Les Damnés: La lignée des Petrova – Epilogue

- Il te cherche, tu sais…Il ne va pas tarder à arriver.

Adossée au pied de l’autel de pierre, Noura ramena ses genoux vers sa poitrine et les enlaça comme si elle tentait de disparaître pour éviter qu’il ne la voie lorsqu’il franchirait à nouveau le seuil de la chapelle. Elle rejeta la tête légèrement en arrière pour admirer la voûte étoilée qui s’offrait à sa vue par le trou béant de la toiture et soupira profondément avant de répondre.

- Je sais…. Pourquoi fait-il toujours cela ? Il me fait le coup à chaque fois. Il devrait partir dès maintenant, débarrasser notre maison de tous ses parasites de frères et disparaître définitivement de ma vie.

- Tu ne penses pas ce que tu dis.

- Non, c’est vrai…, admit-elle après un temps. Mais je lui en veux pour ce qu’il a essayé de faire.

- Tu aurais fait la même chose à sa place.

- Probablement…., admit Noura avec une moue après un bref instant.

- Si la situation était normale, je te dirais que la vie est courte et que vous ne devez pas la gâcher en rancunes inutiles, mais dans votre cas je te dirais que tu peux le torturer une décennie ou deux, ça lui ferait les pieds.

Noura regarda son interlocutrice assise à ses côtés avec un regard à la fois consterné et amusé.

- Sincèrement Anya, tu crois vraiment que je t’ai invoquée pour que tu me prodigues ce genre de conseils ?

La jeune femme lui adressa un sourire faussement innocent.

- Premièrement le fait que tu aies pensé une seule seconde que je pourrais t’être de bons conseils dans ce domaine, me fait penser que tu as définitivement perdu le sens commun. Et  deuxièmement je serais curieuse de savoir comment tu t’y es prise pour me faire revenir de cette manière, reprit Anya en levant ses deux mains devant elle pour admirer leur inexplicable matérialité.

- Je n’en ai aucune idée, répondit la cadette en accompagnant ses propos d’un haussement d’épaules fataliste. Je ne maîtrise toujours pas ce que je fais. Le moindre sort que je jette prend toute de suite des proportions démesurées.

- Tu dois être plus prudente. Tu ne peux pas bouleverser le cours naturel des choses de cette manière ou tu finiras par le payer aussi cher que moi.

- Je le sais bien mais tu me manques et je ne voulais pas rester seule ce soir, murmura Noura d’une voix étranglée de petite fille.

- Je ne peux pas rester et toi tu devrais être déjà partie à la recherche de Noah.

- Je lui ai pris ses pouvoirs, il ne pourra pas se servir du livre. Il n’est qu’un vampire en fuite avec un livre encombrant que tout le monde recherche, répliqua Noura qui cherchait par tous les moyens à repousser l’heure de son inévitable départ.

- Et combien de temps crois-tu qu’il lui faudra pour convaincre un sorcier quelconque de les lui rendre ? De plus, après tout ce qui vient de se passer ici, le conseil ne va pas tarder à intervenir.

Noura fit une grimace de dégoût. La perspective de son départ la répugnait au plus au point mais force était de constater que peu d’alternatives se présentaient à elle. Milan, Maïa et Ivan ne risquaient plus rien et Anya avait entièrement raison pour cette crapule de Noah : il allait tout faire pour retrouver ses pouvoirs et dieu sait quels dégâts  qu’il pourrait faire ensuite avec le grimoire.

- Tu savais que le sort ne tuerait pas Klaus ? hasarda Noura en sortant subitement de ses réflexions.

Prise au dépourvue par la question de sa cadette, Anya se contenta d’acquiescer en silence.

- Je ne l’aurais pas convaincu de te laisser faire sinon, confessa-t-elle. Je sais ce qu’il a fait et que tu le hais plus que tout, mais promets-moi qu’une fois que tu auras lancé le sort et qu’il sera redevenu humain, tu le laisseras tranquille.

Le ton suppliant de sa sœur consterna Noura autant que sa demande.

- Comment peux-tu me demander une chose pareille ? s’indigna-t-elle en se redressant.

Mais devant le désarroi de sa sœur aînée, Noura ravala toutes les remarques acerbes qu’elle s’apprêtait à débiter.

