On n'a parlé que cela, tous les jours, plusieurs fois par jour. La moindre manifestation obtient ses éclairages télévisés; la moindre mauvaise nouvelle, son buzz sur Twitter. Est-ce surévalué ?
Des préfets confient leur inquiétude sur le ras-le-bol social et politique. Mais le Hollande-bashing fédère mal. On frôle l'overdose inutile, on dépasse jour après jour les bornes d'un ridicule politique collectif qui en devient dangereux.
La France perd une fraction de note chez Standard and Poors, passant de AA+ à AA. La droite s'insurge, mais tout le monde s'en fiche.
La croissance de la zone euro au troisième trimestre déçoit. La France y fut même en récession (-0,1%). On en fait des tonnes, on oublie le rebond de +0,5% du trimestre précédent, on néglige que cette croissance de toute façon microscopique ne change pas grand chose. Plus grave, on s'inquiète de la chute des offres d'embauches chez Pôle emploi: 31% de moins entre août 2011 et octobre 2013 !
Mais n'est-ce pas Pôle emploi qui est plutôt en cause ? Comment expliquer l'essor des sites privés d'offres d'emploi ?
Autre emballement, la France n'aurait plus de marges de manoeuvre. "L'impôt ne rentre plus !" couine l'UMPiste Gilles Carrez qui oublie que la matraque fiscale fut d'abord maniée par son ancien mentor. Les dépenses dérapent, crie-t-on dans les gazettes économiques. En cause, l'intervention au Mali, de nouveaux crédits pour l'emploi ou le logement et les investissements dits d'avenir. En quelques heures, Cazeneuve trouve 3 milliards d'annulations de dépenses.
Vendredi, la Commission européenne donne son feu vert au projet de budget en cours d'adoption par le Parlement français. On l'aurait échappé bel ! Vraiment ? C'était certes une première du genre, l'application du Traité budgétaire européen adopté en 2012. C'est aussi une bonne nouvelle pour François Hollande. Mais qui aurait pu croire que ce budget aurait été refusé par la Commission ? Pierre Moscovici a passé trop de temps à convaincre à Bruxelles et ailleurs. Bruxelles regrette que l'austérité ne fut pas plus sévère. Pour faire bonne figure, elle tance l'Allemagne pour ses excédents commerciaux.
La semaine, comme la précédente et comme la suivante, reste horrible pour Hollande. C'est une prévisible coalition involontaire, confortée par un contexte, qui s'agite et précipite le pays dans cette impression de prétendu chaos collectif. Hollande concentre sur lui tous les mécontentements. Mais nombre d'entre eux sont si antagonistes les uns contre les autres qu'ils empêchent tout front uni.
A l'Elysée, Hollande ne dit rien. Sa cote sondagière est toujours basse. On pourrait, on devrait moquer cette obstination sondagière: nous avions cru que l'enjeu du moment était le redressement du pays, pas la cote présidentielle.
Un député socialiste, Malek Boutih, réclame la démission de Ayrault. Martine Aubry rend visite à Hollande. Il faudrait remanier, mais pour qui ? Pour quoi ?
Une extrême droite sur-mobilisée
L'opposition reste protéiforme à souhait. Il n'y a que le Front national, qui exhibe ses deux énarques débauchés d'ailleurs pour mieux cacher ses soutiers identitaires et autres fanatiques d'une France rance, qui reste bien seul à pouvoir agréger toutes les contradictions, prêt à tout pour gagner les élections et mener à bien son entreprise de purification ethnico-culturelle.Le contexte est propice, la parole "décomplexée", une formule bien horrible pour résumer que la haine et la bêtise s'expriment désormais sans honte. La France est-elle davantage raciste qu'avant ? Les actes délictueux se multiplient. Les prises de paroles infâmes, les bras tendus et autres "quenelles" neo-nazies également.
Malgré un fort soutien, la semaine dernière, après une salve d'attaques racistes contre elle, Christiane Taubira a encore été visée, cette fois-ci par MINUTE, l'hebdomadaire des nostalgiques de Pétain et des outrances de la Nouvelle Droite version Jean-Yves Le Gallou. Ce fut une couverture de trop, "niant son appartenance à l'espèce humaine", pour reprendre l'expression usitée par Taubira elle-même au journal télévisé. Marine Le Pen proteste mollement. Son paternel, quatre jours avant, s'indignait encore du manque de "blancs" dans nos RER franciliens...
La digue cède, commente le syndicat de la magistrature. "Et voilà qu'une minorité grandissante qui se présente comme gardienne ou salvatrice de cette République française vient briser cette prouesse cocardière. Me voilà ramené à ma condition nègre." constate Le journaliste Harry Roselmack.
