L’irrésistible ascension de SnapChat a fait des envieux. L’application mobile de partage instantané de photos a connu la success story de la rentrée, lui accordant une notoriété qui lui a permis de refuser deux offres de rachat successives par Facebook, en perte de vitesse.
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Pour les non initiés, le principe est simple. Un interface clair, avec un appareil photo et un onglet «Amis» dans lequel vous pouvez retrouver les contacts de votre répertoire téléphonique qui sont déjà inscrits, et inviter les autres à vous rejoindre. Snapchat ne permet pas d’immortaliser un moment trépidant de votre vie comme une photo classique, puisque celle-ci va s’afficher aux yeux de votre destinataire pour un temps court et défini par l’émetteur, avant de disparaître. Une seconde pour les photos «olé-olé», jusqu’à dix secondes maximum. Il semble que la fonction vidéo est un mythe : personne ne sait s’en servir, ou elle fonctionne très mal.
Pour mieux comprendre, voici un clip de promotion officiel de la société, dans lequel on voit des hipsters s’enjailler dans une décapotable.
Twitter ou Facebook ont plusieurs finalités : entretenir des contacts, partager des liens, s’informer… SnapChat est une application plutôt inutile à la base. D’ailleurs, impossible de trouver une réponse pertinente à l’interrogation fréquente du non-utilisateur « ça sert à quoi ? ». Un des intérêts cependant se trouve dans le fait que cette application est un système moins basé sur l’égo : le nombre de contact n’est pas rendu public comme sur ces deux derniers « rézosocio » où chaque personne est cataloguée comme « influente » ou « bolosse » en fonction du nombre de followers ou de likes se raccordant à son compte.
Parti en 2011 de la Silicon Valley, c’est en 2012 que cette start-up a commencé à peser dans le milieu. Aujourd’hui, 350 millions de photos sont échangées par jour, contre 200 millions il y a seulement quatre mois. Le projet créé par des étudiants de la Standford University est parvenu à faire douter Facebook, en perte de vitesse chez les adolescents, public majoritaire de SnapChat également. Après avoir tenté en vain de rivaliser en lançant l’application Poke, Facebook a proposé une offre de rachat à la société. 1 milliard de dollars refusé en octobre, le PDG de SnapChat Evan Spiegel a récidivé en déclinant cette semaine la nouvelle offre de 3 milliards. Du haut de ses 23 ans, il dit non à Mark Zuckerberg et estime que sa société a encore une marge de croissance. Plus qu’un chiffre d’affaire, c’est en fait un public que veut acheter Facebook, un peu comme l’avait traduit le rachat d’Instagram. Il semble qu’une audience jeune se tourne de plus en plus vers des applications comme WhatsApp ou Line qui permettent d’échanger des messages instantanés ou des appels. Les réseaux sociaux de l’éphémère ont désormais plus la côte que ceux dits « traditionnels » (Twitter, Facebook), pourtant un peu plus constructifs car permettant des échanges d’idées, des conversations. Alors pourquoi préférer un système où les données échangées s’autodétruisent ?
Intimité vs éternité
Snapchat reflète ce paradoxe des technologies qui, bien que basées sur le partage, ont tendance à faire exploser l’égo de chacun. Un exemple illustrant bien ce propos est la propagation endémique des «selfies». À l’heure où le flux continu d’information immédiate nous submerge, il faut noter un engouement pour l’éphémère, l’instantané alors même qu’Internet est un environnement où les données personnelles sont constamment enregistrées, et souvent ineffaçables dans leur totalité, pour finir dans les bas-fonds de l’éternité virtuelle. Une pensée qui fait d’ailleurs frémir tous les ex-propriétaires de Skyblog. Mais si les photos ne sont plus visibles au bout de quelques secondes sur votre téléphone, rien ne garantit qu’elles ne sont pas archivées quelque part… On capture un moment instantané, destiné ensuite à l’oubli. Et ce n’est pas plus mal, surtout lorsque des amis viennent, à l’école, vous demander à quoi rime le SnapChat visiblement alcoolisé reçu à 3 heures du matin la nuit précédente. La mémoire de votre portable est peut-être finalement aussi fébrile que votre mémoire cérébrale.
On pourrait penser que cette tendance est symptomatique d’un public attiré par le rien, le néant. De toute façon rien n’est plus surprenant dans une société où un lama fait la une des médias pendant deux semaines. Dans une société où l’on a créé une émission de télé-réalité à succès en envoyant des Ch’tis aux Etats-Unis. En précurseur, le sociologue Guy Debord évoquait le « spectacle en tant que stade achevé du capitalisme et réelle idéologie économique » (La société du spectacle, 1967). À méditer.
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