- Décidément on fait une belle paire d’andouilles à nous enticher d’hommes qui ne nous conviennent pas, soupira-t-elle avec fatalisme.

- Ce ne sont pas eux qui ne conviennent pas mais la situation.

- Non, Anya, je persiste et signe : Klaus ne conviendrait à personne quelle que soit la situation.

Elle hésita un long moment mais, devant le regard insistant d’Anya, finit par capituler :

-D’accord….s’il se tient tranquille, je le laisserai vivre une vie d’humain normale, consentit Noura à regret.

Un large sourire plein de reconnaissance illumina le visage d’Anya.

- Il ne sait toujours pas qu’il ne doit pas tuer ton double pour pouvoir recréer des hybrides à son image.

- Et il ne faut pas qu’il l’apprenne. Je l’aime mais je n’oublie pas ce qu’il est pour autant. Il est hors de question qu’il puisse créer d’autres créatures de son espèce grâce au sang du double.

- Je ne vais pas le laisser tuer une innocente Anya…Et une innocente qui te ressemble en plus, se troubla Noura.

- Non bien sûr, mais tu devras trouver un moyen de la garder en vie sans qu’il le sache.

- Bien sûr ! Quoi de plus facile ! ne put s’empêcher de railler Noura.

- Tu es de taille à le faire, je te fais confiance.

Anya soupira profondément :

- Je dois partir maintenant. Je suis déjà beaucoup trop intervenue dans ce monde.

La gorge de Noura se noua aussitôt. Elle se contenta d’acquiescer de la tête avant de la poser sur ses genoux pour dérober ses larmes au regard de sa sœur. Désemparée, elle se laissa bercer par les quelques paroles réconfortantes qu’elle lui adressa et qui l’apaisèrent peu à peu. Elle sentit ses doigts fins caresser une dernière fois ses boucles indisciplinées avant qu’elle ne disparaisse définitivement. Noura ne releva pas la tête. Elle resta ainsi encore un long moment, soûlée de larmes et épuisée par les événements et la tâche qui l’attendaient.

Mais soudain, avant même qu’il n’apparaisse par l’encadrement de la porte, les battements de son cœur s’accélérèrent. Dans un geste de fierté, elle essuya à la hâte ses dernières larmes et s’assit, le dos droit contre l’autel, pour fixer l’entrée éclairée par la blancheur de la neige. Elle se composa une attitude impassible et calme à l’opposé du trouble et du malaise qui l’envahissaient en entendant approcher ses pas étouffés par la neige.

Elijah fut à la fois rassuré et surpris de la trouver encore dans cet endroit macabre à l’air vicié par la mort brutale du sorcier. Il resta un moment à bonne distance pour contempler en silence le visage fermé de la jeune femme qui ne laissait paraître aucune émotion particulière. Craignant de commettre une maladresse qui mettrait fin à toute tentative de dialogue, Elijah choisit ses mots avec hésitation.

- Que fais-tu encore ici ? Pourquoi ne rentres-tu pas ? demanda-t-il d’un air emprunté, ne sachant pas vraiment quelle attitude adopter.

- Je médite sur le sens profond de l’existence et de l’immortalité, commença-t-elle de manière plus  sarcastique qu’elle ne l’aurait voulu.

Un froncement de sourcil et un léger mouvement de recul de l’originel lui firent craindre un instant qu’il ne fît demi-tour. Elle tenta de se rattraper et reprit sur un ton moins cassant mais tout aussi  direct:

- Je suis rentrée mais je ne me sentais pas le courage d’affronter la présence de tous tes frères. Vous auriez pu  trouver un autre endroit pour vos retrouvailles et célébrer la mort de votre cher père. J’espère que vous allez être plus prudents cette fois et ne pas le laisser filer.

Elijah encaissa les reproches et se retint pour ne pas lui rappeler que le problème « Viktor » aurait pu être définitivement réglé si elle n’avait pas enflammé Noah sans se poser de questions. Mais il n’était pas venu pour envenimer la situation et préféra botter en touche.

- Nous partirons demain dans la journée. Nous avons récupérer le sang de Viktor et tu trouveras des fioles contenant le mien et celui de mes frères chez toi.