Nadine Morano, ancienne ministre sarkozyste, ancienne députée défaite en juin 2012, traite de "rat" le journaliste Joseph Macé-Scaron de Marianne.
Lundi, une poignée de militants d'extrême droite sont surpris un bonnet rouge sur la tête à crier contre le passage de Hollande sur les Champs Elysées pour l'hommage aux soldats morts en 1914-18. Ces factieux n'étaient qu'une poignée comme d'autres en leur temps contre de Gaulle, Giscard ou Mitterrand. Mais pour la multitude de caméras présentes, c'était donc un "évènement".
Des médias désemparés
L'emballement est évidemment médiatique. C'est un cercle vicieux de "unes" en titres, de buzz en cris qui s'alimentent les uns les autres. Quelques journalistes, quelques médias, tentent de ramer à contre-courant, c'est-à-dire d'écrire sur l'essentiel, de prendre le temps du recul, d'expliquer le fonds plutôt que l'écume.
Mais le train médiatique est comme lancé à vive allure vers l'absurdité du buzz et du lynchage, dans un tintamarre général. Cette descente, rares sont ceux qui perçoivent qu'elle est bien collective. Contre les nouveaux rythmes scolaires - c'est-à-dire une demi-journée d'activité par semaine (sic!) - les micros se tendent vers des parents d'élèves qui râlent; quelques enseignants qui font grève; et même des animateurs de vie scolaire satisfaits de la réforme mais mécontents de leur rémunération.
Nos médias sont avides car désemparés. Ils ne sont pas seuls.
Les réseaux sociaux - Twitter au premier chef - que nos éditocrates confondent avec le pays réel, sont le lieu de joutes abruties et sans recul sur la moindre dépêche.
On réagit d'abord, on réfléchit après, ou jamais.
Prompts à rebondir avec fracas sur la moindre protestation de lobbys, les mêmes éditocrates minorent avec plus ou moins d'aisance la totale contradiction de certaines de ces protestations. Thomas Legrand, pour France Inter, eut la justesse, mercredi, de s'étonner que les Bonnets Rouges lâchaient des slogans incohérents: contre l'Europe mais pour les subventions européennes, contre les "diktats de Paris" mais pour le désenclavement de la région. Force Ouvrière a d'ailleurs fini par lâcher le mouvement, vendredi, effrayé par le corporatisme des uns et l'infiltration identitaire des autres.
La droite tente de surfer sur un ras-le-bol qui la dépasse. Contre les rythmes scolaires, l'UMP de Copé prône la désobéissance, délitement des moeurs républicaines. D'autres préfèrent, comme la gauche, fustiger le matraquage fiscal.
On pouvait rappeler les 115 milliards d'euros de hausse d'impôts et d'économies budgétaires promis par Sarkozy s'il était réélu.
Le Front de gauche joue sa propre partition ... fiscale et, malheureusement, incompréhensible. Le 1er décembre, il veut mobiliser pour une manifestation ... contre la hausse de TVA. On nage dans l'approximation et la confusion. La CGT refuse de suivre. Sur Twitter, Jean-Luc Mélenchon lance: "La hausse de la TVA coûtera 100€ par Français, enfant compris ! 400€ pour un couple avec deux enfants !" On imagine qu'à ce niveau de surcoût de TVA, la fameuse famille modèle avoisine les 100.000 euros d'achats à TVA par an... Pire, le slogan est affecté par le contexte: l'inflation est prévue cette année à un niveau ... historiquement bas - 0,8%. On craint même la déflation, une catastrophe de plus. Comment voulez-vous mobiliser contre la hausse des prix en pleine déflation et, de surcroît, avec des arguments approximatifs ?
La gauche est si divisée qu'elle ne partage même plus quelques constats factuels: l'INSEE, relayée par le Figaro, pointe sur la réduction des écarts de revenus après impôts en 2012, à cause des hausse fiscales: "Les hausses d'impôt de 2012 ont réduit les inégalités… en nivelant vers le bas les revenus des Français les plus aisés." Et de préciser que "60% de ces hausses d'impôts ont été supportés par les 20% des ménages les plus aisés tandis que les classes moyennes ont dû assumer 30% de cette hausse."
La gauche est si divisée qu'elle peine à se ressouder devant le danger.
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Nicolas Sarkozy est encore, il rôde.
Samedi, il est au concert de sa femme. Vendredi, il rend hommage à Chaban-Delmas, l'un de ces anciens gaullistes trahi par Jacques Chirac en 1974, son ancien mentor.
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La France n'a pas peur, elle est simplement dangereusement ridicule.
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