’un bâton et d’un soulier.

[37] Ses filles n’ont aucunes raisons de plagier et de craindre les conséquences puisqu’elles ont d’excellents résultats scolaires, qu’il dépose en preuve.

[38] Le père nie employer les sévices physiques, y compris les tapes. Il reconnaît élever la voix, crier et se chicaner beaucoup avec ses filles.

[39] Le père est très insatisfait de l’intervention de la directrice qui cause un traumatisme important à ses filles.

[40] Il est très dur à l’égard de l’intervenante, qu’il traite de menteuse à plusieurs reprises dans sa déposition.

[..]

[42] Il convient de noter que la norme de preuve applicable par le Tribunal est la prépondérance de preuve2 malgré qu’un même événement peut à la fois entraîner une responsabilité criminelle et l’application d’un régime de preuve différent.

a) La notion d’abus physiques

[43] Tentant de définir "l’abus physique", la juge Brosseau écrit ce qui suit :

[92] La jurisprudence, au fil des ans, a parlé de la notion d’abus physiques visée à l’ancien paragraphe 38g) de la façon suivante :

                        « Mais  q u’est -ce  qu’un  abus  physique, quel sont les éléments constitutifs essentiels ? La jurisprudence en a déjà parlé à cet égard. Les mauvais traitements consistent en un emploi de moyens démesurés, immodérés et déraisonnables pour éduquer et prendre soin d’un enfant. Les mauvais traitements doivent être évalués en tenant compte de l’âge de l’enfant, de sa taille, de sa robustesse, de son état de santé et de leur fréquence.» 

[93] Par ailleurs, la jurisprudence a aussi établi que le Tribunal ne doit pas rechercher un élément intentionnel chez le ou les auteurs de ces mauvais traitements. La Cour supérieure, siégeant en appel d’une décision de la Cour du Québec, Chambre de la jeunesse, réitérait ces mêmes principes:

                  «En résumé, l’excès de force physique, qu’il soit intentionnel ou non, qu’il soit conscient ou non, est bien celui visé à l’article 38g) de la loi. Il y a lieu de donner à cette expression un sens aussi large que possible afin de rencontrer les objectifs de la loi aussi bien que les multiples situations susceptibles de se présenter dans la vie d’un enfant.

                L’article 38g) n’impose à la Chambre de la jeunesse une obligation de trouver un coupable  ou même l’auteur de mauvais traitements physiques. Un enfant peut être retiré de la garde des parents dans un cas de mauvais traitements physiques même s’il n’est pas prouvé leur participation directe que si, par ailleurs, leur responsabilité est engagée au sens de la loi ou si le retour de l’enfant dans son milieu familial lui est préjudiciable. La Cour d’Appel a soulignée récemment:Lorsque la chambre de la jeunesse est saisie du cas d’un enfant dont la sécurité ou le développement est considéré comme compromis, elle doit décider si les craintes du Directeur de la protection de la jeunesse sont justifiées et si le maintien ou le retour de l’enfant chez ses parents ou à son lieu de résidence risque de lui causer un tort sérieux. L’attention du Tribunal est tout entière tournée vers la situation de l’enfant, sa sécurité et son développement et, dans ce contexte, les commentaires que le juge peut faire sur le comportement des parents ne sont qu’accessoires, ou périphériques, à l’objectif principal poursuivi; en somme, le Tribunal n’est pas là pour juger le comportement des parents, mais bien pour décider si, à la lumière de la preuve entendue, la sécurité ou le développement de l’enfant est compromis. (R. c. C.T. (D) C.A., 500-10-00174936, le 13 mars 1997.»

[94] La Cour suprême, dans une décision portant sur la constitutionalité de l’article 43 du Code criminel, prévoyant que tout père, mère ou toute personne est fondée à employer une force raisonnable pour corriger un enfant ou un élève, fait une analyse intéressante sur le châtiment corporel et sur le cadre de l’emploi de la force pour corriger :

                «24 Premièrement, la personne qui emploie la force doit le faire pour éduquer ou corriger : Ogg-Moss, précité, p. 193. Par conséquent, l’art. 43 ne peut pas excuser les accès de violence à l’égard d’un enfant qui sont dus à la colère ou à la frustration. Il n’admet dans sa zone d’immunité que l’emploi réfléchi d’une force modérée répondant au comportement réel de l’enfant et visant à contrôler ce comportement ou à y mettre fin ou encore à exprimer une certaine désapprobation symbolique à cet égard. L’emploi de la force doit toujours avoir pour objet d’éduquer ou de discipliner l’enfant : Ogg-Moss, précité, p. 193.

     «25. Deuxièmement, la correction doit pouvoir avoir un effet bénéfique sur l’enfant, ce qui nécessite, d’une part, une capacité de tirer une leçon et, d’autre part, une possibilité de résultat positif. La force employée contre un enfant de moins de deux ans ne peut pas servir à le corriger puisque, selon la preuve, un tel enfant est incapable de comprendre la raison pour laquelle on le frappe (décision de première instance (2000), 49 O.R. (3d) 662, par. 17). Il se peut également qu’un enfant soit incapable de tirer une leçon de la force employée contre lui en raison d’une déficience ou de quelque autre facteur contextuel. Dans ce cas, la force n’est pas employée « pour corriger » et ne tombe pas dans la zone d’immunité établie par l’art. 43.» 

[95] La Cour suprême nous indique que c’est le consensus social au moment de la perpétration des gestes considérés qui doit tenir lieu de guide pour déterminer le caractère raisonnable de la force employée:

           «36. Le consensus social et la preuve d’expert concernant ce qui constitue une correction raisonnable aident aussi à déterminer ce qui est « raisonnable dans les circonstances » en matière de correction infligée à un enfant. Le droit criminel utilise souvent la notion du caractère raisonnable pour tenir compte de l’évolution des moeurs et éviter d’effectuer des « rajustements » au moyen de modifications successives. Cette technique implique qu’il est possible de tenir compte du consensus social de l’heure quant à ce qui est raisonnable. Les gardiens ou les juges ont tort d’appliquer leurs propres notions subjectives de ce qui est raisonnable; l’art. 43 commande une appréciation objective fondée sur l’état des connaissances et le consensus de l’heure. Un large consensus, surtout s’il est étayé par une preuve d’expert, peut fournir des indications et réduire les risques de décision subjective et arbitraire.

         37. (…) Le châtiment corporel infligé à un enfant de moins de deux ans lui est préjudiciable et n’est d’aucune utilité pour corriger vu les limites cognitives d’un enfant de cet âge. Le châtiment corporel infligé à un adolescent est préjudiciable en ce sens qu’il risque de déclencher un comportement agressif ou antisocial. Le châtiment corporel infligé à l’aide d’un objet, comme une règle ou une ceinture, est préjudiciable physiquement et émotivement. Le châtiment corporel consistant en des gifles ou des coups portés à la tête est préjudiciable. Ces formes de châtiment ne sont pas raisonnables.»

(leurs soulignements)

[96] L’analyse que fait la Cour suprême sur le recours à la force comme justification pour corriger un enfant doit s’inscrire nécessairement dans le cadre de l’éducation de l’enfant. Elle ne doit causer aucun préjudice à l’enfant ou ne pas risquer de causer des lésions corporelles, limitant ainsi l’application aux voies de faits les plus légers.

[..]

b) La notion de risque sérieux d’abus physiques

La question vous interpelle ? Lire le jugement