Fais, Seigneur, qu'un homme soit saint et grand et donne-lui une nuit profonde, infinie, où il ira plus loin qu'on ait jamais été; donne-lui une nuit où tout s'épanouisse, et que cette nuit soit odorante comme des glycines, et légère comme le souffle des vents, et joyeuse comme Josaphat.
Fais qu'il parvienne enfin à la maturité, qu'il soit si vaste que l'univers suffise à peine à le vêtir; et permets-lui d'être aussi seul qu'une étoile pour qu'aucun regard ne vienne le surprendre à l'heure où son visage change, bouleversé.
Fais que le temps de son enfance ressuscite dans son cœur; ouvre-lui de nouveau le monde des merveilles de ses premières années pleines de pressentiments. Fais qu'il lui soit permis de veiller jusqu'à l'heure où il enfantera sa propre mort, plein d'échos comme un grand jardin ou comme un voyageur qui revient de très loin...
Rainer Maria Rilke, Le livre de la pauvreté et de la mort (Actes Sud, 1992)
traduit de l'allemand par Arthur Adamov
image: Paula Modersohn-Becker, Rainer Maria Rilke (gutenberg.spiegel.de)