Noura écarquilla les yeux de surprise et resta un moment bouche bée :

- Même celui de Klaus ? s’étonna-t-elle. Par quel miracle ?

- Il n’était pas vraiment en supériorité numérique et, malgré notre bonne entente retrouvée, mes frères n’avaient pas vraiment envie de subir tes foudres le jour où elles s’abattraient sur lui.

- Oui…. bien sûr …, commença-t-elle avec une moue sceptique. Et le fait que le grimoire se soit volatilisé et que je ne sois plus une menace pour lui, pour le moment, n’a strictement rien à voir avec  le fait qu’il se soit si facilement laissé convaincre ?

-   Effectivement… ça a dû peser dans la balance, admit Elijah avec un certain fatalisme.  Mais la présence d’Ivan a dû certainement l’influencer aussi. Je pense que malgré les apparences, il veut donner une image de père plus glorieuse que celle qu’il a reçue. Même si le connaissant, ça ne dura pas….

   Soudain inquiète, Noura se redressa :

- Il ne va pas  convaincre Ivan de vous suivre tout de même? s’écria-t-elle bouleversée à cette seule idée.

- Non, rassure-toi, répondit-il en levant les mains dans un geste d’apaisement.

Elle avait, l’espace de ce bref moment de panique, laissé tomber ce masque de froideur dont elle s’était efforcée de se parer. Comme toujours chez Noura, le naturel ne manquait pas de refaire surface au moment où elle s’y attendait le moins. En le voyant tout d’un coup grimper les deux marches qui les séparaient pour venir s’asseoir près d’elle, elle s’en maudit aussitôt. Le faire culpabiliser pendant quelques décennies allait s’avérer être plus difficile que prévu puisqu’elle n’était même pas capable de jouer les reines de glace plus de dix minutes. Elle s’efforça malgré tout de se reprendre et lorsqu’il vint s’adosser à l’autel, trop près d’elle à son goût, elle voulut se relever d’un geste qu’elle voulut le plus digne et altier possible.  Mais son mouvement fut vite entravé par une main qui agrippa si fermement son poignet pour l’obliger à se rasseoir qu’elle retomba sans dignité ni grâce  sur le derrière.

Elle le fusilla du regard et tenta de se dégager de son étreinte mais il ne lâcha pas prise.

- Je pars demain et toi aussi. Je ne veux pas que l’on se sépare de cette manière. S’il te plait, mettons nos différends de côtés pour ce soir, demanda-t-il  posément en libérant son bras.

Elle se renfrogna, s’avança boudeuse sur le bord des marches pour lui tourner ostensiblement le dos mais ne se leva pas. Sa manière puérile de consentir sans en avoir l’air la consterna littéralement. Elle ne put s’empêcher de lever les yeux au ciel en se sermonnant mentalement d’être incapable de partir. Parce que c’est précisément ce qu’elle aurait dû, ou plutôt voulu, faire : se lever, lui coller sa main dans la figure et le planter là comme il n’avait pas hésité à le faire quinze ans plus tôt. Après tout, pensait-t-elle, il n’avait même pas l’air d’éprouver le moindre remord d’avoir essayé de la contraindre.

- Je suis désolé pour hier soir, lâcha-t-il de manière si soudaine et en faisant preuve d’un tel à-propos qu’elle stoppa net le mouvement qu’elle avait amorcé pour se mettre sur ses pieds.

Irritée, tant par lui que par elle-même, indécise aussi, elle ne répondit pas à ses excuses. Devant ce silence, Elijah pencha la tête pour tenter d’apercevoir son profil et les expressions de son visage en partie dissimulés derrière ses cheveux dénoués. Elle devina son mouvement et se détourna.

- Dis-moi…juste pour me faire une idée plus ou moins précise de l’ampleur de ma bourde… Tu as l’intention de m’en vouloir pendant environ combien de temps ? demanda-t-il en évitant de prendre un ton trop désinvolte qui la ferait sortir inévitablement de ses gonds.

L’originel n’était pas du tout sûr de l’issue de sa tentative de conciliation. Il tâchait de dédramatiser la situation mais restait malgré tout sur ses gardes. Il n’avait pas vraiment envie de tester la –presque- fin tragique du sorcier. Son regard se porta sur les stigmates de l’incendie encore visibles  sur les dalles  et il grimaça.

- Quelques siècles…. et quand  j’aurai fini de t’en vouloir, je t’en rabattrai les oreilles pour l’éternité, grommela-t-elle.

Elijah ne put s’empêcher de sourire devant l’horrible menace.

- Ça va être très long donc…. mais ça veut aussi dire que tu as l’intention de me reparler un jour, positiva-t-il avec une pointe de malice.

Il tenta de dégager ces cheveux qui la dérobaient à son regard mais elle chassa d’un geste vif cette main importune qui faillit démasquer le sourire qu’elle avait laissé échapper.

Il leva les yeux au ciel mi- dépité mi-blasé, tout à fait conscient qu’elle était en train de jouer avec sa patience. Il garda un instant le silence, balayant du regard sa silhouette dont les courbes l’attiraient irrémédiablement au point de tendre une main vers elles avant de se raviser. Certes il ne voulait pas partir en emportant comme dernière image celle de leur confrontation de la veille, mais il était également hors de question de réitérer leurs derniers adieux. Cela n’avait rendu les choses que plus douloureuses.

- Tu crois qu’un jour on se retrouvera sans qu’il soit question de malédictions, de sorcier assoiffé de pouvoir et de père fou de vengeance ?… Avoir une vie presque normale, en somme….lâcha-t-elle soudainement et de manière si inattendue qu’il mit un moment avant de s’approprier le sens des paroles et ce qu’elles sous-entendaient.

- Normale… dans le sens où tous les matins je t’apporterai ton bol de sang frais de lapin, où chaque dimanche on irait déjeuner chez l’un de mes frères juste après avoir été la messe pour confesser nos péchés, ou pour méditer sur le sens profond de l’existence et de l’immortalité ?

Elle se retourna, une expression indéfinissable sur le visage. Ils se regardèrent un instant avant de laisser éclater une hilarité qu’ils ne pouvaient plus contenir devant l’absurdité de ce tableau. Leurs rires mêlés déchirèrent le silence et résonnèrent entre les murs lugubres de la chapelle. Surpris, ils  reprirent soudain leur sérieux et se dévisagèrent, saisis, étonnés ne pas avoir une seule fois eut l’occasion de rire ensemble. Cela leur parut si incongru qu’ils en ressentirent l’un et l’autre une épouvantable tristesse mêlée d’amertume. Il y avait encore tant de choses qu’ils n’avaient pas eu le temps de partager, tant de choses qu’ils ignoraient  l’un sur l’autre.

Lorsqu’il tendit la main pour l’inviter à s’approcher, elle ne se fit plus prier. Blottie au creux de son épaule, elle sentait son souffle caresser son front. Elle se laissa aller à ce moment de tendresse simple et réconfortant.

- Raconte-moi qu’elle était ta vie avant tout ça. Raconte-moi ce que l’on fera quand tout cela sera fini, demanda-t-elle dans un murmure.

Un discret sourire emprunt de regret apparut sur les lèvres de l’originel. Il s’exécuta de sa voix calme et apaisante.

Les dernières heures de la nuit furent bercées par les récits de leurs passés révolus et emprunts de nostalgie et d’un avenir qui ne serait probablement jamais. Noura avait lutté pour ne pas être emportée par le sommeil que la fatigue de ces dernières heures rendait de plus en plus pressant. La tête posée sur les jambes d’Elijah et sous son regard attendri, elle avait fini par sombrer au beau milieu du récit de l’une des improbables bêtises qu’Anya et elle avaient un jour inventée. Il ne put se résoudre à  fermer les yeux lui-aussi. Il scrutait chaque centimètre de ce visage qui n’allait pas manquer encore une fois de le hanter jusqu’à leur prochaine rencontre. Car au milieu de tout ce chaos, Elijah avait au moins deux certitudes : la première était qu’ils allaient se revoir. Il ne pouvait en être autrement. Quant à la seconde, il la laissa s’échapper dans un murmure. Quelques mots qu’elle n’entendit pas ou du moins qu’elle feignit ne pas entendre…

Voilà, c’est fini! J’espère que vous avez apprécié suivre cette version très différente de la série.

Merci pour votre fidélité!